Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 5 décembre 2018 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Tout d'abord, je reviendrai à l'origine de la commande. Je suis toujours surpris de ce que l'on peut prêter à un rapport de la Cour, tant au niveau du Parlement que de certains médias. J'ai parfois quelque difficulté à reconnaître le rapport de la Cour à travers certains propos. Je ne veux pas commenter certaines observations qui ont été faites, de même que nous nous interdisons d'apprécier en opportunité telle décision annoncée par le Gouvernement. Ce n'est pas notre rôle. Si nous le faisions, vous pourriez légitimement nous le reprocher.

De la même façon, la Cour ne propose pas par elle-même une augmentation des droits d'inscription. Nous avons répondu à une demande formulée par vous-mêmes d'étudier un certain nombre de scénarios possibles compte tenu d'un besoin de financement des universités françaises. Nous nous sommes inscrits dans cette demande. Nous avons écarté quelques scénarios qui nous apparaissaient excessifs et nous formulons un certain nombre de propositions sans émettre de préférence particulière, même s'il y a un scénario central, étant entendu que la décision relève des pouvoirs publics.

Le rapport n'évoque pas les 3 % ou d'autres sujets qui ont été rappelés. Nous raisonnons toujours en fonction d'objectifs qui ne sont pas définis par la Cour mais qui le sont par les pouvoirs publics eux-mêmes. Y compris lorsqu'il s'agit de recettes publiques ou de dépenses publiques, la Cour s'inscrit dans les lois de programmation et dans les lois de finances votées par le Parlement. La Cour n'a pas de logique particulière sur ce sujet. Lui en prêter ne me paraît pas correspondre à une réalité.

Je répondrai à quelques questions qui peuvent se recouper.

Bien évidemment, et vous êtes plusieurs à l'avoir évoqué, les droits d'inscription ne sont pas solution unique à la capacité financière des universités à répondre à un certain nombre de besoins. Nous évoquons d'autres gains d'efficience possibles pour les établissements universitaires.

Les contrôles de la Cour montrent que le temps de travail des personnels administratifs et techniques des établissements d'enseignement supérieur n'est pas conforme à la réglementation et que le rendre conforme pourrait apporter des gains d'efficience. La situation actuelle peut représenter une perte de potentiel de l'ordre de 10 % sur une population de 90 000 agents, ce qui est loin d'être négligeable.

Le regroupement d'établissements au sein d'un site universitaire peut permettre une rationalisation de l'offre de formation, par la suppression de doublons ou la limitation de formations à faibles effectifs. De plus, vous l'avez évoqué, monsieur le rapporteur spécial, certaines actions comme la gestion immobilière peuvent faire l'objet d'une politique à l'échelle de sites universitaires en vue d'opérer une mutualisation et de réaliser des gains d'efficience. Donc, le rapport n'évoque pas seulement les droits d'inscription, même si c'était le sujet de la commande.

La Cour des comptes n'est pas favorable à une limitation du nombre des étudiants. J'ai dit dans mon propos introductif que l'augmentation sensible du nombre d'étudiants à l'université, quelle que soit leur origine, peut être un atout formidable pour notre pays, dès lors que leur niveau est élevé. Plus on est formé et plus on a de chances d'accéder au marché de l'emploi. Cela va dans le bon sens.

Le nombre d'étudiants est une donnée essentielle, à la fois pour évaluer les besoins des universités en termes de capacité d'accueil et pour déterminer le niveau de leurs recettes au titre des droits d'inscription. Nous relevons que, même sans augmentation du montant des droits, les recettes des universités vont mécaniquement s'accroître dans les prochaines années, du fait de la croissance attendue du nombre d'étudiants. La démographie étudiante est l'un des principaux paramètres sur lesquels se fondent les acteurs de l'enseignement supérieur pour faire valoir un besoin de financement supplémentaire pour les années à venir. Le Livre blanc de l'enseignement supérieur et de la recherche, paru en 2016, estimait que le facteur démographique représentait à lui seul entre 41 % et 59 % du besoin de financement, ce qui est considérable. Pour établir nos constats, nous nous sommes fondés sur la dernière note d'information disponible du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche, datée d'avril 2018, qui détaille les projections des effectifs dans l'enseignement supérieur pour les rentrées 2017 à 2026. Ce document indique que la période 2018-2020 connaîtra une forte hausse des inscriptions dans l'enseignement supérieur mais que la progression annuelle prévue en 2021 et 2022 est beaucoup moins forte, de l'ordre de 1 % chaque année. Ce document indique la prévision de répartition de la croissance démographique selon les catégories d'établissements. Il montre notamment que sur les 327 000 étudiants supplémentaires attendus en 2026, 54,7 % devraient s'inscrire à l'université.

Au total, nous soulignons que si la croissance démographique est incontestable, même s'il s'agit de prévisions révisables chaque année, on ne peut mécaniquement en déduire une croissance équivalente des besoins financiers des établissements. J'ajoute que la répartition de ces besoins entre établissements d'enseignement supérieur publics et privés n'est pas précisément évaluée par les acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué la question cruciale du coût élevé, non seulement financier mais aussi social, de l'échec en licence.

Selon les données du ministère, seulement 28 % des étudiants obtiennent leur licence en trois ans, 45 % en trois, quatre ou cinq ans. Le reste des étudiants abandonnent les études dans lesquelles ils se sont initialement engagés ou se réorientent vers d'autres formations.

Sur la base de la dépense moyenne par étudiant à l'université, le coût associé au redoublement en cycle licence peut être évalué pour l'année 2015-2016 à 1,47 milliard d'euros et celui associé à la réorientation à 569 millions d'euros, ce qui représente un coût total de plus de 2 milliards d'euros.

Compte tenu de ce coût élevé, la Cour a analysé l'option d'une différenciation des droits d'inscription en cas de dépassement de la durée normale d'études, dans la perspective d'une optimisation de l'organisation des parcours universitaires. Le maintien des bourses est en effet lui-même soumis à des conditions de progression des étudiants. Une différenciation des droits en cas de redoublement existe dans certains pays où les droits d'inscription sont faibles, voire inexistants. La question se poserait donc de savoir si les droits d'inscription pourraient jouer un rôle régulateur afin d'inciter davantage les étudiants à terminer leurs études dans la durée normale d'un cursus. Nous ne la proposons pas. Une telle option ne paraît pas adaptée au nouveau contexte mis en place par la récente loi « ORE ». L'amélioration de la réussite repose désormais sur des aménagements qualitatifs dans les cursus. Il est prévu la mise en place, dans le cadre de contrats pédagogiques, de dispositifs d'accompagnement individualisés et de parcours de formation personnalisés tenant compte de la diversité, de la spécificité des publics étudiants accueillis au cours du premier cycle par les établissements d'enseignement supérieur. La loi « ORE » rendrait plus complexe la gestion d'un tel dispositif de modulation des droits en fonction de la durée des études. Nous avons écarté cette piste au terme de notre enquête. Nous suivrons avec attention la mise en oeuvre de la loi « ORE » et ses résultats en termes d'amélioration de l'orientation des étudiants.

Pourquoi concentrer les droits d'inscription plus élevés sur les masters ?

Il nous a paru essentiel de souligner que le sujet des droits d'inscription ne devrait pas être abordé uniquement sous un angle financier. Je me permets de rappeler une fois de plus que nous ne sommes pas seulement des comptables. Considérer les rapports de la Cour comme étant seulement des points de vue de comptables me paraît quelque peu limiter nos travaux et notre ambition de vous être le plus utiles possible.

Nous avons également regardé les services que l'étudiant usager est en droit d'attendre d'un établissement public. Il n'entrait pas dans l'objet du rapport de dresser un état des lieux des types de services offerts aux étudiants en complément des activités de formation et de recherche. Nous nous sommes fondés sur les études du Centre d'études et de recherches sur les qualifications et de l'Observatoire national de la vie étudiante pour apprécier le type de services attendu par les étudiants et la façon dont les universités y répondent. Les résultats sont très hétérogènes mais intéressants. Je citerai une comparaison frappante en matière d'aide à l'insertion professionnelle : 56 % des élèves d'écoles de commerce ont accès à une aide pour trouver un stage, contre 26 % seulement des étudiants en troisième année de licence ; 65 % des élèves d'écoles de commerce ont accès à une aide à la rédaction de curriculum vitae, contre 21 % des étudiants en licence. Au-delà de cet exemple, le premier service que l'étudiant est en droit d'attendre de l'université, c'est d'être accompagné vers la réussite, de bénéficier d'une pédagogie adaptée. C'est la raison pour laquelle les dispositifs d'accompagnement prévus par la loi « ORE » nous paraissent aller dans le bon sens. Il reste à s'assurer qu'ils seront mis en oeuvre efficacement et permettront d'atteindre ce grand objectif qu'est la réussite en licence.

Augmenter les droits d'inscription pour le cycle master n'aurait-il pas pour conséquence de tuer le master ?

Il y a deux façons d'aborder le sujet.

La première est financière. On peut relever, en premier lieu, qu'il existe déjà aujourd'hui une progressivité des droits entre les cycles licence, master et doctorat. Dans les montants qui sont applicables à la rentrée 2018, le tarif du master est 43 % plus élevé que celui de la licence et le tarif du doctorat est 56 % plus élevé que celui du master.

D'autre part, les montants avancés dans le rapport ont été calculés en tenant compte de plusieurs contraintes. En raison du montant aujourd'hui très modeste des droits, en valeur absolue ou en part dans les ressources des établissements, l'objectif de produire un effet significatif sur le niveau de recettes des universités impose obligatoirement d'augmenter le montant des droits dans des proportions élevées. Je le répète, une hausse générale des droits de 30 %, qui peut déjà être considérée comme substantielle, n'aurait procuré à l'ensemble des universités que 102 millions d'euros de recette supplémentaire par rapport au niveau prévisionnel pour 2018-2019.

Il faut également tenir compte de la répartition des étudiants entre les cycles de formation – licence, master et doctorat. La majorité des étudiants sont inscrits en licence, ce qui implique que c'est l'augmentation des droits en licence qui produirait le meilleur rendement financier mais, d'un autre côté, c'est le cycle licence qui assure l'accès des candidats à l'enseignement supérieur. Il nous a paru intéressant de présenter des hypothèses qui permettent de préserver l'accès à l'enseignement supérieur par l'accès au cycle licence.

Au regard de la commande, nous avons retenu l'hypothèse de présenter le cycle master comme le cycle pivot en cas de hausse des droits, à la fois pour la raison que je viens d'indiquer et parce que le diplôme de niveau master – j'y insiste – offre un grain réel en termes d'insertion professionnelle et de bénéfice salarial.

Nous constatons que, dans tous les pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la poursuite d'études se traduit par un gain net en matière de rémunération. Ce bénéfice salarial est particulièrement accentué en France. Pour un niveau de rémunération de 100 en fin de secondaire, la valeur moyenne dans les pays de l'OCDE est de 146 après la licence et de 198 après un master ou un doctorat. En France, l'indice de rémunération est de 138 pour les titulaires d'une licence et de 205 pour les diplômés de master ou de doctorat. Autrement dit, le diplôme de master en France est beaucoup plus rémunérateur que celui obtenu dans d'autres pays au regard du niveau obtenu à l'issue d'une licence. Cela pourrait justifier un écart de droits plus élevé qu'aujourd'hui entre la licence et le master, étant entendu que même le montant de 965 euros que nous avançons dans l'une des hypothèses du rapport est très loin d'atteindre le coût d'une formation, qui, je le rappelle, est autour de 10 000 euros par an. Ce montant représenterait seulement 9,4 % du coût moyen d'un étudiant en université.

La seconde réponse sur le master se rapporte au raisonnement que la Cour a mené sur les droits d'inscription. Nous estimons que la question des droits ne relève pas d'une problématique exclusivement financière, mais s'inscrit aussi dans la relation entre l'établissement qui assure l'offre de formation et l'étudiant, en tant qu'usager du service public de l'enseignement supérieur. Dans ce cas, loin de tuer le master, nous faisons l'hypothèse que le fait d'apporter des recettes supplémentaires aux universités pourra créer des conditions pour augmenter ce qui fait l'intérêt du diplôme. Pour l'étudiant, une hausse des droits en master, comme dans les autres cycles, ne se justifierait qu'au regard de la mise en place d'actions concrètes fournissant un meilleur service à l'étudiant dans sa scolarité, notamment pour s'insérer dans la vie professionnelle.

Nous n'avons pas fait d'étude d'impact de la mesure du Gouvernement concernant les étudiants étrangers après le rapport. Cela ne relève pas de la responsabilité de la Cour. À l'appui du scénario de hausse, nous avons dit qu'il nous apparaissait nécessaire d'accompagner toute hausse d'un certain nombre de précautions et de garanties à apporter aux étudiants. En particulier, nous pensons qu'un certain nombre d'étudiants doivent être exonérés, qu'il s'agisse d'étudiants étrangers, d'où qu'ils viennent, de bacheliers français ou de résidents en France. Il faut être attentif au possible effet d'éviction, tel qu'il a été constaté, par exemple, en Suède. Il faut prendre des mesures pour éviter cet effet d'éviction. Toute hausse doit s'accompagner d'un renforcement du système de bourses du Gouvernement et d'une amélioration du service aux étudiants.

Enfin, quelques pages du rapport précisent le cadre légal et indiquent qu'il doit être clarifié. Les modifications du cadre légal peuvent dépendre de la nature juridique des droits. S'ils sont qualifiés de redevance, le service rendu doit faire l'objet d'une proportionnalité. Un décret en Conseil d'État serait nécessaire pour en fixer le montant, qui devrait être ratifié dans une prochaine loi de finances. S'il s'agit d'une taxe, c'est au Parlement d'en fixer le niveau. En cas de choix de l'autonomie, un plafond et un plancher d'encadrement peuvent être fixés en loi de finances, étant entendu que la CVEC peut être aussi une compensation.

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