Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 5 décembre 2018 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je suis heureux de vous faire part des conclusions de l'enquête que nous avons menée à la demande de votre commission sur les droits d'inscription dans l'enseignement supérieur public.

Monsieur le président, vous avez évoqué un sujet qui nous concerne tous : la communication anticipée et non maîtrisée de certains de nos travaux. C'est un vrai sujet pour vous comme pour nous, encore plus sensible s'agissant de fuites au sujet d'un rapport d'observations provisoires dont l'instruction n'est pas encore terminée et qui ne reflètent pas obligatoirement les observations définitives de la Cour. Ce sujet nous est commun et nous sommes preneurs d'échanges avec vous comme avec les responsables des commissions du Sénat.

J'avais regretté également de ne pas être présent pour la présentation de notre rapport sur le mécénat d'entreprise. Là encore, un certain nombre d'informations ne correspondant pas à la réalité avaient été diffusées, mettant en cause l'honneur du président de la formation interchambres qui a instruit de dossier. J'ai eu l'occasion de vous écrire, le président de la formation interchambres ayant été totalement injustement mis en cause. La rectification a été apportée par le journal concerné, mais cela avait légitimement meurtri ce président, car c'était profondément injuste, toutes les procédures ayant été respectées.

L'enquête que vous nous avez confiée revêt des enjeux financiers et sociaux majeurs pour notre pays.

Je rappellerai à cet égard quelques données-clés : 2,16 millions d'étudiants sont inscrits dans l'enseignement supérieur, dont 1,6 million à l'université ; plus de 80 % des étudiants inscrits dans un établissement d'enseignement supérieur public sont redevables, en première année d'études, du paiement de droits d'inscription, d'un montant inférieur ou égal à 170 euros.

Tous ne s'en acquittent pas. En effet, grâce au système de bourses, 40 % des étudiants inscrits à l'université sont exonérés de ce paiement.

Ces étudiants sont inscrits dans une grande diversité d'établissements. Aussi l'enquête de la Cour a-t-elle retenu un échantillon large, comprenant des universités, des écoles d'ingénieurs, des formations paramédicales ou encore de grands établissements. Cet échantillon reflète la diversité de l'enseignement supérieur public français, tant en termes de territoires d'implantation, que de filières, de taille d'établissements et de tutelles ministérielles.

Deux principaux axes sont développés dans le rapport.

Dans un premier temps, la Cour rappelle que la France a fait le choix d'un système public d'enseignement supérieur assuré, pour l'essentiel, par des subventions publiques. Or nous constatons que ce modèle de quasi-gratuité au bénéfice des étudiants est aujourd'hui battu en brèche.

Sans pilotage global ni objectif commun, de nombreux établissements ont en effet sensiblement augmenté leurs droits d'inscription, considérant ce levier comme un moyen d'accroître leurs ressources. Il en résulte un paysage hétérogène et parfois peu compréhensible pour les étudiants et leurs familles.

Dans un second temps, à la demande de votre commission, la Cour a examiné différents scénarios d'évolution des droits d'inscription universitaires, de nature à répondre aux besoins de financement de l'enseignement supérieur public français. Elle en a précisé les conséquences et les conditions de mises en oeuvre.

Tout d'abord, le système d'enseignement supérieur français s'est construit autour d'un modèle de quasi-gratuité. Il est la traduction du principe d'égal accès à l'instruction posé par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Ce modèle a une double conséquence.

D'abord, le financement du système d'enseignement supérieur est assuré pour l'essentiel par des fonds publics. Tel est le cas également dans plusieurs autres pays européens.

En conséquence, les droits d'inscription représentent une ressource marginale pour les universités françaises : en moyenne, moins de 2 %. Ils ne couvrent donc, dans la majorité des établissements publics, qu'une part infime du coût de la formation d'un étudiant. Pour mémoire, ce coût s'élevait en 2016 à 10 210 euros par an à l'université.

Si ce modèle de quasi-gratuité est ancien, il persiste aujourd'hui dans un environnement académique en pleine transformation. En effet, l'enseignement supérieur public fait face depuis plusieurs décennies à une croissance massive de ses effectifs, à son internationalisation et au développement significatif de l'offre de formation. Ces évolutions bienvenues ont créé des besoins de financement croissants pour les établissements.

Malgré ces transformations et ces évolutions, les pouvoirs publics n'ont pas remis en cause le modèle de quasi-gratuité à l'université. Les droits d'inscription se sont maintenus à un faible niveau ; ils ont même été gelés de 2015 à 2018. En 2018, les étudiants ont aussi bénéficié, dans leur grande majorité, d'un gain financier, à la suite de la création de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC), qui s'est substituée – pour un montant moins élevé – au versement de la cotisation maladie précédemment acquittée par les étudiants au titre de leur inscription.

Ce statu quo ne va pas de soi.

Face aux mêmes mutations, de nombreux établissements publics ont en effet utilisé les droits comme des instruments financiers à part entière d'une stratégie d'accroissement de leurs ressources propres.

Toutefois, selon les formations concernées, les hausses qui en ont résulté ont été d'ampleur inégale et ont obéi à des logiques différentes.

Je citerai à cet égard quelques exemples.

L'Institut d'études politiques de Paris et l'université Paris-Dauphine ont ainsi augmenté, pour leurs diplômes propres, le montant moyen des droits payés par les étudiants, par le biais d'un système de droits modulés par cycle et suivant les revenus du foyer fiscal des familles. Cette stratégie vise à accroître leurs ressources propres pour financer leur croissance, y compris à l'international.

Dans certaines écoles publiques d'ingénieurs, les hausses des droits d'inscription ont visé à accompagner le développement des établissements dans un contexte de stagnation ou de diminution des subventions publiques.

Enfin, dans d'autres configurations, des montants élevés de droits ont permis de compenser un niveau faible de financement public, comme dans les filières paramédicales, voire de tirer parti d'un public spécifique ou d'une spécialisation locale particulière, ce qui est le cas des diplômes d'université.

Il résulte de ces différentes stratégies un paysage disparate, dans lequel des diplômes et des qualifications comparables sont accessibles à des tarifs variables.

Cette différenciation des droits a prospéré avec l'assentiment implicite des pouvoirs publics, sans résulter d'une stratégie claire et partagée des ministères de tutelle.

Cette situation est d'autant plus illisible pour les étudiants et leurs familles que les déterminants du calcul des droits et de leur évolution ne sont pas véritablement connus. Le montant des droits n'a en effet pas de lien direct avec le coût des formations et les perspectives d'insertion professionnelles offertes par le diplôme. Son évolution, sur une base annuelle, relève de déterminants principalement politiques et qui ne sont pas objectivés.

À la lumière de ces constats, la Cour formule une première série de recommandations visant à renforcer la transparence, la lisibilité et la cohérence du cadre actuel des droits d'inscription. La Cour appelle également, avant toute réflexion sur leur éventuelle augmentation, à clarifier le contenu et les possibilités de variation des droits d'inscription. Elle recommande que ceux-ci soient, par exemple, indexés sur un indice économique de référence.

J'en viens à présent au second temps du rapport, qui répond plus particulièrement au souhait de votre commission.

Au regard des constats que je viens de formuler, la Cour a examiné différentes options d'évolution des droits d'inscription universitaires. Avant d'en détailler le contenu, j'appellerai votre attention sur quatre précautions méthodologiques.

La première concerne le besoin de financement des universités. Si l'existence de besoins est sans doute bien réelle, le chiffrage d'un milliard d'euros, mis en avant par la plupart des acteurs du secteur et repris dans ses grandes lignes par le Livre blanc de l'enseignement supérieur et de la recherche publié en 2017, gagnerait à être mieux étayé dans son montant et son utilisation. Tel n'est pas le cas aujourd'hui.

Avant d'accroître les ressources des universités, il convient également d'exploiter toutes leurs marges d'efficience, qu'il s'agisse de mesures de gestion ou de la rationalisation de l'offre de formation.

La deuxième précaution tient au caractère difficilement reproductible à l'université des mouvements de hausse intervenus ces dernières années dans certains établissements. Ils sont apparus en effet dans des contextes institutionnels et sociétaux particuliers et concernent des formations sélectives et onéreuses. Les établissements où ces droits ont augmenté sont également caractérisés par d'excellentes performances en termes d'insertion professionnelle, ce qui permet aux familles d'assimiler le montant des droits à un investissement raisonnable. A contrario, l'effet d'éviction des classes moyennes serait considérablement amplifié à l'université.

En troisième lieu, l'hypothèse d'une augmentation des droits d'inscription doit être considérée avec prudence car elle génère un coût pour les étudiants, les ménages et l'État.

Pour les étudiants, le montant des droits détermine l'arbitrage entre études et activité rémunérée, ainsi que les choix d'établissement, de filière et de carrière. À titre d'exemple, dans le cas de certaines formations paramédicales, un reste à charge élevé pour les étudiants conduit nombre d'entre eux à effectuer leur formation à l'étranger. Cette situation n'est pas sans influencer profondément le mode d'exercice professionnel choisi à l'issue des études.

Pour l'État, une telle option impliquerait, toutes choses égales par ailleurs, d'augmenter la subvention publique qui compense, au profit des universités, les exonérations de droits des étudiants boursiers. Or le surcoût annuel pour le budget de l'État serait loin d'être négligeable : nous l'avons estimé entre 309 millions d'euros et 507 millions d'euros dans le cadre de notre scénario central.

Dernière précaution, le montant des droits universitaires est actuellement très modeste, tant en valeur absolue qu'en proportion des ressources des universités. Pour offrir un surcroît de ressources significatif aux universités, il faudrait donc les augmenter très nettement.

J'en donnerai une illustration : en 2018-2019, une hausse générale des droits d'inscription de 30 % – ce qui est déjà beaucoup – n'aurait procuré aux universités que 102 millions d'euros de recettes supplémentaires, soit 1,4 million d'euros en moyenne par université. C'est très peu rapporté à leur budget.

La Cour a intégré ces quatre précautions pour élaborer des scénarios d'évolution des droits d'inscription, comme l'avait souhaité votre commission.

Au vu notamment des exemples étrangers, elle a d'abord écarté les deux hypothèses les plus extrêmes, celle d'une suppression des droits d'inscription et celle d'une hausse très soutenue.

La suppression générale des droits d'inscription, telle qu'elle se pratique dans les pays scandinaves et en Allemagne, est incompatible avec le nécessaire effort de réduction de la dépense publique. Surtout, une fois mise en place, elle devrait s'accompagner d'une régulation renforcée de l'accès à l'enseignement supérieur, en contradiction profonde avec le modèle français actuel. Cette perspective impliquerait ainsi de modifier considérablement le modèle français d'admission dans l'enseignement supérieur et d'organisation des parcours.

À l'opposé, l'alignement des droits d'inscription sur les coûts de formation, qui supposerait une forte augmentation des droits, ne paraît pas plus réaliste ni souhaitable. En effet, il contrevient frontalement au principe issu du Préambule de la Constitution de 1946.

Voilà pour ces deux options, qui paraissent devoir être écartées.

La Cour a également réalisé des simulations fondées sur à l'hypothèse d'une augmentation des droits d'inscription pour les étudiants étrangers, c'est-à-dire non ressortissants d'un pays de l'Union européenne, de l'Espace économique européen ou de la Suisse. Nous avons évalué l'effectif correspondant à 133 000 étudiants à l'université pour l'année 2016-2017, soit 8 % du corps étudiant universitaire.

J'indique à cet égard que notre rapport a été instruit et délibéré avant les annonces formulées par le Premier ministre sur ce sujet, le 19 novembre dernier. Je ne reviens donc pas sur les résultats des simulations réalisées par la Cour, le sujet ayant été tranché par les pouvoirs publics.

La décision du Gouvernement d'augmenter le montant des droits d'inscription pour les étudiants étrangers modifie un paramètre du raisonnement établi par nos rapporteurs. Elle justifierait donc une actualisation des calculs correspondants. Ceux-ci sont en effet construits sur la base de l'ensemble des effectifs universitaires présents, nationaux, européens et extracommunautaires.

J'en viens maintenant aux différentes hypothèses d'augmentation des droits à l'université étayées dans ce rapport. Les scénarios sont par nature multiples, selon l'importance conférée à tel ou tel paramètre et les choix politiques qui en découlent.

Pour effectuer ses calculs, la Cour a retenu le montant cible du besoin de financement annuel supplémentaire d'un milliard d'euros par an, malgré ce que j'en ai dit tout à l'heure, afin de disposer d'une référence.

La Cour a appliqué à cette cible une clef de répartition équivalente à la part qui revient actuellement aux universités dans les crédits de l'enseignement supérieur et de la recherche publics. Ce raisonnement permet d'aboutir à une cible de recettes annuelles supplémentaires pour les universités de 432 millions d'euros.

Si les hypothèses d'augmentation des droits, dans leur ampleur et leur ciblage, peuvent faire l'objet de nombreuses variantes, la Cour a cependant privilégié un scénario central articulé autour de trois principes et permettant d'atteindre la cible de 432 millions d'euros.

D'abord, pour préserver l'égal accès à l'enseignement supérieur public, le faible niveau actuel des droits pourrait être maintenu dans le premier cycle d'études supérieures. Rappelons que 61 % des étudiants français et étrangers sont inscrits en licence à l'université et 40 % d'entre eux sont déjà exonérés de droits, en tant que boursiers.

Ensuite, a contrario, le cycle master pourrait supporter l'essentiel de la progression des droits, notamment en raison des perspectives d'insertion professionnelle qu'il offre aux diplômés. Les étudiants en master ne représentant que 34,9 % du corps étudiant, la hausse du niveau des droits devrait être soutenue pour avoir un réel effet sur les ressources des établissements.

En l'occurrence, pour atteindre l'objectif d'une recette supplémentaire de 432 millions d'euros en 2018-2019 sans toucher aux droits d'inscription en licence, il conviendrait de porter les droits du cycle master à 965 euros et ceux du cycle doctoral à 781 euros. Le même effet sur les ressources des universités pourrait être obtenu en protégeant davantage le master et en faisant contribuer, même modérément, le cycle de licence.

Enfin, les résultats des simulations que je vous ai présentées ne sont valables que si la subvention versée par l'État aux universités ne diminue pas de façon concomitante. On constate en effet, au travers de quelques exemples étrangers, qu'une augmentation des droits d'inscription peut entraîner une diminution des subventions publiques. C'est le cas au Royaume-Uni.

Au-delà des précautions qui s'attachent à l'utilisation de modèles de calcul, et quelle que soit l'évolution envisagée, la réflexion sur les droits d'inscription ne doit pas se réduire à une bataille de chiffres. Elle renvoie à des enjeux structurants pour l'enseignement supérieur, tels que la diversité des parcours des étudiants, le niveau de l'offre d'enseignement ou la qualité des services offerts par les établissements.

Aussi, ce que la Cour propose dans ce rapport, ce sont avant tout des hypothèses de raisonnement. Elle n'a d'ailleurs pas exploré toutes les variantes possibles, tant leur nombre est élevé.

Surtout, au travers de ce rapport, la Cour exprime une conviction : une hausse des frais d'inscription ne pourrait être envisagée que sous réserve de l'existence de garanties, en premier lieu au bénéfice des étudiants.

J'en citerai deux.

Premièrement, une augmentation des droits d'inscription devrait s'accompagner, selon son ampleur, de mesures de soutien financier en faveur des étudiants, que ce soit à travers l'adaptation du dispositif de bourses ou à travers l'évolution de celui des prêts étudiants. La Cour recommande notamment une extension du nombre d'étudiants exonérés de droits d'inscription, sans nécessairement que les étudiants concernés aient droit en plus à une aide financière complémentaire sous forme de bourse.

Deuxièmement, l'éventuelle augmentation des droits d'inscription, donc des ressources des établissements, devrait mécaniquement conduire à une amélioration des services offerts aux étudiants et de leurs conditions d'études. Elle pourrait par exemple inclure des dispositifs d'aide à l'insertion professionnelle plus soutenus que ceux existant aujourd'hui et le renforcement de l'encadrement pédagogique.

Au-delà, l'augmentation des ressources propres des universités pourrait contribuer à l'approfondissement de leur autonomie. Dans l'hypothèse où l'État ou le Parlement fixerait, par exemple, un seuil et un plafond annuels de droits à percevoir, les universités pourraient être alors mieux placées pour décider, en fonction de leurs besoins propres ainsi que de leur stratégie de formation et de recrutement, de la fixation d'un niveau des droits adapté et juste.

Le nombre d'étudiants inscrits dans l'enseignement supérieur en France connaît une hausse continue depuis 2008, et ce nombre devrait continuer d'augmenter. C'est une chance pour la France. Mais cette situation accroît le besoin de financement des établissements pour permettre d'offrir aux étudiants les meilleures conditions d'enseignement possibles. La question du niveau des droits d'inscription se pose notamment dans ce contexte et avec cet objectif essentiel.

L'ambition de ce rapport est de fournir un modèle d'aide à la décision, évaluant, au-delà des chiffres, l'ensemble des conséquences de telle ou telle option. Je forme le voeu pour que cette analyse soit utile dans vos travaux à venir.

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