Les praticiens médicaux de nationalité étrangère à diplôme hors Union européenne sont environ 4 000 dans notre pays. La proposition de loi dont nous avons à discuter vise à prolonger jusqu'au 31 décembre 2020 le dispositif transitoire d'exercice qui les habilite à exercer dans les établissements participant au service public hospitalier.
Si nous ne le faisons pas – un peu dans l'empressement – , nous serons confrontés à un vide juridique qu'ils seront les premiers à subir, car ils pourraient se retrouver dans l'illégalité dès le 1er janvier, et qui perturberait fortement le fonctionnement des établissements de soins, tout particulièrement celui des hôpitaux. Imaginons un seul instant, dans la situation actuelle d'asphyxie aggravée de l'hôpital public, que ces 4 000 praticiens et praticiennes soient interdits d'exercice ! N'aurait-il pas été possible de s'épargner les incertitudes et les inquiétudes liées à cette question de droit ? En effet, chacun est conscient du rôle fondamental que ces praticiennes et praticiens jouent dans nos établissements de soins : ces médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes et sages-femmes sont indispensables dans de nombreux services.
Cette situation est symptomatique de l'état de notre système hospitalier et, plus précisément, d'une question escamotée depuis trop longtemps et qui ne peut plus l'être : depuis que le choix a été fait d'imposer un numerus clausus et de renoncer à former un nombre suffisant de médecins, notamment dans le but – pas toujours explicité – de limiter les dépenses de santé, nous courons toujours davantage après le personnel médical pour faire face aux besoins. Pour ne pas décourager les vocations, il faudra se garder de s'en tenir à la suppression du numerus clausus et se donner les ambitions et les moyens de former beaucoup plus de personnel médical.
Les déserts médicaux s'étendent, les petits hôpitaux ont de plus en plus de mal à recruter et ce n'est pas beaucoup plus facile pour les gros. Un marché de praticiens intérimaires a ainsi émergé, sur lequel on peut s'interroger. L'État a cherché des solutions pour pallier les manques éventuels d'offre de soins dans nos régions, en retardant toujours plus les décisions à prendre ; l'une des solutions retenues fut d'ouvrir la profession médicale aux médecins ayant obtenu leur diplôme dans un pays membre de l'Union européenne. C'est dans cette perspective qu'une directive européenne datant de 1975 leur a permis de pratiquer librement la médecine en France. Mais les candidats ont été peu nombreux à venir s'installer sur le territoire français et n'ont occupé qu'une faible partie des postes vacants dans les hôpitaux.
La France s'est alors décidée, dès les années 1980, à chercher à attirer des praticiens à diplôme hors Union européenne. Nous avons donc clairement sous-traité la formation de médecins à des pays qui en avaient autant besoin que nous, et nous les avons cantonnés dans un statut extrêmement précaire, avec de faibles salaires et des contrats de courte durée, sans véritable espoir d'évolution de carrière. Dès lors, malgré tout, ces personnels – les PADHUE, comme il est d'usage de les nommer – se sont très vite rendus indispensables dans les établissements où ils exercent, d'autant plus qu'ils sont extrêmement compétents.
En effet, rappelons-le, pour pouvoir exercer en tant que docteur en médecine inscrit à l'ordre des médecins, ils doivent être titulaires d'un diplôme, certificat ou autre titre permettant l'exercice de la médecine dans le pays d'obtention et se soumettre à la procédure d'autorisation d'exercice de liste A ou B.
La procédure d'autorisation d'exercice offre toutefois un nombre de places limité dans le cadre d'un concours dont la difficulté n'est plus à démontrer. J'ai évoqué en commission le cas d'une femme diplômée en Algérie, oto-rhino-laryngologiste en Île-de-France et membre du SNPADHUE, le syndicat national des praticiens diplômés hors Union européenne. Elle raconte avoir raté le dernier concours où elle s'est classée à la quatrième place pour trois postes, avec une moyenne de dix-huit sur vingt : on voit l'étroitesse du recrutement actuel, et ce n'est pas un cas isolé. De l'avis de tous les professionnels du secteur, ce faible nombre de places disponibles – 500 en 2017 – constitue un problème : des praticiens talentueux échouent au concours alors même qu'ils contribuent déjà, de fait, à la survie de nos services publics, sous de multiples aspects.
Le législateur, conscient des difficultés que rencontre ce personnel et de son importance, s'est résolu une première fois à remédier à cette situation. La loi de financement de la sécurité sociale de 2007 a ainsi instauré un dispositif temporaire d'autorisation d'exercice, grâce auquel tous les praticiens recrutés avant le 3 août 2010 et ayant travaillé au moins trois ans dans un établissement de santé public ou privé d'intérêt collectif peuvent exercer leur activité sous la responsabilité d'un professionnel de plein exercice. Ces praticiens sont ensuite invités à passer un examen professionnel composé d'épreuves de vérification des connaissances et de maîtrise de la langue française. Ils sont inscrits sur liste C, ce qui leur permet de poursuivre l'exercice de leur métier pour le plus grand bonheur de notre service public.
C'est précisément ce personnel qui est visé par la proposition de loi : elle devrait sécuriser la situation d'environ 1 000 praticiens formés hors de l'Union européenne, arrivés avant août 2010, mais qui n'ont pu passer le concours permettant leur régularisation, ainsi que 3 000 autres praticiens arrivés après 2010, mais qui n'ont pas réussi le concours. L'extension de cette autorisation apporte un soulagement aux praticiens concernés et aux hôpitaux qui les emploient. Il convient effectivement de régulariser leur situation pour le bien-être de toutes et tous.
Néanmoins, nous considérons cette prolongation en urgence comme un simple préalable, à l'instar du SNPADHUE qui, mécontent de l'instabilité du dispositif, a organisé, le 15 novembre, une manifestation devant le ministère des solidarités et de la santé. Il est grand temps que le sujet suscite une réflexion approfondie. De ce point de vue, le rejet d'une disposition dont on a jugé qu'elle constituait un cavalier législatif de la part du Gouvernement – une très vilaine pratique ! – aura au moins eu la vertu d'inciter au débat et de braquer le projecteur sur cet état de fait. Il convient de réfléchir à la possibilité d'une situation plus pérenne.
Nombre de médecins étrangers racontent, en effet, exercer au même titre que les médecins français, tout en étant moins bien rémunérés qu'une aide-soignante – une réalité très mal vécue que décrit Hippocrate, le film de Thomas Lilti. Cette rupture d'égalité est malsaine et d'autant plus injustifiable que les politiques publiques en sont les premières responsables.
À l'heure où s'annoncent de nombreux départs à la retraite parmi les praticiens hospitaliers – selon les estimations du centre national de gestion des praticiens hospitaliers, 31 % du corps hospitalier sera concerné en 2020 – , il apparaît essentiel que les PADHUE puissent bénéficier d'un statut décent, et indispensable qu'un plus grand nombre de postes soient disponibles au concours. En 2017, je le répète, seuls 500 postes ont été ouverts, ce qui a été considéré comme nettement insuffisant par les syndicats. Cette restriction prive notre service public hospitalier de praticiens et de praticiennes compétents et compétentes, souvent désabusés parce qu'ils exercent déjà, forment du personnel et sauvegardent un service public à l'agonie. Notre pays se doit de traiter de la meilleure manière ces personnes indispensables au bon fonctionnement de notre système de santé, déjà très meurtri par un manque cruel de moyens.
Je veux saluer le travail engagé par notre rapporteur et suis certain qu'il ne s'arrêtera pas là. S'il convient, en définitive, de voter pour la proposition de loi afin de réagir à l'urgence, nous considérons que la situation des PADHUE exige de notre assemblée une réflexion conduisant à l'instauration d'un meilleur statut. Tel sera l'un des multiples enjeux de la prochaine loi santé, à propos de laquelle les députés communistes et le groupe de la Gauche démocrate et républicaine ne manqueront pas d'être vigilants et force de proposition.