Intervention de Loïc Prud'homme

Séance en hémicycle du jeudi 20 décembre 2018 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2019 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLoïc Prud'homme :

M. le rapporteur général s'est étonné que l'on dépose des motions de procédure, en précisant qu'il était techniquement impossible d'amender le texte, et M. Jean-Louis Bourlanges vient de se déclarer surpris que l'on attende du Parlement qu'il remplisse son rôle. Ce qui est assez étonnant, c'est que vous acceptiez si docilement que notre rôle soit réduit à tamponner des projets de loi de finances sans pouvoir les amender. Cela étant dit, j'en viens à mon propos.

Après la motion de rejet préalable, brillamment défendue par mon collègue Éric Coquerel, me voici devant vous pour proposer de renvoyer en commission votre projet de budget 2019. Peut-être n'êtes-vous pas mal intentionnés, peut-être les membres de La France insoumise ont été « trop intelligents, trop subtils, trop techniques », je veux bien vous l'accorder. C'est pourquoi je vous propose d'adopter une motion de renvoi en commission : afin de vous laisser le temps de la compréhension, de la maturation.

Sans doute êtes-vous autant que nous partisans de l'écologie populaire. Par inadvertance, sans doute, vous avez maintenu des niches fiscales qui permettent aux pollueurs de polluer gratuitement. Mais comment pouvez-vous parler d'écologie populaire sans rendre au peuple les milliards de cadeaux accordés aux riches ? C'est « trop technique », je vous l'accorde. Comment assumer maintenir un cap injuste quand 1 400 industries françaises, dont Total, ne sont pas soumises à la taxe carbone et reçoivent quasiment gratuitement des droits à polluer via le marché carbone européen ? C'est « trop subtil », vraiment. Rendez l'ISF d'abord ! Voilà qui est « trop intelligent ».

Heureusement, après plusieurs semaines de manifestations et d'insurrection générale, vous avez compris. Inutile d'aller à la COP24 défendre l'accord de Paris. Restons concentrés sur les demandes des Français et des Françaises. Vous avez agi vite et fort. Mardi, en l'espace de quatre heures, vous avez annulé les quelques mesurettes d'accompagnement les plus précaires de la transition, puis vous avez annulé l'annulation, parce que la ficelle était trop grosse. Ensuite, en une seule nuit, vous avez expédié le débat budgétaire.

Ce projet de budget ne comporte ni hausse de l'investissement public pour la transition écologique, alors qu'il manque 20 milliards par an, ni moyens supplémentaires financiers et humains pour le ministère de la transition écologique et solidaire ainsi que ses opérateurs, pour la recherche publique ou pour l'éducation aux changements climatiques.

Il n'y a aucun changement, dans votre feuille de route pro-riches, après le mouvement des gilets jaunes : vous maintenez l'assouplissement du pacte Dutreil, vous supprimez pratiquement l'exit tax, vous désindexez les prestations sociales. Les Français veulent vivre au lieu de survivre, et vous annoncez vouloir supprimer 1,5 milliard d'euros supplémentaires pour financer des mesures qu'ils n'ont jamais demandées.

Voici ce qu'il reste de la dernière nuit d'abattage législatif.

D'abord, en matière de logement, votre politique de rénovation thermique ne suit pas. Quelle logique entre le plafonnement du budget de l'ANAH – l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat – et les objectifs de rénovation à ce jour non tenus ? Le chèque énergie reste insuffisant au vu des plus de 12 millions de personnes en situation de précarité énergétique, soit un cinquième de la population hexagonale. Avec un chèque d'une valeur de 200 euros en moyenne, il est impossible pour les ménages d'améliorer considérablement la situation énergétique de leur logement, quand on sait que la dépense moyenne de chauffage dépasse 1 200 euros par foyer.

S'agissant toujours du logement, nous devons évoquer la nouvelle baisse des aides personnalisées au logement : avec plus de 900 millions d'économies d'ici à 2020, des millions de foyers seront encore un peu plus plongés dans la précarité économique et sociale. Que ferez-vous de ces jeunes travailleurs, de ces étudiants, de ces retraités qui ne pourront plus assurer le paiement de leur loyer à partir de l'année prochaine ?

Dans un autre registre, l'agriculture et l'alimentation, le compte n'y est pas non plus. La seule mesure que nous pouvons saluer, ce que je fais, au nom de mon groupe, est l'exclusion de l'huile de palme de la liste des biocarburants. Cette mesure a été acquise de haute lutte, dans la nuit de mardi à mercredi, contre l'avis du Gouvernement. Mais le texte ne comporte aucune mesure pour que notre agriculture s'oriente vers un modèle plus durable. Pourtant nos paysans sont des acteurs de la transition écologique, et il faut cesser de les présenter comme des opposants au respect de l'environnement. Production agricole et respect de l'environnement sont les deux faces d'une transition impérative pour préserver nos biens communs : l'eau, l'air, les sols.

Pour effectuer cette transition, il faut des acteurs publics forts. La transition écologique nécessite des investissements publics importants, notamment dans la recherche, afin de trouver des solutions toujours plus efficaces et innovantes. Mais, là encore, votre majorité fait des choix désastreux. Pourquoi continuer à accorder « un pognon de dingue », les 6,2 milliards d'euros du crédit d'impôt recherche, aux entreprises qui ne font pas avancer la recherche ? Le crédit impôt recherche a tout au plus financé le changement de titre de certains directeurs commerciaux, devenus, du jour au lendemain, des directeurs recherche et développement, des soi-disant chercheurs, qui ne cherchent rien d'autre que le profit de leur entreprise. Cet argent aurait une bien plus grande utilité s'il avait été réellement consacré à la recherche, par exemple par le CNRS – le Centre national de la recherche scientifique – , qui en a cruellement besoin.

Nous investissons à peine environ 1 % de notre PIB dans la recherche, ce qui est bien insuffisant pour les objectifs de transition écologique que nous nous devons de respecter. C'est le marqueur d'un manque de volonté politique criant. À titre de comparaison, les pays nordiques, à l'avant-garde dans la recherche de solutions innovantes pour la transition écologique, consacrent jusqu'à 3 % de leur PIB à la recherche. Avec le budget que nous allons voter, nous sommes bien en retard.

Nous avons besoin d'acteurs publics forts pour proposer des solutions à la sortie du poison du glyphosate ; nous avons besoins d'acteurs publics forts pour lutter contre la malbouffe, fléau moderne qui tue tous les jours ; nous avons besoin d'acteurs publics forts pour sortir du nucléaire. Et pourtant, vous faites le choix de couper dans le périmètre de l'écologie, de supprimer des postes dans le ministère et chez ses opérateurs. Ce sont des pertes de moyens humains, techniques et matériels, des pertes de compétences dont nous ne pouvons pas nous passer. Certes le budget de l'écologie augmente d'1 milliard d'euros, mais par rapport aux 34 milliards que rapporte la TICPE – la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques – , c'est une goutte d'eau, d'autant qu'en 2019, seulement 19 % des recettes de cette taxe affectées directement à la transition écologique.

En conclusion, je voudrais prendre l'exemple d'un contribuable qui symbolise à lui seul l'esprit et la lettre de votre projet de loi de finances, votre vision de la justice fiscale et environnementale ; ce contribuable, ou plutôt, devrais-je dire, ce non-contribuable, est l'un de ces fraudeurs fiscaux que le ministre Darmanin entend traquer sur les réseaux sociaux.

Alors je me suis mis dans la peau d'un limier virtuel du ministère des finances. Le fraudeur est sournois, et il m'a fallu de longues recherches – environ une demi-minute – pour tomber sur les photos de son yacht : vous savez, ce genre d'embarcation de fortune – ou plutôt, devrais-je dire, d'embarcation de la fortune – qui navigue avec du gazole exonéré de taxes, ce genre de radeau dont le propriétaire n'est pas officiellement le propriétaire, car il appartient à une société maltaise : c'est plus pratique pour ne pas payer d'impôts, alors que cette coquille de noix vaut 130 millions d'euros.

Pour être certain que la police fiscale ne rattrape pas ce propriétaire, au cas où, ayant autant de chance que moi, elle tombait inopinément sur ses photos Facebook, ce bateau navigue sous pavillon des îles Caïmans. Le bateau de Bernard – ou Arnaud, je ne me souviens pas bien de son prénom – s'appelle Symphony : un nom poétique pour cette ode à l'évasion fiscale !

Pourtant il serait aisé de jouer une tout autre partition, une partition en justice fiscale majeure : en établissant, par exemple, l'impôt universel, appelé aussi taxation différentielle. Dans ce système, le citoyen français, où qu'il réside dans le monde, doit s'acquitter de sa contribution à hauteur de ses moyens ; s'il paie moins d'impôt là où il réside, alors il doit payer la différence avec l'impôt qu'il aurait dû acquitter en France.

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