Intervention de Dominique Potier

Réunion du mardi 4 décembre 2018 à 16h35
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, rapporteur :

À mon tour d'exprimer ma gratitude envers le président de la mission, ma co-rapporteure Mme Anne-Laurence Petel, les services de l'Assemblée, et toutes les personnes que nous avons rencontrées, sur le terrain et ici. Leur passion pour la question foncière nous a éclairés et habités pendant ces quelques mois.

En préambule, je voudrais exprimer ma fidélité à l'égard de deux héros de mon enfance et de ma jeunesse politique. Edgard Pisani, né il y a un siècle, fut, après la guerre, le grand architecte des politiques foncières qui ont marqué notre civilisation rurale et notre nation. Nous lui devons énormément. Il est un des hommes d'État qui pourraient nous inspirer aujourd'hui. Henri Burin des Roziers, mort il y a un an, a consacré sa vie à lutter aux côtés des paysans sans terre brésiliens. Au péril de sa vie, il a combattu pour que ceux-ci accèdent à un minimum de dignité et de droits. Enfin, pour en revenir aux territoires, aux militants, aux paysans et à l'élu local que j'ai été, je voudrais rendre hommage à ceux qu'on a appelés dans notre région, mais aussi dans l'Ouest, les « partageux », et qui considéraient que la terre n'était pas une marchandise mais un bien commun à partager afin de permettre à tous de vivre dignement.

Cela fait maintenant cinq ans qu'avec quelques députés, de la majorité d'alors, nous avons été aiguillonnés sur le terrain et nous avons découvert les dérives d'un système fondé après-guerre, qui montrait partout sa fragilité. Nous avons été les premiers à identifier l'apparition de failles législatives, l'arrivée d'investisseurs étrangers et d'une agriculture de firme, ainsi qu'une forme d'incurie dans l'incapacité à limiter l'artificialisation de nos sols. Nos démarches ont conduit, dès 2013, au dépôt d'une proposition de loi visant à inscrire un volet foncier dans la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Un peu plus tard, à la suite de l'émotion suscitée par l'arrivée d'investisseurs chinois dans l'Indre puis dans l'Allier, nous avons voulu remobiliser la société civile en déposant des amendements à la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 ». J'ai ensuite eu l'honneur de défendre, en mars 2017, une proposition de loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle, qui a été en partie censurée à la suite d'une saisine du Conseil constitutionnel. Nous étions donc dans l'impasse. Même si chaque progrès avait été une avancée, le problème nous semblait devoir être repris dans sa globalité. Tel est le but même de cette mission. Je remercie le président Roland Lescure et la majorité d'avoir accepté sa création.

Tous les travaux de la mission et tous ceux conduits en parallèle – je pense à l'étude « Agrimonde Terra » menée par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), aux alertes de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), aux travaux des États généraux de l'alimentation, aux déclarations du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) il y a quelques semaines – vont dans le même sens. Ils disent que la terre est un bien hors du commun, en ce qu'elle joue un rôle capital non seulement pour l'avenir économique de nos territoires, mais aussi pour notre souveraineté alimentaire, avec les 10 milliards d'humains qu'il faudra nourrir à l'horizon 2050. Elle joue un rôle très important dans la captation du carbone et la résilience climatique. Rappelons que 90 % de la biodiversité se trouve dans le sol et non au-dessus du sol !

Pour toutes ces raisons, notre devoir était de faire des propositions qui ne se paient pas de mots, qui ne soient pas des demi-mesures, mais qui prennent les problèmes à la racine et proposent de véritables régulations publiques, afin que ce bien naturel ne soit pas considéré comme une marchandise comme les autres, afin que l'espace rural ne devienne pas un supermarché low cost et que nous retrouvions l'esprit de régulation. Celui-ci n'a jamais été contraire à l'esprit d'entreprise et à l'innovation des territoires. Je dirai même que les régulations de la puissance publique sont aujourd'hui la condition indispensable à l'innovation territoriale et à l'esprit d'entreprise du monde paysan.

Les propositions que j'ai formulées sont articulées autour de trois propositions : partager, protéger et anticiper, auxquelles s'ajoute une série de propositions transversales.

Il me semble que la clé de voûte de toute politique foncière est la reconnaissance des actifs agricoles comme acteurs prioritaires de l'usage et de la propriété foncière. Il faut définir ce qu'est un paysan au XXIe siècle. De même qu'Edgard Pisani avait dit dans les années 1960 ce qu'était un exploitant familial, nous devons dire ce qu'est l'entreprise agricole du XXIe siècle. Nous nous risquons, aux côtés de la profession, à faire une proposition que vous retrouverez dans le rapport.

Il nous faut sortir de la clandestinité quant au travail à façon, ce travail délégué, forme de concentration productive qui ne dit pas son nom et qui passe inaperçu de tous les radars du contrôle des structures. Nous proposons de l'inscrire dans le code rural et de la pêche maritime afin de documenter tous les compartiments du droit : social, rural et européen.

Il faut moderniser le contrôle de l'État et préparer une relève, retrouvant l'esprit sur nos territoires des opérations groupées d'aménagement foncier réalisées jusque dans les années 2000.

Il faut rétablir l'égalité de droits. Nous sommes aujourd'hui face à un scandale public qui fait qu'il y a deux poids, deux mesures : des sociétés qui s'affranchissent totalement des réglementations, d'autres qui y sont soumises. Le phénomène sociétaire capitaliste qui passe en dessous des radars doit absolument être contré. Je propose trois voies : lever le verrou constitutionnel, laquelle nous semble la plus porteuse, et deux voies de recours, qui sont le contrôle de la prise de participations sociétaires et l'activation des outils du droit de la concurrence.

Il nous faut étendre au foncier agricole le contrôle public des investisseurs étrangers si nous ne voulons pas subir à nouveau des investisseurs que nous ne contrôlons pas. Je ne tranche pas, dans le rapport, la question de l'interdiction ou non des investissements étrangers. Je dis seulement qu'ils doivent être contrôlés car, comme les aéroports ou les ports, la terre de France doit d'abord être orientée vers un dessein collectif élaboré au sein de la Nation.

Il nous faut moderniser les instruments publics, avec deux versions. L'une, radicale, soumise au colloque universitaire de Poitiers qui a éclairé nos travaux, est la création d'une autorité publique qui reprenne l'ensemble des compétences de contrôle, de préemption et de portage du foncier. L'autre est l'élargissement des missions des SAFER. À chaque fois, des contrepoints sont organisés.

Je passe sur les rapprochements nécessaires entre les EPF et les SAFER pour en arriver rapidement à une proposition budgétaire, la création d'une épargne verte, via un livret vert, qui accompagne la relève générationnelle et la mutation agroécologique. Elle serait orientée vers trois séries de propriétaires privilégiés : les paysans eux-mêmes et leurs familles, les groupements fonciers agricoles (GFA) territoriaux, les collectifs citoyens comme Terre de Liens et, bien sûr, les collectivités locales qui, elles aussi, peuvent jouer un rôle transitoire ou de long terme dans le portage du foncier. Nous aurions ainsi un capitalisme citoyen et populaire qui pourrait résister aux desseins des pratiques spéculatives.

Nous proposons de maintenir les principes du fermage en les réaffirmant comme une idée neuve. En 1946, Tanguy Prigent, dont les idées doivent toujours nous inspirer, affirmait que le travail et l'esprit d'entreprise doivent être protégés face à celui de la propriété. L'équilibre doit être rénové tout en conservant les fondamentaux.

Concernant la protection, nous demandons que soient mis en place des outils de mesure de l'artificialisation des terres à l'échelle nationale et planétaire, et nous plaidons, plus loin, pour un principe de neutralité qui s'appuierait sur l'article L. 110-1 du code de l'urbanisme. Les sols seraient classés au même niveau de protection que l'eau et les sites dans le patrimoine commun de la nation.

Cette neutralité quant à la dégradation des terres s'accomplirait grâce à une restriction des terrains à bâtir, à une révision des zones d'urbanisme – les zones agricoles protégées, les ZAP, seraient la règle et non plus l'exception –, à la couverture de l'ensemble du territoire national par des PLUI et des SCoT, avec des révisions d'inspiration « grenellienne » qui réduiraient ou, à défaut, compenseraient la part artificialisée.

Nous demandons enfin que les règles d'urbanisme soient remises en cohérence. Nous proposons d'effacer l'effet spéculatif par un jeu de normes et de réinvestir dans la recherche d'une densité urbaine dans les bourgs et les villages, qu'il faut accompagner par des programmes de recherche et des aides budgétaires. Ces propositions sont détaillées dans nos documents.

Concernant l'anticipation, nous formulons trois grandes propositions.

La première consiste à simplifier l'ensemble de la gouvernance territoriale. Les questions de foncier ont été jusqu'à présent, pour l'essentiel, un dialogue entre l'État et le monde paysan. Ce temps est révolu. Les deux acteurs se sont épuisés dans cette gouvernance commune. Nous proposons d'introduire une triangulation en remettant le territoire au centre et en faisant du SCoT le cadre et le creuset de l'ensemble de la gestion du foncier, qu'il s'agisse de la propriété ou des usages de celui-ci.

Nous proposons une réforme de la Constitution s'inspirant des principes du bien commun, de la sécurité alimentaire ou de l'intérêt général, pour mettre fin à la toute-puissance de règles qui, aujourd'hui, privilégient exclusivement la liberté d'entreprise et la propriété.

Nous formulons également des propositions pour que la politique agricole commune (PAC) ne soit plus une prime à l'agrandissement des exploitations, et privilégie plutôt un grand programme de recherche sur la qualité, la remédiation et la sauvegarde de nos sols, s'inscrivant, à l'échelle européenne, dans la dynamique du « 4 pour 1 000 » lancées par M. Stéphane Le Foll lorsqu'il était ministre de l'agriculture.

À l'échelle mondiale, nous demandons la réciprocité. Si nous refusons chez nous des investisseurs étrangers sans foi ni loi, nous devons interdire à nos propres sociétés d'investir dans les pays tiers où règnent des pratiques équivalentes.

Enfin, nous appelons de nos voeux un programme de coopération, piloté par l'Agence française de développement (AFD), et visant à conforter les économies fragiles des pays en voie de développement en dotant les paysanneries locales d'un droit rural à la hauteur de leurs attentes.

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