Jean-Michel Mis et moi-même sommes rapporteurs de cette mission d'information, et nous vous présentons aujourd'hui des propositions communes sur un sujet transpartisan qu'il convient d'aborder en dehors des clivages politiques.
Avant de répondre aux questions, je voudrais insister sur le fait que la technologie blockchain est une infrastructure de base permettant de réaliser des échanges certifiés ou de valeurs. Demain, lorsque cette technologie se sera imposée, on ne parlera plus d'elle, mais seulement des usages qu'on en fait. Il est donc essentiel de comprendre que les pays qui en maîtriseront l'infrastructure seront également en avance sur le développement des usages qui en seront faits – exactement comme cela a été le cas avec internet.
Plusieurs questions, posées notamment par le président Éric Woerth et par Mme Véronique Louwagie, ont exprimé une certaine défiance à l'égard de la technologie, notamment pour ce qui est des enjeux de souveraineté soulevés par les interventions des mineurs. Cet aspect est encore débattu, mais les processus algorithmiques ne semblent pas inspirer d'inquiétude aux chercheurs. La plupart d'entre eux nous ont dit qu'il existait différents types de protocoles visant à assurer la certification des échanges et à établir la confiance. Celle utilisée dans la blockchain bitcoin est très fortement consommatrice d'énergie, celle d'Ethereum en consomme moins, et on peut imaginer qu'il existera demain une technologie particulièrement innovante pour certifier les échanges tout en étant exempte de ce défaut.
La consommation d'énergie des technologies actuellement mises en oeuvre ne tient peut-être qu'au fait que celles-ci, très récentes, présentent un degré de maturité encore insuffisant. Au demeurant, si la consommation d'énergie est souvent perçue comme un frein, on peut également la considérer comme faisant partie du coût d'une nouvelle façon de rendre un service. En d'autres termes, le progrès consomme toujours plus d'énergie que ce qui se faisait par le passé, mais il rend également de nouveaux services et permet de créer de la richesse. De ce point de vue, le reproche qui est fait au bitcoin de consommer beaucoup d'énergie me paraît assez réducteur – en tout cas très partiel – et ne tient pas compte, d'un point de vue économique, de tous les champs du développement d'une nouvelle technologie. Si internet consomme énormément d'énergie, il a procuré du développement économique et de la richesse aux pays qui ont su s'emparer de cette technologie – sans parler des services qui font désormais partie de notre quotidien. Je ne dispose pas de données économiques sur ce point, mais j'estime que les interrogations qu'il suscite ne doivent pas se limiter à évoquer la quantité brute d'énergie consommée par la blockchain : ils doivent également tenir compte du potentiel économique qui peut en résulter.
Pour ce qui est de la sécurité, il nous a été demandé si la blockchain permettait de lutter mieux ou moins bien contre la fraude. Il existe en fait deux types de fraudes : d'une part, celles liées aux plateformes d'accès aux bitcoins, pratiquées en exploitant des failles présentes non pas sur la blockchain elle-même, mais sur ses points d'entrée insuffisamment sécurisés ; d'autre part, le blanchiment d'argent, favorisé par le fait qu'on n'a pas, lorsqu'on veut faire l'acquisition de cryptomonnaie, le même KYC que celui attaché à une monnaie-fiat classique achetée auprès d'une banque ayant l'obligation de disposer d'un minimum de renseignements sur ses clients. Pour y remédier, nous avons inscrit dans le projet de loi dit « PACTE » que les start-ups de la blockchain procédant à des ICO, c'est-à-dire des levées de fonds en crypto-actifs, ou échangeant des monnaies, auront la possibilité de se procurer un certificat d'honorabilité auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) – ce qui, dans certains cas, nécessitera l'aval de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
En tout état de cause, cet environnement réglementaire est perçu de manière extrêmement positive par les acteurs étrangers, qui apprécient que notre pays soit le premier en Europe à mettre en place un cadre de régulation qui, tout en étant souple, donne une bonne compréhension des enjeux de la blockchain, ce qui contribue à ce qu'ils prennent la décision d'installer leur siège européen en France. D'autres raisons les y incitent par ailleurs, notamment la présence dans notre pays de nombreux talents, d'un écosystème de start-ups extrêmement dynamique, de formations en matière d'ingénierie informatique et mathématique de très haut niveau, réputées au niveau mondial, et enfin d'un niveau de recherche très élevé, grâce aux moyens que le pays y consacre. Nous ne sommes pas à la traîne en ce domaine, bien au contraire, comme en témoigne le nombre de publications scientifiques relatives à la blockchain.
La blockchain peut aussi constituer un moyen de lutter contre la fraude, dans la mesure où elle repose sur des données certifiées. Par exemple, s'il est facile, à l'heure actuelle, de contrefaire un diplôme à l'aide d'une simple photocopieuse, les diplômes – et, au-delà, tous les documents administratifs devant être certifiés – pourraient se trouver parfaitement sécurisés s'ils étaient établis en recourant à la blockchain. En fait, comme toutes les technologies, la blockchain en elle-même est neutre et seuls ses usages peuvent se révéler bons ou mauvais.
Dans le domaine de l'administration, la blockchain a ce que j'appellerai un « effet Kiss Cool » – autrement dit, un double effet. D'une part, elle permet des gains de productivité. D'autre part, si l'administration s'empare de ce sujet et décide d'investir dans la blockchain afin de dématérialiser les échanges de façon certifiée – nous proposons qu'une réflexion approfondie soit menée transversalement afin d'identifier tous les domaines où c'est envisageable –, le recours à cette technologie permettra à ses acteurs français de monter en compétence et favorisera le développement d'activités et de start-ups, ainsi que l'augmentation du nombre de personnes formées à cette technologie.
De ce point de vue, l'activité administrative peut être vue comme un immense terrain de jeu pour la blockchain, où toutes ses applications ont vocation à être testées. Sans doute existe-il des freins législatifs à cette évolution, que nous ne pourrons identifier qu'en procédant à une revue des normes administratives. Nous devrons, en tout état de cause, être attentifs à toutes les idées que pourront avoir les start-ups, et faire preuve de réactivité en nous demandant à chaque fois quelles sont les lois susceptibles de freiner le déploiement de la blockchain pour tel ou tel usage. C'est ce que nous avons fait lors de l'examen de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 » – qui a été pour moi l'occasion de m'intéresser à la blockchain –, quand nous nous sommes penchés sur les échanges de titres de sociétés non cotées : en la matière, la blockchain va considérablement modifier l'accès au financement pour les petites et moyennes entreprises (PME), car nous allons pouvoir simplifier grandement et rendre beaucoup plus visibles les échanges de titres de sociétés non cotées.
Pour ce qui est de la régulation, je suis convaincue que le projet de loi PACTE est un très bon cadre, et qu'il faut maintenir le droit d'accès au compte bancaire. Mme Sophie Errante, présidente de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), pourrait vous dire que la CDC, qui s'est vu attribuer la responsabilité d'ouvrir un compte bancaire aux start-ups qui ne parviennent pas à le faire auprès des banques, n'est pas franchement désireuse d'assumer cette mission. Celle-ci pourrait être confiée à la Banque de France ou à la Banque postale – cela nous est égal –, mais tous les acteurs concernés nous ont bien dit que le principal frein au développement de l'écosystème blockchain en France, c'est l'impossibilité pour les start-ups dont l'activité repose sur cette technologie d'ouvrir un compte bancaire : or, il est évident qu'il est impossible de développer une entreprise en France quand on n'a pas accès à un compte bancaire. Le problème trouve sa source dans la crainte qu'ont les banques françaises de se voir appliquer des sanctions en vertu du principe d'extraterritorialité de la loi américaine. Nous proposons donc que les entreprises labellisées par le biais de la future loi PACTE disposent d'un droit d'accès au compte bancaire, dont la mise en oeuvre serait confiée à une banque française non exposée à l'international – soit la Banque postale, soit la Banque de France.