Intervention de Christine Pires Beaune

Séance en hémicycle du lundi 17 décembre 2018 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Pires Beaune :

Situation inédite que celle que nous vivons aujourd'hui, puisque nous devons nous prononcer, en nouvelle lecture, sur le projet de loi de finances 2019 alors même que les annonces faites par le Président de la République le 10 décembre vont bouleverser et l'équilibre budgétaire de l'État, et le déficit public. L'ensemble des mesures annoncées devraient coûter environ10 milliards d'euros mais, à quelques exceptions près, elles ne figurent pas dans les amendements qui vont nous être soumis à partir de ce soir. En effet, un nouveau texte pour traduire ces mesures sera présenté en conseil des ministres mercredi, et le Parlement devrait l'adopter définitivement avant vendredi soir. Quant aux recettes supplémentaires etou aux économies qui devront être dégagées pour les financer, nous devrons, là aussi, attendre mercredi. Reconnaissez, mes chers collègues, monsieur le ministre de l'action et des comptes publics, que c'est du jamais vu ! Du jamais vu pour répondre à une contestation inédite, elle aussi, non par son ampleur, car on a connu des manifestations beaucoup plus fournies, mais par le soutien populaire que cette contestation des gilets jaunes a suscité à juste titre. Objectivement, je pense qu'ils ont raison d'être en colère : au-delà de l'augmentation des taxes écologiques, c'est bien l'injustice fiscale qui a les réunis. Et ce n'est pas du ressenti, mais bel et bien la réalité.

L'outil par excellence pour renforcer la solidarité dans une société reste l'impôt car, en permettant la redistribution, il offre des revenus à ceux qui en ont le plus besoin. Ainsi, en France, les 10 % les plus pauvres disposent au départ d'un niveau de vie environ dix-huit fois inférieur à celui des 10 % les plus riches ; grâce aux prélèvements fiscaux, ce rapport tombe à moins d'un à six selon l'INSEE. Mais voilà : ce gouvernement a décidé de redistribuer à l'envers, de donner à ceux qui en ont le moins besoin, à ceux qui ont déjà tout.

Dès votre arrivée au pouvoir, vous avez décidé de supprimer l'ISF instauré par François Mitterrand en 1981, au motif que les plus riches des riches en seraient exonérés, que son coût de collecte serait élevé, qu'il pousserait les agents économiques à quitter le pays, et qu'avec la fin de l'ISF, l'argent ruissellerait enfin sur nos entreprises. Ces arguments relèvent de l'escroquerie intellectuelle : le rapport sur l'exil fiscal d'octobre 2014 fait était de 587 départs de redevables de l'ISF contre 103 retours… Sachant qu'il y avait environ 350 000 foyers assujettis, on est loin de l'hémorragie.

Beaucoup disent aussi que les entrepreneurs seraient effrayés par l'ISF. Quelle méconnaissance flagrante du sujet ! Les biens professionnels sont en effet totalement exonérés d'impôt sur le patrimoine. Et pour les rentiers, il existe bel et bien des voies d'optimisation fiscale, comme le plafonnement de l'ISF, lequel permettait par exemple à Mme Bettencourt, qui aurait dû payer 61 millions, de ne rien payer. Il aurait suffi de corriger le dispositif via le plafonnement du plafonnement, système utilisé déjà par le passé.

J'ai évoqué l'ISF et aurais pu parler aussi de la flat tax, mais mon temps est compté. Ces milliards donnés aux plus riches fortunes alors que le peuple – y compris ceux qui, en son sein, travaillent dur – , peine tout bonnement à vivre, ont cristallisé les colères des Français. Mais vous n'avez pas compris ce message immédiatement, tant le Gouvernement et les élites sont coupés de la réalité. Après cinq semaines de mobilisation et des violences que je condamne fermement, le Gouvernement a enfin proposé des mesures pour le pouvoir d'achat. Même si elles sont insuffisantes, je les salue. Mais que de temps perdu ! Si vous aviez écouté vos oppositions, nous n'en serions pas là !

En effet, dès l'automne 2017, à l'occasion du PLF pour 2018, le groupe Socialistes et apparentés dénonçait, comme d'autres, la suppression de l'ISF, l'instauration de la flat tax, la hausse de la CSG pour les retraités, mais tous nos amendements ont été balayés. Puis, aussitôt le PLF pour 2019 connu, nous vous avons de nouveau alertés. Une fois encore, vous ne nous avez pas entendus.

Après les annonces du Président de la République, de nombreux amendements que nous avions déposés visant à la suppression de l'augmentation des taxes écologiques en 2019, au refus de supprimer le tarif réduit sur le gasoil non routier ou encore à la non-augmentation de la CSG pour beaucoup plus de retraités, pour ne citer que ces trois exemples, ont été refusés en octobre pour revenir in fine en décembre afin d'être votés d'ici à la fin de la semaine. Quel gâchis !

Au nom de l'équilibre budgétaire et de la compétitivité, vous avez voulu faire porter l'effort sur les ménages modestes et sur les classes moyennes alors que les plus riches et les multinationales refusent de contribuer à la solidarité nationale. C'est cette politique injuste que nous dénonçons et que dénoncent les gilets jaunes, cette politique irresponsable qui a peut-être condamné la transition énergétique, ce qui est peut-être le plus grave, et mis en péril notre système fiscal alors qu'il faudrait le défendre et chercher des voies d'amélioration. Vouloir moins d'impôts aujourd'hui, c'est mettre en péril les services publics demain. Ce n'est pas ce que veulent les Français car, ils le savent, sans solidarité, le contrat social n'existe plus.

J'ai conscience que mes propos ne sont ni trop intelligents ni trop subtils : ils seront donc, j'en suis sûre, entendus.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.