Intervention de Jean-Paul Dufrègne

Séance en hémicycle du lundi 17 décembre 2018 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Dufrègne :

La période que nous traversons est historique. Nous pouvons être fiers de notre pays, fiers qu'il reprenne de la sorte goût à la politique et à la chose publique. Nos débats dans cet hémicycle, surtout sur les sujets financiers, prennent bien souvent une tournure technique, technicienne – les nouveaux venus dans cette assemblée, dont je fais partie, l'auront très rapidement constaté.

Mais derrière ces atours techniques, complexes et a priori neutres, ce sont des choix politiques qu'on trouve !

Nous pouvons nous réjouir de voir notre pays reprendre en main la chose fiscale : quel modèle fiscal voulons-nous ? Comment financer l'action publique ? Comment garantir le bon fonctionnement des services publics sur tout le territoire ? Et, surtout, comment remettre la justice au coeur de notre système fiscal ?

Nous assistons bel et bien au retour fracassant du peuple dans nos débats budgétaires. Cela est salutaire, mes chers collègues. Les questions posées par le mouvement des gilets jaunes portent, au fond, sur les fondamentaux de toute société démocratique. L'impôt nous permet de nous organiser en tant que communauté de destin. Si la question de l'impôt et du consentement à l'acquitter est de nouveau posée dans notre pays, c'est bien que nos concitoyens ont atteint un point de non-retour, exprimant un sentiment d'injustice inégalé.

L'injustice, des inégalités qui s'accentuent encore, le sentiment d'un deux poids deux mesures et celui d'un État qui prend à ceux qui ont peu pour donner à ceux qui ont tout, voilà ce qui ressort des paroles prononcées sur les ronds-points et dans les cortèges des manifestants, et voilà ce qui explique le large soutien de la population à ce mouvement inédit. Pourtant, certains, ici, jusqu'au plus haut sommet de l'État, tentent de surfer sur la vague d'un prétendu ras-le-bol fiscal, matraquant l'opinion publique de leurs sempiternelles ficelles néolibérales, vieilles comme le vieux monde, et instrumentalisant le mouvement social afin de saper toujours davantage le rôle de la puissance publique.

Les formules chocs, on les connaît : la France est le pays champion du monde de la dépense publique ; la France est le pays champion d'Europe des prélèvements obligatoires ; la France est le pays qui frise les 100 % de dette publique, lesquels menacent l'avenir des générations futures.

Notre pays, mes chers collègues, a fait le choix d'un modèle social protecteur, accordant un soutien à celles et ceux qui rencontrent des difficultés, subissent des accidents de la vie ou quittent le monde du travail. Pour ma part, à aucun moment je n'ai entendu, ces derniers jours, des voix appelant au détricotage de ce modèle, bien au contraire. Nos concitoyens sont conscients que le modèle alternatif, celui du tout privé, du chacun pour soi, celui de la charité, celui des fonds de pension, celui des assureurs privés, leur coûtera. Ou il sera plus cher, ou il offrira moins de garanties, ou les deux à la fois !

Le cri de la colère que nous entendons, c'est celui de l'égalité, de l'égalité fiscale et de l'égalité territoriale. La hausse de la fiscalité sur les carburants a été la goutte d'eau qui a fait déborder un vase déjà très largement rempli. Il est difficile, pour nos concitoyens, de comprendre et d'accepter d'être prélevés à la pompe quand, dans le même temps, ils constatent, ils déplorent devrais-je dire, des inégalités qui flambent et des services publics locaux toujours plus rabougris. La fracture territoriale est malheureusement une réalité. L'Allier, mon département, comme de nombreux territoires en dehors des métropoles, en est aussi une victime !

Que l'on en soit ici tous conscients : à chaque fermeture de trésorerie, à chaque ligne de train supprimée, à chaque maternité fermée, à chaque bureau de poste qui disparaît, à chaque école amputée d'une classe, à chaque entreprise délocalisée, c'est le sentiment d'abandon qui prospère. Et quand on s'en prend autoritairement à celles et ceux qui n'ont pas d'autre choix que d'utiliser leur véhicule pour leur vie quotidienne, pour aller au travail, pour s'occuper de leurs enfants et, tout simplement, pour vivre, on met le doigt dans un dangereux engrenage qui nous mène là où nous sommes actuellement.

Le niveau des dépenses contraintes, dépenses incompressibles, dépenses obligatoires, a flambé en l'espace de quelques décennies. Elles représentaient 12 % du revenu disponible dans les années 1950 ; elles s'élèvent désormais à près de 30 %. Bien entendu, moins on est riche, plus le fardeau de ces dépenses de logement, d'électricité, de gaz, d'assurance ou d'essence, est lourd à porter. Ajouter une fiscalité punitive à ce panorama témoignait d'un manque de discernement évident et d'une déconnexion certaine des réalités quotidiennes vécues par nos concitoyens. Il aura fallu une mobilisation historique pour que l'exécutif et sa majorité daignent commencer à s'intéresser au sujet.

Toutefois, les questions de fond posées par cette mobilisation ne sont pas réglées par cette seule annulation des hausses de taxes des carburants. Mettre la poussière sous le tapis ou faire comme si rien ne s'était passé serait irresponsable. S'il y a bien un indicateur que nous devons avoir en tête au moment d'aborder la nouvelle lecture de ce projet de loi de finances pour 2019, c'est le suivant : en dix ans, au nom de la crise financière, au nom de la sacro-sainte compétitivité de l'économie française et au nom de l'Europe, l'accumulation des réformes fiscales s'est traduite par un transfert massif du poids de l'impôt sur les entreprises vers les ménages.

En clair, entre 2008 et aujourd'hui, les entreprises contribuent moins au financement de l'action publique : ce sont les ménages qui ont réglé la note. Nous n'avons eu de cesse de dénoncer cette dérive injuste, au plan social, et inefficace, au plan économique, compte tenu de la situation de l'emploi dans notre pays et de celle du pouvoir d'achat. Les chiffres publiés par la revue Alternatives économiques sont stupéfiants. Entre 2008 et 2017, en volume, les impôts des entreprises ont augmenté de 6,4 %, soit bien moins que le PIB. Pour les ménages, ce volume a progressé de 22 %, c'est-à-dire trois fois plus.

Or vous nous proposez d'aller encore plus vite et plus fort, avec la baisse de l'impôt sur les sociétés, le doublement du CICE en 2019, pour 40 milliards d'euros, et les baisses et autres suppressions de cotisations sociales patronales. Il n'est donc pas étonnant que le pacte social se fissure, se déchire même, surtout que, s'agissant des ménages, vos mesures ont plutôt, et c'est un euphémisme, tendance à bénéficier au petit nombre, aux privilégiés, aux fameux « premiers de cordée ».

Acculé, le dos au mur, le Président de la République a multiplié les mesures en trompe-l'oeil dans son allocution de lundi dernier. Hausse du SMIC ? Non, revalorisation de la prime d'activité, car cette mesure ne doit pas coûter à l'entreprise : telle est votre condition sine qua non ! Et tant pis si l'on fait payer la mesure par les contribuables, tant pis si celle-ci vous oblige à construire une véritable usine à gaz.

La désocialisation et la défiscalisation des heures supplémentaires constituent, pour leur part, des resucées éculées en matière budgétaire et fiscale. On attendait plus innovant de la part du nouveau monde ! Pour les retraités, enfin, le correctif proposé était nécessaire. Attention, toutefois : dans cette affaire, deux fois un ne font pas deux. La prise en compte du revenu fiscal de référence pour le calcul du taux de CSG engendrera de nombreuses déceptions pour des couples de retraités percevant moins de 2000 euros de pension par mois.

Vient désormais le temps du financement de ces mesures : 10 milliards d'euros sont à trouver, 10 milliards qui manquent, en l'état, au budget qui nous est soumis aujourd'hui. Le principe de sincérité budgétaire attendra.

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