Intervention de Dominique Potier

Réunion du mardi 4 décembre 2018 à 16h35
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, rapporteur :

Madame de Lavergne, il ne s'agit pas uniquement de réparer. Nous avons commencé à le faire sous la dernière législature, mais c'était très insuffisant. Il faut refonder, dans l'esprit de ce qui a été fait il y a près de soixante-dix ans.

Les sols peuvent être victimes de trois maux : l'artificialisation, l'accaparement, c'est-à-dire la concentration abusive et démesurée par rapport à la réalité du territoire et au sens commun, et l'appauvrissement, qui a été peu évoqué. Sur 100 hectares, on a tendance à se focaliser sur l'hectare artificialisé, mais c'est oublier qu'en perdant leurs qualités agronomiques, les 99 hectares restants ne joueront plus leur rôle de potentiel alimentaire, alors que la population mondiale devrait atteindre 10 milliards en 2050, ni leur rôle de captation du carbone, qui compte énormément dans la résilience climatique, et qu'ils appauvriront la biodiversité.

M. Leclerc a demandé s'il valait mieux agir localement ou de façon universelle. C'est l'une des différences que j'ai avec ma co-rapporteure. Une loi universelle n'a jamais empêché la singularité locale, mais sans loi universelle la compétition des territoires éclipse le bien commun et l'intérêt général. Ce qui se passe aujourd'hui au Burkina Faso a autant de conséquences pour nous que pour le Burkina Faso, et réciproquement. Je ne peux me complaire dans un récit de l'Occitanie, du Grand-Est ou de la Bretagne qui serait indifférent à l'intérêt national et à l'intérêt universel. Nous avons besoin de lois pour fixer des objectifs. Plus précisément, il revient à l'État, au nom de l'intérêt général, de prescrire la neutralité en matière de dégradation des terres, et il revient aux territoires de mettre en oeuvre cette injonction au nom de la survie de l'humanité, de façon intelligente, par des mécanismes de compensation ou de régulation adaptés à chaque situation. Les lois foncières n'ont jamais été appliquées de manière univoque sur l'ensemble du territoire. Elles concourent toutes à renouveler les générations, à assurer la souveraineté alimentaire et l'aménagement du territoire.

Nous n'en sommes plus à faire des expérimentations, puisque l'expérience est tirée. À l'heure où des forces économiques prédatrices nuisent à l'intérêt général et empêchent le renouvellement des générations, il nous faut faire des choix.

Monsieur Chassaigne, un consensus existe pour maintenir la SAFER, qui exerce une fonction importante et innovante. Autorité publique intervenant sur un marché, elle représente le type même de mécanisme de régulation qui nous est cher. La question est de savoir si l'on doit tout concentrer sur une autorité publique avec, pour contre-pouvoir, un collège des collectivités locales et du monde paysan, ou s'il convient d'attribuer aux SAFER plus de prérogatives, notamment dans l'instruction du contrôle des structures, ce qui suppose un contrôle accru de l'État. Il faut arbitrer, sachant que la modernisation et le renforcement de la puissance publique nous réunissent, ce dont je me réjouis.

S'agissant des énergies renouvelables, ce qui était visé dans une phrase laissée volontairement ambiguë – car le débat reste ouvert – c'est le solaire au sol. Je suis clairement pour son interdiction. Pour ce qui est de la méthanisation, je suis très vigilant quant à l'éventuelle compétition entre alimentaire et énergies renouvelables, qui serait un combat mortifère pour notre pays. L'éolien, qui pose moins de problèmes de ce genre, n'était pas visé par mes propos.

M. Turquois a pointé la rétention foncière, peu évoquée jusqu'à présent. Par défiance envers le fermage et à cause de différentes stratégies de recherche de plus-value et d'appât du gain, la progression des surfaces résultant d'une rétention foncière est supérieure à celle liée à l'artificialisation. Ce sont autant de terres indisponibles pour l'agriculture. C'est un sujet trop peu documenté, sur lequel nous avons reçu des alertes de la profession agricole lors de tous nos déplacements. La rétention foncière pour des motifs de jouissance personnelle de biens ou de pratiques, comme le dénonce à juste titre M. André Chassaigne à propos des chalets de montagne, est un vrai sujet. Il n'a pas été réglé, faute de sécurité juridique des dispositions prévues dans l'excellente proposition de loi de notre collègue M. Pahun. Comme pour la conchyliculture, c'est typiquement un sujet qu'il nous faut aborder et trancher, en faisant le choix de la production agricole plutôt que celui des loisirs et de l'acquisition par des professionnels. C'est le sens de la définition de l'actif agricole qui, si elle n'est pas obtenue, laissera le champ libre à tous les mécanismes de contournement.

Monsieur Herth, je porte la même admiration que vous aux jeunes agriculteurs de l'époque, issus de la Jeunesse agricole catholique (JAC). Je voudrais rendre hommage au gaullisme historique, qui avait le sens de l'intérêt à long terme dont nous aurions sacrément besoin aujourd'hui, et au christianisme social qui a inspiré le mouvement paysan qui nous est cher à tous les deux. Je pensais qu'Edgard Pisani représentait une sorte de synthèse. Merci de me rappeler à une réécriture plus juste de l'histoire… Nous avons les mêmes passions, elles ne nous opposent pas, tout comme ne nous oppose pas votre proposition d'un livret vert. À l'époque, je n'étais pas ministre de l'agriculture (Sourires), mais votre proposition m'avait aiguisé, et nos dialogues sur la lutte contre la dépendance à la phytopharmacie nous ont amenés à nous passer des relais dans les années précédentes. Je me réjouis que vous ayez en partie inspiré cette proposition.

Concernant les communes, il ne faut pas se payer de mots. Si nous avons fait les PLUI dans la loi du 20 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) et les SCoT dans la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), c'est parce que nous avions conscience que le ban communal n'était pas la bonne échelle. Il ne pouvait en effet s'affranchir du conflit d'intérêt, et la compétition des communes était délétère, surtout avec une croissance démographique atone. Il nous fallait penser autrement et redéfinir la planification à une échelle pertinente. Il faut choisir : si l'on défend l'intérêt communal en la matière, on ne peut pas défendre la lutte contre l'artificialisation des terres. Nous avons clairement choisi l'échelle intercommunale et même la planification intercommunautaire comme outil de régulation non seulement du foncier, mais aussi de ses usages.

M. Ruffin a retenu la première partie de la matinée, qui était consacrée au diagnostic, et il se rappellera que, dans le Toulois, nous avons créé un GFA territorial pour installer deux viticulteurs sur cinq hectares défrichés. L'ensemble des friches industrielles, hospitalières et militaires sont reconverties et ont permis de rendre à l'agriculture des surfaces équivalentes. C'est une des fiertés du territoire dont j'étais un des élus et dont je suis aujourd'hui député.

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