Plusieurs de vos questions s'intéressent aux dons alimentaires, et plus généralement aux dons en nature. Ces dons occupent une place non négligeable dans certains secteurs. Nous avons cité les banques alimentaires, nous pourrions citer d'autres institutions. C'est ce qui explique sans doute, pour une part, la montée de la grande distribution au palmarès des entreprises mécènes, en particulier depuis les modifications législatives de 2016-2017. La première entreprise pour le mécénat déclaré est un grand groupe de distribution. Parmi les cinq premières entreprises mécènes, on compte trois distributeurs. C'est important, pour certaines entreprises comme pour certains bénéficiaires. Selon le « baromètre du mécénat » de l'association Admical, les dons en nature ne représentent que 3 % de la dépense globale de mécénat ; le mécénat de compétences représente 11 %, le reste est constitué de dons financiers.
Lorsque l'on demande aux organismes bénéficiaires de déclarer les dons qu'ils reçoivent, on rencontre une certaine difficulté. Jusqu'à maintenant, ces organismes n'évaluent pas, et il ne leur est pas demandé de le faire, les denrées qu'ils reçoivent. Il faut donc qu'ils interrogent les grands groupes de distribution pour rendre compte de leurs recettes.
La seconde question, sous-jacente et d'un ordre un peu différent, est de savoir si un plafonnement trop strict, compte tenu de l'importance que représentent ces dons alimentaires, n'aurait pas un effet sur l'alimentation, sans jeu de mots, des banques alimentaires. C'est un point auquel il faut être sensible, car les dons alimentaires sont essentiels à un certain nombre de nos concitoyens. Je crois que les grands groupes de distribution ont profité, si vous me permettez l'expression, d'un effet d'aubaine qui leur a permis de déclarer ces dons alimentaires au titre du mécénat. Nous proposons donc de limiter, non pas le montant des dons, mais l'avantage fiscal lié au don : par exemple, au-delà d'un certain nombre de millions d'euros, le taux de déduction pour la tranche supérieure ne serait pas de 60 %, mais de 50 % ou de 40 %. La liberté du don serait ainsi maintenue, mais sans optimisation de l'avantage fiscal. La logique du dispositif veut qu'on laisse l'entreprise libre de donner le montant qu'elle veut. En revanche, la puissance publique serait légitime, au-delà d'un certain seuil, à limiter l'avantage fiscal qui en résulte. Plafonner l'avantage plutôt que la dépense nous semblerait une piste intéressante à explorer.
La modulation selon les structures est une piste. Elle existait pour l'impôt de solidarité sur la fortune, puisqu'il était possible d'affecter une part de cet impôt à des fondations reconnues d'utilité publique, à d'autres types de fondations et même à des associations reconnues d'utilité publique. Un tel dispositif nous paraît envisageable.
La modulation par secteur d'intervention est une question bien plus complexe, ne serait-ce qu'en raison de la nature du mécénat lui-même. Nous soulignons en effet la mixité du mécénat, qui est à la fois culturel, éducatif, social et environnemental. Dans le domaine culturel, à côté du dispositif général relevant de l'article 238 bis du code général des impôts, des dispositifs spécifiques ont visé à encourager de manière spécifique certains mécénats d'entreprise, par exemple pour les trésors nationaux. À cet égard, on peut donc dire qu'il existe déjà une forme de surmodulation au bénéfice de certains secteurs de l'activité culturelle.
Le dispositif est, par la force des choses, très mal étudié car il n'existe nulle part d'obligations déclaratives, ni de la part des bénéficiaires ni de celle des entreprises donatrices, qui déclarent sur une seule ligne leurs dépenses de mécénat. Le dispositif papier qui préexistait était un peu plus complet, mais il a été remplacé, dans le cadre de la simplification des obligations pesant sur les entreprises, par la télédéclaration du montant global.
Paradoxalement, aujourd'hui, les obligations qui pèsent sur les entreprises trouvent leurs sources ailleurs que dans le code général des impôts : on les trouve dans le code du travail et dans le code de commerce. Le code du travail prévoit ainsi la possibilité pour le comité d'entreprise de se voir soumettre la liste des actions de mécénat de l'entreprise ; cela renvoie à ce que nous avons dit sur l'importance de ce qu'on pourrait appeler l'affectio societatis des parties prenantes de l'entreprise. Le code de commerce, quant à lui, dispose que les actionnaires peuvent avoir communication des dépenses de mécénat de l'entreprise et de la liste nominative des actions et des bénéficiaires. Ces obligations sont peu respectées, mais elles ont le mérite d'avoir un ancrage législatif dans deux codes autres que le code général des impôts.
Le fait que le mécénat soit facteur d'efficacité interne et de cohésion pour les entreprises est très marqué et explique le grand changement qui s'est opéré ces dernières années. Très longtemps, le mécénat a été le fait du seul chef d'entreprise et les actions de mécénat très liées à lui. Aujourd'hui, pour beaucoup d'entreprises, c'est un mécénat décentralisé, territorialisé, qui s'intéresse à des projets dans le ressort géographique des sites où les entreprises ont des implantations. Beaucoup nous l'ont dit, mais le fait est difficile à objectiver, faute de savoir qui sont les bénéficiaires de ces actions de mécénat.
Sur les statuts juridiques et leur simplification, entre l'IGF et la Fondation de France, nous sommes « agnostiques » quant aux solutions. Je ne dis pas que nous soyons comme l'âne de Buridan... Mais les deux sont concevables. Quoi qu'il en soit, la prolifération, par une sorte de scissiparité, de toutes ces entités affaiblit le contrôle minimal qui doit s'exercer sur des institutions qui, malgré tout, bénéficient certes de l'argent du privé, mais aussi d'un soutien public tout sauf négligeable.