Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, chers collègues, vous comprendrez qu'avant de commencer cette intervention, j'aie une pensée pour mes voisins strasbourgeois, sur qui le malheur est tombé.
La présente proposition de loi concerne l'exercice des praticiens médicaux diplômés hors de l'Union européenne. Ceux-ci sont recrutés dans un contexte de crise de notre système de santé. Les départs à la retraite massifs des médecins, la désertification médicale, la surcharge de travail des urgences créent une spirale négative qui menace directement la sécurité des soins et des patients. La pénurie de médecins à l'hôpital est telle que 30 % des postes sont vacants en moyenne. Stress, journées à rallonge, semaines surchargées sont le lot quotidien des praticiens.
Pour faire face à la fuite des médecins hospitaliers vers le secteur libéral, les établissements hospitaliers tentent d'attirer des intérimaires au moyen de salaires incitatifs. En une nuit, certains intérimaires peuvent ainsi être rémunérés autant que d'autres praticiens en un mois ! Cette situation est révélatrice d'un dysfonctionnement profond et de la nécessité absolue d'arrêter d'asphyxier nos hôpitaux.
Il est plus intéressant pour les hôpitaux de faire appel aux praticiens diplômés à l'étranger : ceux-ci, recrutés à bas coût et de façon précaire, se trouvent dans une situation déplorable.
Le sujet est ardu, mais mérite d'être étudié en détail, car, derrière ces praticiens, il y a des personnes, avec leurs vies, leurs difficultés, leurs rêves.
En 1975, l'ouverture de la pratique de la médecine en France à des médecins européens n'a pas permis à l'État français de combler le manque de praticiens médicaux. C'est pourquoi, dans les années 1980, il a été décidé d'ouvrir la pratique aux praticiens hors Union européenne, aux PADHUE, comme on les appelle. Ils peuvent être médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes ou pharmaciens. Ils ont pour point commun d'avoir obtenu leur diplôme dans un État non-membre de l'Union européenne.
Pour obtenir un titre pérenne et de plein exercice, ils doivent passer un concours dit de liste A, mais ce concours est extrêmement sélectif. Le nombre maximal de candidats reçus est fixé par voie réglementaire et il est impossible de se présenter plus de trois fois aux épreuves. Si 11 000 professionnels ont pu être titularisés depuis 2012, de nombreux praticiens ne l'ont pas été pour diverses raisons.
La loi de financement de la sécurité sociale de 2007 a instauré un dispositif temporaire d'autorisation d'exercice, dit liste C, pour éviter qu'ils ne se trouvent dans l'illégalité. Or ce dispositif présente de très nombreux défauts.
Premièrement, il ne concerne qu'une minorité des praticiens diplômés à l'étranger. En effet, on estime à seulement 300 à 350 le nombre de praticiens concernés, une loi de 2012 ayant exclu de fait tous les praticiens qui ne répondent pas à certains critères, notamment tous ceux qui n'ont pas exercé avant le 3 août 2010. Par conséquent, le texte que nous examinons aujourd'hui ne concerne qu'une petite minorité de PADHUE. Près de 4 000 demeurent et demeureront dans un flou juridique total !
Deuxièmement, le dispositif temporaire d'autorisation d'exercice devait, par nature, être temporaire. Or il est prolongé d'année en année : d'abord en 2012, puis en 2016 avec la loi montagne, qui a prolongé jusqu'au 31 décembre 2018 la possibilité d'exercice donnée aux PADHUE n'ayant pas encore obtenu leur autorisation d'exercice.
Troisièmement, ce dispositif temporaire maintient les praticiens dans des situations extrêmement précaires. Ils ne peuvent exercer en France que sous certaines conditions. Ils ne sont pas autorisés à travailler en plein exercice et doivent toujours être sous la responsabilité d'un autre praticien.
La casse de l'hôpital public a de graves conséquences, on l'a vu. Les médecins hospitaliers en sont les premières victimes, et plus encore ceux qui sont diplômés hors de l'Union européenne. Si ces derniers restent en France, c'est bien souvent parce qu'ils s'y sont installés et y ont fondé une famille. Très mal payés par rapport à ce que touchent leurs confrères qui effectuent le même travail, ces praticiens médicaux servent de variables d'ajustement pour remédier aux difficultés budgétaires des hôpitaux. Ils sont une main-d'oeuvre opportune pour faire face aux restrictions de dépenses. Ils sont recrutés grâce à des dérogations afin de pallier le manque de personnel dans les hôpitaux et sous des statuts variés : faisant fonction d'interne, assistant, praticien attaché, contractuel... L'État lui-même n'a pas une bonne connaissance de leurs conditions d'exercice.
Sous contrats précaires, ces praticiens médicaux se sentent considérés comme des « bouche-trous », bons à être recrutés, faire des gardes et assurer la continuité des soins, mais pour qui la régularisation est un parcours du combattant. Ils n'ont aucune perspective d'évolution, et leurs années d'exercice en France ne sont pas prises en considération. Pourtant, sans eux, les établissements de santé ne pourraient pas tourner et la continuité des soins ne serait pas assurée.
Une étude de Victoire Cottereau parue en 2015 montre que leurs carrières sont itinérantes à tout point de vue. Mobiles au sens spatial du terme, ces praticiens médicaux précaires vont d'un bout à l'autre du territoire pour combler les déficits par des contrats de courte durée.
Quant aux PADHUE faisant fonction d'interne, tous les six mois, lors des attributions de postes, la priorité absolue accordée aux internes français les oblige à se déplacer pour prendre les postes laissés vacants par ces derniers. D'autres changent de poste parce que leur contrat n'est pas renouvelé, pour être respectés ou un peu mieux rémunérés. En décembre 2018, une enquête de Libération montrait que cela pose des problèmes au sein des services hospitaliers, qui ont du mal à s'organiser et à tourner correctement lorsque les équipes changent en permanence.
Mais si ces praticiens sont mobiles, c'est aussi au sens où ils doivent occuper de nombreux postes différents. Ils sont amenés à exercer dans le secteur médical et paramédical ou à travailler dans le secteur privé au gré des demandes. Bien souvent relégués à un statut médical inférieur, ils peuvent parfois faire office d'infirmier ou d'aide-soignant. Il arrive même qu'ils changent de spécialité. Cette situation est déplorable pour les praticiens comme pour les patients dont les soins sont ainsi compromis. Ce sont 4 000 praticiens qui se trouvent actuellement dans cette situation ; invisibilisés, ils ne sont toujours pas inscrits à l'Ordre.
Je le disais tout à l'heure, une minorité d'entre eux a obtenu une autorisation temporaire. Il s'agit des praticiens recrutés avant le 3 août 2010 et répondant à certains critères précis. Ils peuvent ainsi exercer leur activité, mais à condition d'être placés sous la responsabilité d'un professionnel de plein exercice. Leur autorisation temporaire a déjà été renouvelée par la loi en 2012 et en 2016. Elle doit prendre fin le 31 décembre 2018, ce qui impliquerait que 350 praticiens environ ne seraient plus autorisés à exercer au 1er janvier 2019. L'article 42 de la loi asile et immigration prévoyait de prolonger le dispositif transitoire actuel, mais, en septembre dernier, le Conseil constitutionnel a censuré cet article au motif qu'il s'agissait d'un cavalier législatif.
M. le rapporteur a donc accepté, à la demande du Gouvernement, de défendre selon la procédure accélérée, quelques jours avant la date fatidique, la présente proposition de loi, qui vise à prolonger le dispositif transitoire de deux ans, jusqu'au 31 décembre 2020.
Mais le vote arrive trop tard : une grande partie des praticiens concernés par la loi ont déjà été victimes d'une rupture de contrat, les contrats devant être renouvelés trois mois à l'avance et la fin de l'autorisation d'exercice ayant été initialement prévue pour le 1er janvier 2019. Selon le syndicat des PADHUE, cette conséquence de la mauvaise anticipation de la fin d'autorisation pourrait avoir touché 1 000 praticiens, même si le chiffre est très difficile à estimer étant donné l'hétérogénéité de leurs profils et leur dispersion sur le territoire.
Par mesure d'urgence, nous voterons donc pour la proposition de loi, mais déplorons le contexte dans lequel elle est examinée.
Enfin, je le rappelle une fois encore, le texte ne concerne qu'une petite minorité des praticiens diplômés hors Union européenne. Pour tous les autres, la procédure par concours dit de liste A est beaucoup trop restreinte pour qu'ils puissent obtenir le statut, et elle ne convient pas à tous ceux qui souhaitent faire reconnaître leur expérience sur le territoire français, parfois longue de plusieurs années. Il est plus que temps de trouver une solution pérenne qui mette fin à leur exploitation.
Le 17 novembre dernier, ils manifestaient devant le ministère de la santé pour demander leur régularisation et l'amélioration de leurs conditions de travail. Ils étaient soutenus dans leur lutte par tous leurs confrères. Leur demande est simple et légitime : ouverture de postes, validation des acquis, épreuves de vérification des connaissances, remise à niveau si besoin et régularisation de tous les PADHUE sur une période suffisamment longue, de sept ans idéalement.
Vous nous promettez, monsieur le rapporteur, que le projet de loi santé qui sera présenté l'an prochain leur apportera une solution. Je vous ai également entendue à ce sujet, madame la secrétaire d'État. Vous le savez, ce texte suscite énormément d'attentes, car il concernerait cette fois l'ensemble des praticiens diplômés hors Union européenne. Le syndicat des PADHUE, que nous avons pu contacter, est très optimiste, mais aimerait beaucoup pouvoir participer à l'élaboration de la loi, à propos de laquelle il redoute plusieurs choses.
Premièrement, qu'aucun représentant des PADHUE n'intègre les commissions qui seront chargées de la régularisation des médecins, alors que leur présence est indispensable pour garantir la clarté et la sincérité des échanges lors de l'examen des dossiers.
Deuxièmement, que le délai envisagé pour la régularisation soit d'une année seulement : si la clôture de la période intervient trop tôt, on peut craindre, en effet, que des centaines de praticiens se trouvent à nouveau hors des clous.
Troisièmement, il est question de laisser à la commission de régularisation la possibilité de rejeter les demandes de certains praticiens alors qu'ils exercent depuis des années en France. Il faut, au contraire, faire en sorte que tous ces praticiens puissent rester sur le territoire, moyennant une période de consolidation s'il le faut.
Enfin, le syndicat espère vivement que la loi instaurera une grille de rémunération juste pour que cessent les inégalités salariales ente les praticiens diplômés à l'étranger et leurs confrères.
Dans l'attente d'un futur texte qui apporte une véritable avancée, nous voterons pour la présente proposition de loi.