Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du mercredi 19 décembre 2018 à 15h00
Modification de l'acte portant élection des membres du parlement européen — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

Ce ne sont pas les citoyens qui ont quitté l'Europe, mais l'Union européenne qui a quitté les peuples. Or le texte qui nous est soumis aujourd'hui, et les deux rapports qui l'ont précédé, montrent l'incompréhension profonde des pouvoirs en place à l'égard des raisons de la colère et du désamour malheureusement grandissant vis-à-vis de la marche européenne. Au fond, vous passez à côté des causes du divorce entre les peuples et l'Union européenne.

Que propose ce texte ? Le développement du vote électronique, le vote par correspondance, la lutte contre la fraude électorale, la représentation des citoyens de l'ensemble de l'Union, et non plus seulement d'un État membre. D'accord. Pourquoi pas ? Quelques ajustements du scrutin nous sont proposés, et il n'y pas lieu de s'y opposer. La fixation d'un seuil minimal pour l'attribution des sièges, qui se situerait entre 2 % et 5 % des suffrages, permettra aussi à de plus petites forces politiques d'être représentées. C'est toujours bon à prendre, et nous le prenons. Mais enfin, ce n'est vraiment pas Byzance, tout juste une goutte d'eau dans l'océan du malaise démocratique européen.

Vous êtes loin, si loin, de ce qui permettrait de mobiliser les suffrages et de nourrir l'adhésion populaire aux institutions européennes. Or les ressorts de ce défaut démocratique sont profonds et désormais quasiment structurels. Sans rupture majeure dans le cours de l'Europe et dans son fonctionnement, ou plutôt son dysfonctionnement démocratique, je ne vois pas comment nous pourrions améliorer la confiance des peuples vis-à-vis de l'Union européenne et leur participation.

Vous savez – je l'espère, en tout cas – que le traité constitutionnel européen a laissé des traces très amères dans notre pays. Les Français ont été sollicités en 2005 pour donner leur avis par référendum. Une dynamique forte s'était enclenchée en faveur du non au fameux TCE. Alors que le monde dominant espérait enfermer l'alternative dans un « pour ou contre l'Europe ? », les collectifs et la dynamique citoyenne qui ont porté le « non » de gauche ont permis d'infléchir la campagne, de marquer les esprits, et de l'emporter, contre toute attente et contre les leçons de morale assénées du matin au soir par les premiers de cordée. Car nous avions réussi à modifier les termes du débat, pour poser la question qui valait sur ce traité, comme sur le cours de l'Union : pour ou contre cette Europe de la concurrence libre et non faussée, de la dérégulation, des biens publics bafoués, des marchés financiers, des normes comptables et technocratiques ?

Les Français ont dit non, mais les Présidents de la République successifs ont signé. Au diable la démocratie ! Nicolas Sarkozy puis François Hollande se sont assis, littéralement, sur la souveraineté, ont nié le résultat du référendum. Ce déni de démocratie a nourri le ressentiment. Bon courage, ensuite, pour aller donner des leçons de civisme à ce peuple qui a exprimé son refus sans qu'il en soit tenu compte. Ce déni fut non seulement grave d'un point de vue démocratique, mais aussi dramatique par ses conséquences sociales et environnementales.

Depuis lors, l'Europe va en effet de mal en pis. Le moule des traités a imprimé sa marque et façonné une Europe désespérante. Les inégalités ont explosé et la pauvreté a progressé. En dix ans, le taux de pauvreté des travailleurs a augmenté de 1,5 point au sein de l'Union européenne, passant de 8,1 % en 2005 à 9,6 % en 2015. Aujourd'hui, 87 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté et un travailleur de l'Union européenne sur dix est un travailleur pauvre.

Dans cette Europe, c'est la concurrence entre les peuples qui domine, et elle ne cesse de s'accroître. La panne écologique est notoire ; l'explosion des mégalopoles a abîmé le droit à la ville pour tous ; les services publics ont été bradés et ils sont en déclin ; les biens communs n'ont pas été protégés ; les délocalisations n'ont cessé de produire leurs ravages. Le monde culturel a souffert et continue de souffrir. Les agriculteurs aussi, et les effets de cette situation se lisent dans nos sinistres assiettes.

Cette Europe, c'est aussi celle où les migrants meurent en masse en Méditerranée, dans l'indifférence d'institutions qui se gargarisent « en même temps » d'être les garants des droits humains. C'est l'Union du cynisme qui se développe, et l'on peine à trouver ce qui nous pousse encore à être ensemble. C'est effrayant, si l'on songe à l'histoire et aux fondements de l'Europe, qui se voulait un espace pour la paix. Et c'est atterrant, si l'on songe à la nécessité de se regrouper pour faire face à la globalisation.

L'Union européenne s'est embourbée dans un millefeuille technocratique et bêtement comptable. Le pacte budgétaire européen organise l'austérité de manière mécanique, en fonction de seuils fixés sur un coin de table – un beau jour, on a décidé que ce serait 3 %. Ce pacte ajoute à l'aberration politique une ineptie économique, puisque la règle des 3 % n'est que la pointe saillante d'une course en avant proprement dogmatique. La dette, la dette, la dette – vous connaissez la chanson ! Comme si l'on ne pouvait que contraindre les dépenses, et non augmenter les recettes ! Comme si la dette était forcement mauvaise, alors qu'elle pourrait servir à investir utilement, et de façon vertueuse pour l'économie. Mais pour cela, il faudrait sortir des normes de la finance, il faudrait croire aux vertus du travail, de l'intelligence, du partage et du sensible, plutôt qu'à la magie du marché et à la sacro-sainte compétitivité.

La logique à l'oeuvre est avant tout le fruit de la diplomatie entre les États, car le Parlement européen a, en réalité, une marge de manoeuvre très limitée – et les peuples le savent. L'un des exemples les plus inquiétants de cet état de fait est l'acharnement de la Commission européenne à négocier des traités commerciaux de seconde génération contre l'avis des peuples. Ces traités ont vocation à supprimer les tarifs douaniers et à définir des normes communes aux deux parties. Le fait de négocier, au nom du peuple européen, des traités qui menacent nos services public et qui risquent de niveler par le bas nos normes sanitaires, sociales, environnementales et fiscales, sans demander son avis au peuple, c'est tout simplement une usurpation de pouvoir.

Les traités avec le Canada et le Japon et, demain, avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Mercosur ou encore l'Indonésie, sont autant de coups de couteau dans la confiance qui lie les Européens à cette Union-là. Tout cela se fait sans aucune transparence, sans aucun débat public sur la nature profonde de ces traités.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.