Intervention de Catherine Procaccia

Réunion du jeudi 6 décembre 2018 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Catherine Procaccia, sénateur, vice-président de l'Office, rapporteur :

L'enjeu de la présente note est d'établir un bilan de l'exploration de Mars et de tracer des perspectives pour l'avenir. Mars n'a jamais cessé de faire rêver le grand public et de fasciner les scientifiques. Elle tire son nom du dieu de la guerre, en raison de son mouvement apparemment erratique vu depuis la Terre, et de sa couleur rouge, due aux poussières riches en oxydes de fer qui couvrent sa surface.

En 1877, Schiaparelli établit une première carte de la planète, où il met en évidence des canaux artificiels, introduisant dans l'opinion, mais aussi chez certains scientifiques, l'idée qu'ils auraient pu être construits par une civilisation extraterrestre. De nombreux astronomes partageront son interprétation, comme l'Américain Percival Lowell ou le Français Camille Flammarion, qui pense Mars habitable. Ces thèses, à l'origine du mythe des Martiens, ont largement inspiré les auteurs de science-fiction. Elles ont été progressivement abandonnées par les scientifiques grâce au perfectionnement des télescopes, leur précision croissante ayant dévoilé que les canaux rectilignes n'étaient que des illusions d'optique.

Les quarante-trois missions en survol, par sondes et orbiteurs, ou sur place grâce à des atterrisseurs et des rovers, conduites depuis les années 1960, se sont traduites, pour moins de la moitié d'entre elles, par des succès, qui ont permis d'invalider définitivement la thèse des « canaux martiens ». Par ailleurs, sur les dix-sept atterrissages réussis, huit concluaient des missions réalisées par les États-Unis.

La France demeure la première puissance spatiale européenne. Elle mène des activités ambitieuses concernant Mars dans le cadre de coopérations internationales, à travers notamment la fourniture, par le Centre national d'études spatiales (CNES), d'instruments pour les programmes de la National Aeronautics and Space Administration (NASA) et de l'European Space Agency (ESA), à l'instar de ChemCam sur Curiosity, du sismomètre SEIS présent sur l'atterrisseur InSight – l'appareil étant le fruit d'une collaboration avec l'Institut de physique du globe de Paris et la société Sodern – et de SuperCam pour la future mission Mars 2020. Sont programmés à cette date l'envoi du rover ExoMars de l'ESA et la mission commune NASAESA Mars Sample Return, qui vise à rapporter des échantillons martiens sur la Terre.

Dans ce contexte, les autres puissances spatiales paraissent distancées, sans pour autant abandonner l'idée de retourner sur Mars, comme la Russie, en dépit de ses nombreux échecs, mais également le Japon et l'Inde, ou de s'y rendre pour la première fois, à l'instar de la Chine ou des Émirats arabes unis.

De l'eau se trouve sur la planète Mars sous forme de glace en surface et d'eau liquide dans le sous-sol, mais les explorations robotisées n'ont pas mis en évidence de traces de vie. Si cette dernière existe sur Mars, elle est repoussée en profondeur dans le sous-sol. Bien que la planète ne semble ni habitable ni habitée, cela a pu être le cas autrefois et cela ne veut pas dire qu'elle ne le sera plus jamais.

L'exploration humaine de Mars devient un projet crédible, bien que complexe et très coûteux. Elle demeure en effet un défi, y compris pour un simple vol orbital, en raison de difficultés techniques et logistiques et d'un risque élevé pour la vie et la santé des astronautes. Après le lancement et l'assemblage de divers équipements spatiaux, il faudra gérer une mission longue de 640 à 910 jours, dont six à neuf mois pour le seul trajet aller, avec de rares fenêtres de lancement et des besoins inédits en énergie, notamment en carburant, en oxygène, eau, nourriture et équipements divers, par exemple pour la gestion des déchets. En outre, la question du retour reste sensible, car le décollage sera plus délicat que celui qui est opéré depuis la Lune, en raison d'une gravité martienne plus importante. Cette contrainte aura notamment des conséquences sur les besoins en carburant. Un lanceur de grande taille, décollant dans une fenêtre de lancement précise et à partir d'un emplacement remplissant des conditions spécifiques, sera ainsi nécessaire. D'un point de vue sanitaire, se pose la question des effets de l'impesanteur sur une longue durée, des éruptions solaires et des rayonnements cosmiques. Sur le plan psychologique, l'équipage sera soumis à un stress intense dans un volume habitable restreint, sur un temps long et sans possibilité d'assistance en temps réel depuis la Terre, en raison de délais de communication qui pourront aller jusqu'à vingt minutes.

Le coût des missions sur Mars représente plusieurs dizaines de milliards d'euros en cas de vol habité, alors que les bénéfices pour la science, nos sociétés et nos économies ne semblent pas valoir un tel investissement. Les motivations symboliques ou politiques jouent un rôle déterminant par rapport aux objectifs scientifiques, que remplissent les robots pour un moindre coût. Je recommande donc de privilégier les missions robotisées sur Mars, de faire de l'exploration humaine un objectif de long terme et de conserver un équilibre entre l'exploration de Mars et celle du reste du système solaire. En outre, le CNES doit continuer à fournir, avec nos laboratoires spatiaux, des instruments essentiels à la pointe de la technologie. Le rôle de puissance spatiale de la France doit être conforté au travers de l'ESA ainsi que dans des accords de coopération équitables avec les autres puissances spatiales.

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