Intervention de Olivier Noblecourt

Réunion du mercredi 14 novembre 2018 à 16h30
Commission des affaires sociales

Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes :

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour ces interventions et ces remarques, qui nous sont précieuses. Je le dis avec humilité car vous êtes dépositaires d'une exigence à laquelle nous devrons répondre au cours des prochaines années, dans un domaine qui exige de nous un travail au long cours. Nous n'en sommes aujourd'hui qu'à la première étape.

Madame Romeiro Dias, je veux redire combien nous estimons important que l'accompagnement social des personnes prenne en compte la dynamique des parcours de vie. La philosophie de la stratégie pauvreté, que vous avez rappelée, est de s'adosser davantage au projet des personnes qu'à leur entrée dans un dispositif.

En parallèle du processus législatif dont vous serez les auteurs, la contractualisation sera mise en oeuvre dès le début du mois de janvier dans les dix territoires démonstrateurs. Nous espérons qu'elle sera achevée dans la totalité des départements sollicités au 30 juin 2019. Ce premier semestre sera donc consacré aux échanges entre État et départements, afin de mettre en oeuvre la stratégie selon les modalités que j'ai décrites.

La semaine prochaine, nous serons à Orléans avec Agnès Buzyn et Christelle Dubos pour lancer les conférences régionales des acteurs. D'ici à la fin de l'année, ou au tout début de l'année 2019, chaque région sera dotée d'une gouvernance qui mobilisera les collectivités de tout niveau et l'ensemble des acteurs. Les personnes concernées y occuperont bien sûr une place centrale. Il est très clair que les réponses que nous construirons ne seront efficaces que si nous partons de leurs besoins.

Les parlementaires seront bien sûr informés et associés à cette mise en oeuvre par les services déconcentrés de l'État. Vous serez légitimes à leur demander des comptes, mais aussi à inciter les acteurs de vos territoires à s'engager dans cette stratégie.

Par souci de concision, je n'ai pas évoqué dans mon propos liminaire le rôle des entreprises. Le dernier volet du document de la stratégie pauvreté, téléchargeable sur internet, est pourtant axé sur leur engagement, qui pourra prendre deux formes. Nous tenterons de déployer le modèle « ni gains ni pertes », dans lequel les entreprises renoncent à leur marge sur des produits de première nécessité. Il s'agit d'un programme initié par Action Tank Entreprise et Pauvreté, qui a déjà mis en oeuvre une action dans le domaine de l'alimentation infantile. Pour l'heure, seuls quelques départements pilotent ce type de dispositif, que nous généraliserons.

Nous demanderons aussi aux entreprises d'accompagner les initiatives locales à travers des « dotations d'action territoriale ». Il s'agit d'augmenter la part dévolue à l'action sociale du mécénat, lequel est surtout dirigé vers l'action culturelle et sportive. Une première expérimentation est en cours à Romans-sur-Isère et d'autres communes s'engagent en ce sens. Ce programme, mis en oeuvre de façon très progressive, sera piloté par les acteurs des territoires, à qui il reviendra de mobiliser les entreprises de taille intermédiaire. Ce n'est pas là le rôle de l'administration centrale.

Madame Valentin, j'ai décrit les nombreuses mesures d'accompagnement qui existent pour les jeunes. La pauvreté des enfants est un phénomène qui recouvre diverses réalités de privation matérielle. Une directive européenne de 2013 prévoit des indicateurs qui permettent de mesurer de façon très précise l'accès à l'éducation, l'accès à la santé, l'accès à une alimentation équilibrée, l'accès à la culture et aux loisirs. L'observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, l'ONPES, a rendu un rapport très riche sur ce sujet à l'automne 2017. La stratégie prévoit de diviser par deux, en quatre ans, le taux de privation matérielle des jeunes. Nous aurons à en rendre compte, y compris devant l'Union européenne.

Monsieur Hammouche, vous m'avez interrogé sur la pauvreté des personnes âgées, une dimension selon vous insuffisamment prise en compte dans la stratégie de lutte contre la pauvreté. Nous n'avons aucune prétention à l'exhaustivité ou à la perfection, et les remarques et les critiques sont évidemment les bienvenues. Comme les parlementaires en ont décidé, le minimum vieillesse, aujourd'hui appelé l'allocation de solidarité aux personnes âgées – ASPA – fait à nouveau l'objet d'une revalorisation, qui sera de l'ordre de 35 euros en 2019, suivie d'une autre en 2020. Le nombre d'allocataires augmente en flux, et ce sont en tout 550 000 personnes qui voient leurs revenus croître.

Mais, comme vous l'avez souligné, les difficultés monétaires du grand âge se doublent souvent d'un isolement social. Et si l'ASPA permet d'atteindre un niveau de ressources approchant le seuil de pauvreté – d'où l'enjeu de sa revalorisation –, et supérieur au RSA, c'est bien cet isolement qui est source de très grande souffrance des personnes âgées et accroît encore leur vulnérabilité lorsqu'elles deviennent dépendantes. Le chantier de la dépendance, vous le savez, est ouvert. La stratégie pauvreté, quant à elle, financera des dispositifs de lutte contre l'isolement en faisant droit aux recommandations d'un récent rapport du Conseil économique, social et environnemental. Il s'agirait notamment de labelliser des équipes associatives dans les territoires, à l'instar des Petits Frères des Pauvres, association emblématique de la prévention de l'isolement et de la pauvreté des personnes âgées.

Qu'il s'agisse du RAC (reste à charge) zéro ou de la fusion ACS CMU-C, les grands gagnants sont évidemment les personnes âgées, dont les besoins en soins sont plus importants. La direction de la sécurité sociale a chiffré le bénéfice pour un couple de personnes âgées de 70 ans de la fusion ACS CMU-C à 600 euros minimum par an, avec un panier de soins qui sera de meilleure qualité. Nous visons donc bien une amélioration du pouvoir d'achat et des conditions de vie réelles, les enjeux n'étant pas que monétaires.

S'agissant du logement, je vous ai apporté quelques réponses qui tiennent notamment au lien entre hébergement et logement et à la prise en charge des familles, insuffisamment accompagnées aujourd'hui. Des moyens importants y seront consacrés : ces 125 millions d'euros permettront par exemple de créer jusqu'à 7 500 places en CHRS, pour les femmes avec enfants, ce qui n'est pas rien. Au-delà, nous comptons contractualiser une partie de nos crédits avec les collectivités qui pilotent la politique de l'habitat, notamment les métropoles et les intercommunalités qui gèrent les programmes locaux de l'habitat – PLH –, afin de mieux prendre en compte cette dimension dans nos politiques de lutte contre la pauvreté.

Pour m'y être rendu à cinq reprises cette année, et il y a encore trois semaines, je ne crois pas savoir que le CNLE rencontre des difficultés particulières de fonctionnement. Le mandat du président doit s'achever un peu avant l'été, ce qui pose la question du renouvellement de ses membres, mais nous sommes convenus avec Étienne Pinte qu'il puisse aller à son terme. Nous allons proposer un nouvel élan, en augmentant notamment la place des personnes concernées dans le 8e collège. En tout état de cause, je peux attester de la vitalité de l'organisme. Les séances et les débats auxquels j'ai pu assister étaient passionnants.

Enfin, sur cette première ligne de front qu'est l'accompagnement des « invisibles », j'ai évoqué, s'agissant des jeunes, les Points d'accueil et d'écoute, l'éducation spécialisée, les missions locales. Nous financerons aussi les dispositifs « aller vers » via le plan d'investissement dans les compétences. Le PIC destinera 50 millions d'euros au financement d'actions portées par les collectivités et les associations. Enfin, dans la matrice de l'organisation des accueils sociaux et universels que nous mettrons en place avec les départements, une partie très importante est liée à l'accès de ces invisibles, particulièrement important dans le monde rural.

Madame Biémouret, nous cherchons toujours un équilibre, certes perfectible, entre les « racines » et l'existant. Sur les 8,5 milliards d'euros que représente la stratégie de lutte contre la pauvreté, 4 milliards seront consacrés à des réponses immédiates, comme la revalorisation de la prime d'activité, les 4,5 milliards restants permettant de financer les politiques de prévention et d'accompagnement. Celles-ci ne visent pas uniquement la racine, j'en ai parlé très directement avec Denis Clerc : les politiques d'accompagnement entreront en vigueur immédiatement. Il convient bien sûr de prévoir une montée en charge car, même si des actions remarquables sont conduites dans le département du Gers, vous n'ignorez pas que les opérateurs de l'accompagnement sont aujourd'hui fragilisés et qu'ils n'ont pas toujours la capacité de déployer le personnel suffisant pour appliquer ces politiques. Je viens tout juste de rencontrer les responsables d'une association qui gère de l'hébergement et des chantiers d'insertion, qui insistaient sur le fait que le rythme devait augmenter progressivement.

Nous nous y emploierons ces prochaines années, mais dès janvier, une partie importante des départements mettra en oeuvre la fin des sorties sèches de l'aide sociale à l'enfance – une réponse à l'urgence – et Pôle emploi augmentera l'accompagnement global. Nous pourrons examiner, si vous le souhaitez, la déclinaison opérationnelle des mesures dans le temps, mais, quand bien même vous êtes en droit de trouver l'équilibre imparfait – et nous ne prétendons pas qu'il le soit –, il existe à la fois des actions de prévention au long cours et des actions d'accompagnement immédiates. Il est important que nous rompions avec une logique d'accompagnement purement monétaire. Si les aides directes représentent encore la moitié de la dépense, comme c'était le cas dans le précédent plan pluriannuel, avec la revalorisation de la prime d'activité, nous consacrons des moyens encore plus importants à l'accompagnement et à la prévention.

Sur le financement de la stratégie, sachez que les dépenses totales en 2019 représentent 1,3 milliard d'euros, en comptant l'engagement des caisses de sécurité sociale, de Pôle emploi et le fonds de contractualisation. En 2022, ces dépenses s'élèveront à près de 3 milliards d'euros. Cela donne une voilure de financement sur des mesures exclusivement nouvelles. Sans vouloir polémiquer, je souligne que nous aurions pu intégrer dans le financement de la stratégie pauvreté la revalorisation de l'ASPA et de l'AAH ainsi que les mesures annoncées cet été au titre de la politique de la ville. Nous n'avons pas cédé à la tentation d'un habillage budgétaire flatteur en recyclant des crédits. Il s'agit de 100 % de mesures nouvelles, qui s'ajoutent à l'ensemble des politiques déjà financées.

Nous avons travaillé avec le Secours Catholique sur les enjeux de l'isolement des seniors et nous reconnaissons pleinement dans les recommandations qui ont été faites.

De nouvelles alertes sur l'aide alimentaire au niveau européen se sont fait jour et les différents ministres sont pleinement mobilisés. Dans ce domaine, nous comptons nous inspirer, et ce n'est pas une facilité de langage, des actions menées par les territoires. Le 12e groupe de travail des États généraux de l'alimentation a travaillé sur l'accès des plus fragiles, et notamment sur ces dispositifs qui permettent de lutter contre le gaspillage, sur les circuits courts et les modèles de transition écologique et alimentaire des territoires. De très belles actions sont menées dans le Gers mais je pense aussi à des projets en cours dans les métropoles de Nantes et de Rennes, dont nous nous inspirerons.

Pour répondre à votre question sur le gaspillage alimentaire, madame Khattabi, la stratégie prévoira bien ce type de financement.

Monsieur Lurton, il était essentiel qu'au-delà de la redistribution horizontale, qui n'est pas remise en cause, nous nous attachions à la redistribution verticale. Notre politique familiale est singulière en cela qu'elle repose sur les trois piliers que sont les allégements fiscaux, les prestations monétaires et les services. Les allégements fiscaux ne bénéficient pas aux familles les plus pauvres, qui ne paient pas l'impôt sur le revenu – elles sont pourtant celles qui portent la démographie dans notre pays. Et si elles sont les premières à bénéficier des prestations monétaires – ce qui n'est que justice républicaine –, elles sont les grandes oubliées des services d'accueil du jeune enfant.

Alors que l'accueil individuel ne leur est pas accessible, le taux d'accès aux crèches des enfants de familles pauvres est 4 à 5 fois moins important que celui des enfants issus de milieux favorisés. Nous n'avons pas pour ambition de donner l'exclusivité, ou la priorité aux enfants des familles en situation de pauvreté, mais de faire en sorte qu'ils aient, pour commencer, le même accès, dans une mixité sociale parfaitement républicaine. C'est l'honneur du conseil d'administration de la branche famille que d'avoir soutenu ces priorités dans la convention que l'État a soumise à son approbation.

S'agissant de la création de places de crèches, nous sommes loin d'imposer des décisions par le haut, puisque nous allons solvabiliser l'effort des communes. Nous n'avons pas pensé les besoins depuis Paris, nous avons au contraire voulu donner aux maires les moyens de s'engager. Par le bonus « mixité sociale », conjugué au bonus « territoires » des communes, nous réduirons le reste à charge à moins de 10 % du coût d'une place de crèche. La réalité, et vous le savez, est que les maires ne s'engagent que s'ils ont une visibilité sur le coût en fonctionnement, et non sur des critères d'investissement. Nous avons donc conduit ces actions, en parfaite intelligence d'ailleurs, avec l'association des maires de France, qui a soutenu l'ensemble de ces mesures, pour que les maires puissent s'engager à partir de leur analyse des besoins.

Je serai honnête avec vous, le nombre de 30 000 places est un plancher. Nous nous souvenons que, sur les 100 000 places en établissements collectifs qui avaient été prévues sous la précédente législature, seules 30 000 ont été créées. Nous partons donc avec un objectif raisonnable, faire au moins ce qui a été réalisé précédemment, en relançant la dynamique de création sur le territoire. Ce qui importe, c'est que les acteurs des territoires s'engagent dans ce développement de l'offre. Cette mission sera confiée aux CAF. Des chantiers de simplification administrative seront confiés aux législateurs que vous êtes. Une mission parlementaire est en cours sur les missions des PMI. Donnons-nous le temps, sur ces sujets, de rassembler l'expertise des acteurs des territoires.

Les petits déjeuners à l'école seront pris en charge par l'éducation nationale et ne représenteront donc pas un coût supplémentaire pour les communes. Nous mettrons en place une aide, pensée avec les élus, destinée aux petites communes, notamment rurales, pour la mise en place d'une tarification sociale des cantines dans le premier degré. Les deux tiers d'entre elles en sont dépourvues, alors que plus des deux tiers des communes de plus de 10 000 habitants en appliquent une. Dans le second degré, les fonds sociaux des collèges et des lycées ont été revalorisés très fortement pour répondre à cette problématique.

Enfin, madame de Vaucouleurs, j'ai participé la semaine dernière au congrès national de la prévention spécialisée. Nous dédierons au moins 5 millions d'euros par an, hors contractualisation, au renforcement de l'éducation spécialisée. Il est inédit que l'État finance directement ces missions. Nous le ferons en donnant la priorité aux territoires les plus fragiles, qui ne sont pas couverts aujourd'hui. Il faut savoir que 17 départements n'ont plus de services de prévention spécialisée ou d'associations financées, ce qui constitue une difficulté terrible. Les interventions se feront en priorité en direction des plus âgés, car la pente à n'aller que vers les plus petits constitue l'une des limites de l'intervention publique auprès des 16-25 ans, et nous le ferons sur les horaires de nuit et de week-end, qui sont les horaires sensibles pour toucher ces jeunes.

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