Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du jeudi 20 décembre 2018 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2019 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Nous voici arrivés à l'examen final d'un texte que l'on peut qualifier de budget de crise, une crise sociale et politique d'une ampleur historique. Par ce budget, messieurs les ministres, vous avez essayé de traduire en termes budgétaires le fait que, tout d'un coup, le Président de la République a découvert que notre pays se trouvait dans un état d'urgence économique et sociale. Je dois dire que vous vous y prenez mal : vous répondez mal, à côté, et pas assez. Vous essayez d'éteindre l'incendie en lâchant du lest, sans changer de cap. Vous utilisez pour cela trop peu de Canadair, sans vous soucier de ce qui a mis le feu à la plaine.

Au fond, avec ce budget et le texte qui sera examiné cet après-midi dans l'hémicycle, vous utilisez la même méthode que lors du départ de votre ministre d'État Nicolas Hulot. À l'époque, celui-ci dénonçait votre politique comme étant le système à l'origine même de la détérioration du climat et de l'environnement. Vous avez répondu par de la psychologisation individuelle, en le présentant comme quelqu'un venu de la vie civile, qui n'aurait pas compris la nécessité de suivre les rythmes, etc. Vous apportez là, en fait, la même réponse, à ceci près que vous vous adressez au peuple, qui s'est mis en mouvement, qui s'est réveillé puissamment et qui vous surveille. Vous essayez, pour cela, de recycler les mots d'ordre des gilets jaunes, au service de votre propre politique. Ils vous disent « injustice fiscale », vous entendez « moins d'impôts ». Ils vous disent « égalité de tous sur le territoire et accès aux services publics », vous répondez « trop d'État ». Ils vous disent « chasse aux privilèges », vous répondez « pas touche au capital ».

Cela vous entraîne dans des contradictions qui sont apparues encore plus visiblement au cours de ce débat haché et accéléré. Cela a commencé avec l'article liminaire, que nous avons découvert, pour le moins, sur le tard. Il avait pourtant son importance, même si, je l'entends bien, nous ne sommes pas sous la surveillance accrue de la Commission européenne ou sous le coup de la sanction applicable en cas de dépassement, durant deux années consécutives, de la règle d'or fixant le déficit maximum à 3 % du PIB. Tout de même, pour les tenants de l'ordolibéralisme que vous êtes, de cette idéologie qui contraint les parlements nationaux à ne pas dépasser un taux sacro-saint, passer à 3,2 % de déficit, comme vous vous y préparez, aurait mérité un peu plus d'attention et de débat lors de l'examen de l'article liminaire.

D'autant plus qu'on nous annonce en même temps – cela a été répété ce matin – que beaucoup de mesures budgétaires seront prises au cours de l'année sans que le Parlement puisse dire son mot. Il en est ainsi des 1,5 milliard d'euros de coupes franches dans les dépenses publiques qu'on nous annonce. Bien sûr, M. Darmanin nous a dit l'autre jour que c'était une habitude, que les budgets en cours d'exécution pouvaient être révisés. Mais enfin, quoique n'étant pas parlementaire depuis longtemps, il ne me semble pas qu'il soit souvent arrivé de procéder à des coupes d'exécution annoncées à l'avance à hauteur de 1,5 milliard, sans que l'Assemblée nationale puisse décider sur quoi elles porteront.

Il en va de même de différentes mesures que vous annoncez mais qui sont remises à plus tard. Je pense au report des dispositions sur l'impôt sur les sociétés ou à la question des GAFA – les géants du numérique – , dont nous avons débattu ici même. Ce fut l'un de nos grands étonnements, et je suppose qu'il en a été de même pour tous les groupes d'opposition, qui avaient porté cet amendement au Sénat : grâce à l'amendement déposé par Marie-Noëlle Lienemann et approuvé à l'unanimité au Sénat, mais que vous avez refusé d'emblée, on aurait pu appliquer immédiatement aux GAFA ce que vous nous dites que vous leur appliquerez dans quelques mois, c'est-à-dire une taxe ne portant pas seulement sur la publicité, qui ferait l'objet d'un accord que vous essayez d'arracher au niveau européen, sans être certains d'y parvenir, puisque trois pays, et pas des moindres, des paradis fiscaux qui en vivent, s'y opposent encore. Et vous nous dites à l'avance qu'indépendamment de cet accord, vous taxerez d'une manière ou d'une autre les chiffres d'affaires.

Outre cet article liminaire, un autre article important que nous avons tous voté, puisqu'il correspond à la revendication première des gilets jaunes et consacre leur première victoire, est le 18 terdecies : l'annulation de l'augmentation de la taxe carbone. Vous avez pourtant refusé – c'est un vrai problème – d'envisager de le gager, en déclarant irrecevable tous nos amendements. L'un d'eux tendait au rétablissement de l'ISF, dont le produit était, je le rappelle, du même montant que l'augmentation de la taxe carbone ; cela aurait permis de ne pas accroître le déficit ou de ne pas aggraver les coupes dans les dépenses publiques. Un autre était relatif à la flat tax. Un autre encore, relatif au kérosène, visait à taxer les voyages en avion ; on nous a répondu que l'accord de Chicago empêche d'agir sur ce point, alors que c'est en réalité possible, car cet accord, je vous le rappelle – en particulier à M. le rapporteur général, qui m'avait répondu sur ce point – , ne concerne pas les vols intérieurs.

Passons à la prime de précarité, qui nous a valu, avant-hier, une nuit homérique. La présidence a essayé de faire voter rapidement un amendement qui abordait le sujet, et il nous a fallu le rattraper au vol grâce à un rappel au règlement, soutenu par toutes les oppositions. Cela nous permet aujourd'hui d'affirmer que, en annonçant que le salaire d'un travailleur au SMIC augmenterait de 100 euros par mois dès 2019 sans qu'il en coûte 1 euro de plus à l'employeur, M. Macron a fait trois mensonges en une phrase courte.

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