Alors que nous commencions l'examen en première lecture du projet de loi de finances pour 2019, les chants des cortèges de la marche pour le climat et les inondations meurtrières dans l'Aude nous ont rappelés collectivement à l'urgence d'infléchir durablement notre modèle de croissance, de verdir notre fiscalité et de mobiliser des crédits budgétaires substantiels pour engager le pays dans la transition énergétique.
Aujourd'hui, alors que nous examinons en nouvelle lecture ce même projet de loi de finances, la France vient d'être traversée par un mouvement puissant : elle s'est convulsée dans des violences aussi inédites qu'inacceptables et a été constellée de ronds-points drapés de jaune. C'est l'expression d'une colère rentrée depuis des décennies, qui nous oblige à nous rendre à l'évidence : il n'y a pas de réforme possible quand la justice sociale n'est plus au rendez-vous, il n'y a pas de réforme possible quand la confiance dans les institutions démocratiques est dégradée.
Cette colère est-elle la manifestation d'un rejet de la transition écologique ? Ce n'est pas notre analyse. Les Françaises et les Français savent bien que le carbone et les particules fines mettent en danger leur santé et celle de leurs enfants, ainsi que la biodiversité, à laquelle ils sont attachés. Ils savent bien que les principaux postes de leur budget familial – le logement et les transports – sont trop largement dépendants du carbone et des énergies fossiles.
Pour accompagner cette transition et populariser l'écologie, il fallait donc prendre des mesures. Le Président de la République, le Premier ministre et le Gouvernement ont été à la hauteur de cette responsabilité, avec la suppression des hausses de la composante carbone de la TICPE et la suspension de l'entrée en vigueur des nouvelles modalités du contrôle technique – qui étaient indispensables – , mais aussi avec l'extension du chèque énergie à 2 millions de ménages modestes, ainsi qu'avec le doublement de la prime à la conversion et son extension à celles et ceux de nos concitoyens qui sont contraints de faire de longs trajets pour aller travailler.
Mais il faudra aller plus loin : le grand débat national annoncé par le Président de la République sera l'occasion d'associer tous les Français à cette question primordiale.
Les députés du Mouvement démocrate saluent les annonces faites par le Président de la République lundi dernier : elles seront traduites dans la loi cette semaine et entreront en vigueur dès le début de l'année prochaine, grâce à la mobilisation totale du Gouvernement et des parlementaires des deux assemblées. Il s'agit de l'extension massive de la prime d'activité, pour redonner 100 euros de pouvoir d'achat au niveau du SMIC à 5 millions de salariés du privé et fonctionnaires ; de l'exonération de la hausse de CSG pour 5 millions de retraités ; de l'exonération de cotisations sociales et d'impôt sur le revenu pour les heures supplémentaires, dont 9 millions de Français devraient bénéficier ; de l'exonération, enfin, de la prime exceptionnelle de Noël, que nombre d'entreprises ont déjà commencé à verser, ou qu'elles verseront, si elles le peuvent, d'ici au 31 mars.
Sur tous les ronds-points, dans toutes les mairies, dans les permanences parlementaires et dans les rues de nos villes et de nos villages, les Français réclament plus de justice fiscale et plus d'efficacité dans la dépense publique. À quoi sert l'impôt ? Pourquoi certains, parmi les plus privilégiés, parviennent-ils à échapper à cet impôt ? Pourquoi les petites entreprises payent-elles plus d'impôt que les grands groupes internationaux ? Pourquoi les géants du numérique ne contribuent-ils pas à l'effort collectif, alors que leur activité a des incidences aussi bien économiques que démocratiques ? Le moment est venu de rectifier cette situation, de la rendre plus juste et plus équitable.
Certes, des travaux sur l'harmonisation des bases fiscales des entreprises sont en cours au niveau de l'Union européenne et dans le cadre de l'OCDE, mais nous ne pouvons plus attendre : c'est pourquoi les députés du groupe MODEM proposent d'instaurer dès l'année prochaine un taux plancher d'impôt sur les sociétés. Les entreprises réalisant un bénéfice supérieur à 100 millions d'euros, mais qui échappent à l'impôt par le jeu de déductions et crédits d'impôt divers, seraient alors redevables d'un impôt sur les sociétés minimal de 12 %.
Nous proposons aussi de mettre en oeuvre, dès aujourd'hui, une taxe sur l'activité des géants du numérique, afin de répondre aux appels incessants des manifestants sur les ronds-points, mais aussi à ceux des commerçants qui ont vu leur chiffre d'affaires s'effondrer ces quatre dernières semaines alors que les ventes d'Amazon décollaient. La contribution des GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon – à l'effort commun est une simple question de justice. Vous vous battez, monsieur le ministre, pour en faire adopter le principe au niveau européen ; nous pouvons quant à nous, comme l'ont fait l'Espagne et le Royaume-Uni, adopter ici et maintenant cette mesure juste et efficace.
Nous proposons aussi de mettre fin aux pratiques honteuses d'optimisation fiscale de certains investisseurs non-résidents, que le journal Le Monde a dénoncées cet automne. Le Mouvement démocrate a été à l'initiative d'une mission d'information sur ce sujet. Nous pouvons, dès aujourd'hui, poursuivre le travail du Sénat en instaurant une retenue à la source qui empêchera les investisseurs non-résidents d'échapper complètement à l'imposition des dividendes.
Nous proposons enfin, grâce aux recettes que je viens d'évoquer, de rééchelonner le barème de l'impôt sur le revenu afin de le rendre plus progressif, au bénéfice des classes moyennes, qui sont aujourd'hui les plus contributrices. Nous proposons notamment, par un amendement de Jean-Paul Mattei, d'instituer une dernière tranche à 49 %, pour les revenus au-delà de 150 000 euros par an.
Ces mesures de justice fiscale s'imposent, mais la confiance dans nos institutions et le consentement à l'impôt ne seront restaurés que lorsque nous aurons démontré que les deniers publics sont utilisés à bon escient.
Une proposition de résolution de nos collègues du groupe La République en marche, issue du premier printemps de l'évaluation, appelait à une révision générale des taxes à faible rendement. Vous avez répondu à cet appel, monsieur le ministre : je tiens à vous dire, à ce propos, toute notre satisfaction. Suppression d'une dizaine de dépenses fiscales inefficientes et d'une trentaine de taxes à faible rendement : toutes ces mesures s'inscrivent dans la même logique, celle de choix budgétaires qui tirent toutes les conséquences de l'évaluation systématique des politiques publiques.
Mais le travail d'évaluation doit aussi trouver sa place en amont du vote des lois. Comme cela a été rappelé il y a quelques instants, cette année encore nos débats en commission ont fait ressortir l'absence criante d'éléments de chiffrages et d'évaluation des textes budgétaires. C'est dans une certaine obscurité que nous rédigeons et discutons nos amendements, et c'est dans une certaine pénombre que nous examinons les textes budgétaires. Le moment est venu d'éclairer nos débats.
Cette année, pour la première fois, la commission des finances a sollicité quatre laboratoires de recherche indépendants. Ils lui ont remis des notes d'analyse sur les principales mesures de ce budget. Ces notes sont riches d'enseignements : on y apprend, par exemple, que la bascule du CICE en baisse de charges, bien qu'elle fasse peser un surcoût significatif sur le budget de 2019, sera créatrice d'emplois et bénéficiera notamment aux petites et aux jeunes entreprises ainsi qu'au secteur non lucratif.
Mais de toute évidence nous devons aller plus loin : la nation ici assemblée doit pouvoir se prononcer à la lumière d'évaluations précises, les outils existent, d'autres grandes démocraties s'en sont saisies en se dotant d'agences parlementaires d'évaluation. Il nous revient de nous en saisir aussi et j'en appelle au président de l'Assemblée nationale pour qu'il poursuive l'effort engagé par de nombreux parlementaires de tous horizons. J'en appelle aussi à la bienveillance du Gouvernement pour que l'Assemblée puisse mobiliser bientôt les données collectées par les administrations dont il a la tutelle.
Mes chers collègues, au terme de nos débats et après l'avoir enrichi, nous serons amenés à voter solennellement le budget qui ouvre l'acte II du quinquennat du Président de la République. Les députés du groupe MODEM et apparentés le voteront sans hésiter et vous invitent à en faire de même.