Je constate que toutes vos questions concernent la problématique des énergies de demain, ce qui est tout à fait compréhensible.
Monsieur de Ganay, le SEA tente en effet de se structurer pour acquérir la connaissance des nouvelles énergies. J'ai l'intention de mettre sur pied très rapidement une cellule regroupant des compétences de haut niveau et dédiée à l'ensemble de ces problématiques. Je dois dire que, pour l'heure, nous ne les maîtrisons pas entièrement. Certaines initiatives que nous observons pourraient être de nature à fixer des orientations extrêmement fortes en termes de mobilité, qu'il s'agisse de l'électricité, du gaz ou de l'hydrogène. Le SEA a conscience que des innovations existent ; il en est le spectateur attentif.
Ce dont, toutefois, il faut être persuadé, c'est que les armées ne seront pas le moteur des évolutions, mais l'économie. En revanche, les armées ont une obsession, celle de pouvoir être mobiles sur l'ensemble des théâtres sur lesquels elles se déplacent. La montée en gamme des matériels doit s'accompagner de celle des modes de propulsion et de la qualité des produits consommés. Or les industries et les sociétés présentes sur les théâtres d'opération ne sont pas du tout au fait de ces évolutions.
Je prendrai un exemple tout simple. Les moteurs les plus récents de nos véhicules sont des moteurs Euro 6, dont les limitations en termes de qualité produit sont extrêmement drastiques. Le carburant avec lequel ils fonctionnent ne doit pas aller au-delà de quelques particules par million (ppm) de soufre, au risque de détruire la chaîne d'échappement. En Afrique, le gazole que l'on trouve dans les raffineries contient 5 000 ppm de soufre. Il est donc inutilisable dans les moteurs Euro 6, sauf à provoquer immédiatement une panne.
Le premier impératif auquel doivent répondre les armées est celui de leur capacité à se déployer, et non à reproduire ce qui se fait uniquement sur le territoire national. Nous devons, avant toute chose, exercer nos prérogatives de mobilité, qu'elles soient françaises ou étrangères.
Pour ce qui est des carburants, le carburéacteur est le principal produit acheté par le SEA, pour 70 % de ses capacités. Ce secteur est engagé de manière particulièrement active dans la réduction des produits fossiles, par l'intégration de produits bio ou de fuel synthétique dans les carburéacteurs. Le SEA étant soumis à la normalisation très stricte de l'ASTM sur les carburants aéronautiques, il ne participe pas à cette dynamique, qu'il observe en revanche très attentivement. L'Europe a des velléités d'utiliser des carburants bios dans les carburéacteurs à hauteur de 50 % dans les années à venir. Nous suivons l'évolution des produits, mais nos constructeurs devront être en mesure de les prendre en compte, soit un défi important.
Pour les carburants terrestres, le SEA n'a pas non plus vocation à générer des projets de recherche sur les produits. Il est simplement un acteur qui achète ce qui existe sur le territoire et suit la réglementation. Notre objectif n'est pas de mener des recherches en amont.
En ce qui concerne les stocks stratégiques demandés au SEA, ils correspondent à des directives de l'EMA qui nous imposent un certain nombre de mois d'autonomie. Aujourd'hui, nous avons 200 000 mètres cubes de stocks stratégiques pour les carburéacteurs. Nous sommes à peu près à quatre ou cinq mois de capacité de stockage. Bien entendu, les nouveaux matériels, notamment Scorpion, vont consommer beaucoup plus que nos anciens véhicules de l'avant blindés (VAB), sans climatisation, plus légers et plus rustiques. Les nouveaux matériels sont plus lourds et nécessitent une logistique beaucoup plus importante. Lorsqu'on passe d'un avion de combat à un réacteur à un avion de combat à deux réacteurs, on augmente nécessairement la consommation de carburant.
Toutes ces évolutions nous conduisent à prévoir, pour les années à venir, une augmentation de l'ordre de 20 % des consommations, qui passeront d'environ 800 000 à un million de mètres cubes par an. Cette augmentation s'accompagnera de celle des taxes. Je rappelle que le SEA, comme toute organisation, paie la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et la TVA sur les produits pétroliers.
Actuellement, nos stocks stratégiques sont centrés sur deux produits : le carburéacteur pour les avions et le gazole marine pour les bateaux. Demain, on nous demandera probablement de stocker de l'essence puisque nous avons un parc de véhicules, notamment de la gamme commerciale, de plus en plus orienté vers des motorisations essence. Ce sont évidemment des véhicules que je ne souhaite pas voir projetés sur les théâtres d'opération, l'essence étant de très mauvaise qualité ailleurs qu'en Europe. L'évolution de la réglementation et la volonté du Gouvernement de voir le gazole en partie abandonné, vont sans doute nous obliger à stocker bientôt de l'essence, ce qui ne se faisait plus depuis une cinquantaine d'années mais nous permettra d'être résilients en cas de crise économique.