Intervention de Olivier Noblecourt

Réunion du mercredi 14 novembre 2018 à 16h30
Commission des affaires sociales

Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes :

Vos questions témoignent d'une exigence qui est à la hauteur de l'urgence sociale ; je vais m'efforcer d'y apporter les réponses les plus complètes possible.

Nous avons la chance d'avoir un modèle plus redistributif que celui d'autres pays européens ; ce modèle nous permet de mieux prévenir, et la persistance et l'intensité de la pauvreté. Néanmoins, sa persistance a progressé pour un trop grand nombre de personnes parmi les plus fragiles, celles dont le revenu représente, non pas 60 % ou 50 %, mais 40 % du revenu médian. Nous devons permettre à ces personnes de sortir de cette situation, la meilleure façon de les y aider étant évidemment de les accompagner vers l'emploi. Du reste, tous les dispositifs, notamment associatifs, que j'ai évoqués ont pour dénominateur commun de placer l'accès à l'emploi au coeur de leur action. Ce sera l'un des enjeux importants non seulement du service public de l'insertion – dont je dirai quelques mots dans un instant –, mais aussi du revenu universel d'activité.

En effet, ce n'est pas pour rien que le Président de la République a employé les mots d'universalité et d'activité : universalité, parce que toutes les situations de fragilité doivent être prises en compte ; activité, parce que nous devons nous inscrire dans une logique où prime l'incitation au travail. On connaît l'impact de la prime d'activité sur la baisse du taux de pauvreté, notamment sur l'intensité de celle-ci, mais il faudra certainement aller plus loin, et dans l'accompagnement et dans la construction de ce nouveau minimum social. La concertation va s'ouvrir ; c'est une lourde tâche qui nous attend. En tout état de cause, il faut, c'est vrai, regarder, au-delà des chiffres globaux, les réalités douloureuses qu'ils recouvrent.

En ce qui concerne les associations d'élus, je tiens à être très transparent : nous avons travaillé, depuis le début, avec l'ensemble de ces associations. Certaines d'entre elles nous ont fait savoir que leur calendrier de travail avec le Gouvernement était déjà très chargé, de sorte qu'il leur était difficile d'être représentées, mais l'Association des maires de France (AMF), l'Association des départements de France (ADF) et France urbaine, pour ne citer que celles-là, ont concouru à nos travaux. La semaine dernière encore, le président de l'AMF se félicitait du travail que nous avons accompli sur la petite enfance avec Élisabeth Laithier, la présidente du groupe de travail de l'AMF consacré à ce sujet. Nous entretenons donc des rapports de bonne intelligence collective.

À ce propos, je précise que la contractualisation ne comporte pas de contraintes autres que celles d'un engagement réciproque. Par conséquent, aucun territoire ne sera obligé de contractualiser avec l'État. En revanche, celui-ci sera très exigeant quant à l'utilisation de ses financements et fixera des objectifs en matière non seulement de moyens, mais aussi de résultats. De fait, depuis plusieurs années, prévaut une logique dans laquelle l'impact de certaines politiques sociales financées, soit directement par l'État, soit par les collectivités, n'est absolument pas mesuré. Le cas le plus étonnant, à cet égard, est celui de la politique d'insertion, car l'hétérogénéité des pratiques territoriales est absolument inacceptable. Disons-le très clairement, une telle situation porte atteinte à l'égalité de traitement des citoyens en matière de droit à l'accompagnement et de minima sociaux. Le Président de la République souhaite donc – et c'est, me semble-t-il, l'honneur du Gouvernement que de se saisir de cet enjeu – entraîner les collectivités, non pas dans une logique punitive, mais, au contraire, dans une logique d'amélioration des politiques publiques.

Je rencontre ainsi, chaque semaine, les élus de trois à quatre départements, de toutes couleurs politiques, ruraux et très urbains. Aucun n'a refusé, par principe, la contractualisation ; tous les élus que j'ai rencontrés souhaitent s'y engager. Et je puis vous garantir que, dans les territoires, ces moyens supplémentaires de l'État font l'objet d'une attente extrêmement forte. Ceux-ci, je le rappelle, seront, pour la partie des dépenses qui seront directement issues du Fonds de contractualisation que vous créez dans le PLF 2019, neutralisés au regard de la norme de Cahors.

L'obligation de résultat ne vaut donc que pour ceux qui s'engagent, mais c'est bien le moins. Nous allons nous doter, avec les services déconcentrés de l'État, d'une organisation ad hoc pour suivre la mise en oeuvre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Nous le ferons dans le respect des prérogatives des collectivités, non seulement parce que nous nous sommes bien souvent inspirés des politiques remarquables qu'elles ont pu mener, mais aussi parce que l'enjeu est, non pas de punir celles qui sont en difficulté, mais de les aider, grâce à des moyens nouveaux, à faire droit à l'exigence de solidarité nationale qui a été rappelée.

S'agissant des moyens consacrés à l'insertion, je rappelle que, lorsque le dispositif sera pleinement monté en charge, à partir de 2021-2022, les dépenses d'accompagnement vers l'emploi liées à la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté s'élèveront à près d'un demi-milliard d'euros par an. Dès l'année prochaine, plusieurs dizaines de millions seront directement consacrées, et à l'insertion par l'activité économique et au développement du parcours d'accompagnement contractualisé des jeunes. À partir de 2020, les missions locales bénéficieront de moyens supplémentaires, et 15 millions d'euros, qui seront portés à 100 millions, seront alloués, dans le cadre de la contractualisation avec les départements, à l'augmentation de l'offre d'accompagnement. Oui, ces crédits financeront du temps d'accompagnement par des travailleurs sociaux, que ceux-ci exercent leur activité au sein de collectivités, d'associations, d'entreprises de l'économie sociale et solidaire ou d'opérateurs privés. En la matière, nous ne prescrivons pas les solutions ; nous sommes là pour accompagner les territoires. Nous allons ainsi déployer des moyens que je crois inédits, en tout cas à l'échelle des dernières décennies, en faveur des politiques d'accompagnement.

Sur la situation des mineurs non accompagnés (MNA), les échanges très intenses qui ont eu lieu entre l'Association des départements de France et l'État ont conduit celui-ci à revaloriser le forfait d'accompagnement, mais il faut aller au-delà. On sait en effet que beaucoup de mineurs non accompagnés, de par la dureté de leur parcours de vie, souhaitent souvent une insertion professionnelle extrêmement rapide et font preuve d'une maturité particulière dans l'appréhension de leur projet de vie. Dès lors, nous allons, tout d'abord, favoriser l'accès aux autorisations provisoires de travail, car cette étape administrative est nécessaire pour accéder à des formations et à des emplois, aidés ou non. Ensuite, les modes d'accompagnement des jeunes majeurs par l'Aide sociale à l'enfance doivent évoluer. C'est tout l'enjeu de la contractualisation avec les départements. Nous financerons, non pas la prise en charge de ces jeunes majeurs – c'est-à-dire des places de Maisons d'enfants à caractère social (MECS) ou des familles d'accueil –, mais leur accompagnement vers l'autonomie, c'est-à-dire l'accès au logement, à la formation, à la mobilité et à l'emploi. Le montant de ces financements est important : entre 2 000 et 4 000 euros par jeune. À titre d'exemple, dans le cadre de la Garantie jeunes, qui est une des meilleures formes d'accompagnement, il est de 1 600 euros. Les départements sont, du reste, très intéressés car ils cherchent, eux aussi, à modifier leur accompagnement de ces mineurs. J'ai eu ainsi, au cours des dernières semaines, plusieurs réunions de travail avec David Kimelfeld, le président de la métropole de Lyon, consacrées à l'amélioration de ces dispositifs.

En ce qui concerne les mères isolées, la première réponse consiste, évidemment, dans le développement de l'offre de soutien à la parentalité, prévue par la Convention d'objectif et de gestion (COG) de la branche famille : plus de 30 millions d'euros s'ajouteront ainsi à l'effort important qui avait déjà été consenti dans le cadre de la précédente COG, et permettront d'augmenter de manière très substantielle le nombre des lieux d'accueil enfants-parents et d'espaces de rencontre pour les rencontres médiatisées sur décision de justice. Par ailleurs, les missions de la Protection maternelle et infantile (PMI) doivent être recentrées sur la périnatalité et le soutien aux enfants et aux familles les plus fragiles, l'enjeu sanitaire devant être très certainement mieux pris en compte par l'assurance maladie. Sur ce point, les discussions ont débuté, mais elles seront éclairées par la mission parlementaire en cours. Sans doute faudra-t-il redéfinir un certain nombre de missions ; je pense notamment au contrôle réglementaire, qui n'est certainement pas prioritaire dans le travail des médecins de PMI.

Par ailleurs, les différents modes d'accueil des enfants bénéficient d'un effort très substantiel. On a beaucoup parlé de l'accueil collectif ; je voudrais dire un mot de l'accueil individuel, car il est important pour beaucoup de femmes, notamment celles qui sont actives et en situation de monoparentalité. À cet égard, le tiers payant du complément mode de garde, qui sera mis en oeuvre dans les prochains mois, est une mesure très importante – j'allais dire formidable – pour beaucoup de femmes, car elles n'auront plus à faire l'avance. La fonction « employeur » dans le cadre de l'accueil individuel sera ainsi simplifiée et mieux accompagnée. Nous allons également augmenter de plus de 500 le nombre des relais d'assistantes maternelles. L'accompagnement des mères dans l'accès à l'accueil individuel sera donc, lui aussi, favorisé.

L'obligation de formation est un enjeu considérable de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Actuellement, grâce à un certain nombre d'évolutions législatives, notamment la loi de 2016 – mais nous pourrions remonter jusqu'au rapport Schwartz. L'ensemble de notre jeunesse a un droit à la formation. Mais, convenons-en, il s'agit d'un droit formel : il bénéficie à ceux qui en bénéficient… Or, actuellement, vous l'avez rappelé, 20 000 à 30 000 jeunes sont durablement décrocheurs. Ces jeunes, que j'appelle les NEET (Neither in employment nor in education or training) ou les « invisibles », ne sont pas accompagnés. De fait, en dépit d'un certain nombre de politiques locales remarquables, de manière générale les politiques publiques détournent le regard de ces jeunes qui tiennent les murs au bas des immeubles ou vivent à la campagne et qui sont livrés à eux-mêmes.

Nous allons donc commencer par faciliter la transmission d'information entre l'éducation nationale et les missions locales, par l'intermédiaire des Plateformes de suivi et d'appui des décrocheurs (PSAD). L'obligation qui incombe actuellement aux principaux des collèges est d'informer, deux fois par an, les PSAD des décrochages d'élèves. Nous allons donc créer un nouveau système qui permettra une information continue, in itinere, y compris en amont du décrochage car nous savons tous que le repérage du risque est absolument essentiel. Il convient par ailleurs d'améliorer l'offre d'orientation ; c'est le rôle de l'institution scolaire et des services publics régionaux de l'orientation.

Par ailleurs, à compter de 2020, nous financerons les missions locales, à hauteur de 20 millions d'euros, pour qu'elles aillent vers ces jeunes et prennent ou reprennent contact avec eux. Cette prise de contact pourra être parfois un peu directive ; je m'en explique. Les missions locales ont une culture d'adhésion du jeune. Il ne s'agit pas d'y porter atteinte, mais il faut que nous puissions « aller chercher » ceux qui se mettent en danger, d'une certaine manière, en se coupant de tout accompagnement et de toute perspective d'accès à la formation. Ces 20 millions représentent une augmentation de 10 % du financement global des missions locales par l'État. J'ajoute que celui-ci n'avait pas augmenté son financement du coeur de mission des conseillers des missions locales depuis de très nombreuses années.

Si l'on ajoute à cette mesure les 100 millions alloués au Parcours d'accompagnement contractualisé vers l'emploi et l'augmentation de la Garantie jeunes, qui va atteindre l'objectif de 100 000 jeunes accompagnés par an, on dispose d'un appareillage complet qui, grâce aux efforts permis par le Plan d'investissement compétences (PIC), doit nous permettre de décider, enfin, qu'aucun jeune ne peut être maintenu en dehors d'un parcours de formation, et donc nous contraindre collectivement à faire en sorte qu'il ne le soit pas. Le projet de loi que le Gouvernement vous soumettra comportera cette obligation, qui incombera à la collectivité, notamment aux missions locales, mais aussi au jeune lui-même, des mesures d'assistance éducative pouvant être prises en cas de manquement.

Pardonnez-moi une comparaison peut-être un peu ambitieuse. De même que l'instruction obligatoire – c'est-à-dire l'inscription juridique du droit à l'éducation – a mis du temps à entrer dans les esprits, à changer les comportements – avant que les enfants ne quittent les champs pour aller à l'école, il a fallu quelques années –, de même, le dispositif que nous créons prendra un peu de temps. Pour des jeunes qui, une fois âgés de 18 ans, ne rêvent que d'aventures et de tailler la route, une convocation de leur mission locale ne suffira évidemment pas à régler le problème, d'où la nécessité de financer notamment l'éducation spécialisée. Des acteurs, associatifs ou institutionnels, doivent, en permanence et partout, être dépositaires de l'exigence d'aller au-devant de ces jeunes pour leur proposer un parcours de formation. Tel est l'esprit de cette obligation de formation. Il s'agit de mettre un terme au sacrifice d'une partie de notre jeunesse, car on sait que, lorsque des jeunes décrochent durablement d'un parcours de formation, non seulement le raccrochage coûte cher – des initiatives formidables existent, notamment les Écoles de la deuxième chance (E2C) –, mais les conséquences sont très lourdes, et pour eux et pour la société.

Madame Pitollat, vous m'interrogez, dans un contexte ô combien dramatique, sur la situation à Marseille et, de manière générale, sur l'égalité dans l'accès aux droits. J'ai évoqué cette inégalité à propos de l'insertion, mais elle concerne l'ensemble de l'accès aux services et aux droits sociaux. Cette inégalité se double, bien souvent, d'une culture de défiance entre une partie des bénéficiaires potentiels et les services sociaux institutionnels. C'est, en tout cas, ce que révèlent les rapports des associations, dont l'offre d'accompagnement ne cesse de croître et doublonne de plus en plus celle de ces acteurs institutionnels. La question est très délicate, car elle met en jeu les représentations : la crainte, pour un certain nombre de familles, d'être jugées, mal comprises, d'avoir à raconter leur vie à plusieurs reprises, de devoir en quelque sorte se mettre à nu devant des travailleurs sociaux. Pour y remédier, nous devons faire évoluer les cultures professionnelles – c'est l'objet du plan de formation continue que j'ai mentionné –, l'État doit être dépositaire d'une véritable exigence en matière d'universalité de l'accès – c'est l'objet des accueils sociaux inconditionnels – et il faut, au-delà des démarches d'« aller vers » que j'évoquais tout à heure, développer des missions de médiation, tant pour les jeunes que pour les publics plus âgés. Sur l'initiative de France médiation, la médiation sociale bénéficie désormais, grâce aux États généraux du travail social, d'une reconnaissance institutionnelle, sanctionnée notamment par des diplômes. Nous allons également développer cette démarche dans le domaine du numérique, afin d'éviter que la dématérialisation des procédures ne crée à nouveau des trous dans la raquette. Enfin, nous devrons travailler avec les caisses de sécurité sociale afin qu'elles réinvestissent les gains de productivité permis par la dématérialisation des procédures dans du temps d'accompagnement humain.

Je ne suis pas en train de vous dire que l'État se substituera aux caisses de Sécurité sociale ou aux collectivités – ce n'est pas son rôle et ce serait malvenu –, mais nous promouvons, dans le cadre de la contractualisation et des COG, des ambitions tout à fait nouvelles. La gouvernance locale, qui permettra notamment une évaluation par les personnes concernées elles-mêmes, sera, je crois, un juge de paix en la matière.

En ce qui concerne le caractère inégalitaire de l'école et les enjeux liés aux activités péri et extrascolaires, il est absolument essentiel que nous réinvestissions les temps d'accompagnement qui ne sont ni ceux de l'école ni ceux de la famille. Dans un excellent rapport, paru il y a quelques semaines, sur les tiers-lieux et les tiers-temps, le Haut Conseil à la famille a formulé un certain nombre de recommandations sur le développement de l'offre d'accompagnement. Au-delà de l'action de nombre de collectivités, le plan « Mercredi », impulsé par Jean-Michel Blanquer, vise à améliorer la qualité éducative du temps d'Accueil de loisirs sans hébergement – le fameux ALSH – les mercredis, en majorant son financement, lequel sera porté de 46 centimes à un euro de l'heure. Il s'agit donc d'un effort très important, voulu par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et consenti par la branche famille.

Évidemment, tout cela doit être relié aux efforts des acteurs de ce que l'on appelle la réussite éducative. En sus des dispositifs de réussite éducative, qui comprennent un suivi individuel pluridisciplinaire des jeunes, en périphérie des écoles, nous allons proposer, avec le ministre de la ville, Julien Denormandie, la création de cités éducatives, qui avait été préconisée dans le rapport de Jean-Louis Borloo. Nous nous sommes rendus à Nîmes récemment, dont la métropole, comme le département du Gard, affiche des ambitions très fortes dans ce domaine. Nous allons ainsi financer un accompagnement non seulement éducatif mais aussi social, culturel, sportif, qui mobilise l'ensemble des ressources d'un territoire, et les accroît, autour de la question, extrêmement importante, des adolescents. Vous connaissez cette belle formule : « Il faut tout un village pour élever un enfant ».

Entre l'ambition affichée par le ministre de l'éducation nationale, les moyens relevant du plan de reconquête républicaine des quartiers, annoncé l'été dernier, et ceux de la contractualisation dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, nous aurons, me semble-t-il, une politique publique tout à fait à la hauteur.

S'agissant de la santé, je serai bref, car vous connaissez bien ce qui est prévu dans le parcours de santé des enfants de zéro à six ans et les dispositifs de prévention de l'assurance maladie – notamment « Aime tes dents », cher à M. Véran – qui ont permis d'améliorer la situation. En matière de santé scolaire, nous développerons, lorsque celle-ci ne parvient pas, faute de postes, à remplir ses missions de prévention, la contractualisation entre les académies, les Agences régionales de santé et les Caisses régionales d'assurance maladie, afin de favoriser l'intervention de la médecine de ville en complément de l'institution scolaire.

Par ailleurs, Agnès Buzyn a souhaité que la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté comporte un volet consacré au développement des centres de santé, c'est-à-dire de la médecine dite « communautaire », qui s'inscrit dans un territoire, des réseaux de soins, et s'adosse aux acteurs éducatifs et sociaux. C'est une nouvelle extrêmement importante : on évoque une enveloppe qui permettrait de créer 100 centres de santé supplémentaires. Voilà une réponse : cette médecine familiale, de proximité, favorise la prévention.

J'ajoute que nous avons commencé à travailler, avec le ministère du travail, et que nous allons engager une réflexion avec les départements, sur ce que doit être un service public de l'insertion : il s'agit de déterminer ses missions et les acteurs qui doivent les remplir. Ce qui est important, c'est la volonté, affirmée par le Président de la République, que l'État soit dépositaire des principes du service public : principe d'égalité de traitement – qui n'exclut pas l'adaptation aux besoins des différents territoires et des différents publics –, principe de continuité… Cela peut paraître théorique, car ces principes, nos concitoyens les plus fragiles n'en voient pas toujours l'application dans la vie réelle. Mais tel sera le niveau d'exigence : partout sur le territoire, les bénéficiaires devront se voir proposer immédiatement un accueil, une orientation et un accompagnement.

Ces missions dépendent actuellement des conseils départementaux – même si les opérateurs peuvent être Pôle emploi ou des associations –, de sorte que l'État dispose, pour l'instant, de très peu d'indicateurs pour savoir exactement ce qui se passe. Nous allons modifier cela de fond en comble, en imposant des exigences, totalement inédites, en matière de délais d'instruction et d'orientation, et d'exhaustivité dans l'accompagnement vers l'emploi. Encore une fois, aucun accompagnement ne devra être détaché de l'objectif d'atteindre l'autonomie par le travail. Ce point est central ; les personnes concernées ne cessent de nous le rappeler : « Aidez-nous à être autonomes par le travail ! Le reste suivra. »

En ce qui concerne la dimension européenne de la lutte contre la pauvreté, je dois confesser que nous n'avons pas encore eu le temps d'être très proactifs. Cependant, nous sommes associés à un réseau de services sociaux européens, qui va nous permettre d'échanger des bonnes pratiques, notamment en matière d'accompagnement vers l'emploi et sur les enjeux de prévention dans la petite enfance, qui intéressent beaucoup de nos partenaires européens. Je participerai, dans un mois, à Madrid, à une rencontre européenne organisée par le Haut-commissaire espagnol à la lutte contre la pauvreté. Nous sommes donc, aujourd'hui, en mesure de repérer les acteurs de la lutte contre la pauvreté des différents pays européens, et nous avons l'ambition d'interpeller conjointement, demain, l'Union européenne, par l'intermédiaire de nos ministres respectifs, afin de peser, autant que faire se peut, sur les orientations qui seront définies après Horizon 2020. J'ajoute que j'ai également participé récemment à une rencontre organisée par l'European anti poverty network (EAPN), à l'initiative des responsables français de ce réseau. Nous nous inscrivons donc bien dans une logique de réseau européen.

S'agissant des crèches, tout a été dit : le bonus financier sera important. La précédente COG nous enseigne que, sans incitation en matière de fonctionnement, on ne parviendra pas à créer de nouvelles places. Le nombre des places qui vont être financées, 90 000, est considérable, puisque nous atteignons une capacité générale d'accueil collectif d'un peu plus de 400 000 places. Si l'on part du constat qu'un enfant sur cinq est sous le seuil de pauvreté, on peut estimer qu'en finançant, au titre de la mixité sociale, un ratio de places compris entre un quart et un cinquième, on s'approchera d'une mixité sociale réelle. Autrement dit, les enfants accueillis dans les Établissements d'accueil de jeunes enfants (EAJE) correspondront à la réalité sociologique de la jeunesse française.

Il est vrai, cependant, qu'un certain nombre de familles s'autocensurent et ne demandent pas de places en crèche. La première raison, tout à fait compréhensible, en est que les modes d'accueil ont été pensés, au départ, dans le cadre d'une politique familiale dont l'objectif central était la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale. Il s'agissait, non pas d'accueillir le jeune enfant, mais de le garder pour que ses parents puissent travailler. Cet objectif historique, nous n'y renoncerons pas car il est important pour le travail des femmes. Pour autant, le fait de ne pas travailler ne doit plus interdire de demander une place en crèche pour son enfant. D'où l'enjeu du référentiel d'attribution des places, établi sous l'égide de l'Association des maires de France, qui explicite précisément la nécessité de concilier la garde, liée à l'activité des parents, et l'accueil, lié au développement de l'enfant, notamment de ceux qui sont en situation de fragilité.

Nous surmonterons les réticences des parents en leur démontrant le bénéfice que les enfants retirent de cet accueil au plan cognitif, social et langagier. Pour avoir piloté un certain nombre d'expérimentations et conduit des politiques locales de mixité sociale, je peux vous dire que les familles les plus fragiles acceptent très rapidement cet accueil collectif. Mais elles ont souvent besoin de sas de transition ; c'est le rôle de l'accueil occasionnel, par exemple, ou des haltes garderies, qui permettent d'acclimater l'enfant et d'organiser la séparation d'avec la maman, qui n'est pas toujours facile, pour des raisons tant sociales que culturelles. Cela suppose donc, là encore, le suivi de la formation des professionnels de la petite enfance.

En ce qui concerne les femmes sans abri à la sortie de la maternité, il se trouve qu'avant de vous rejoindre, je me trouvais en Seine-Saint-Denis où, l'été dernier, des femmes sont sorties de la maternité avec leur enfant sans solution d'hébergement. Nous allons résoudre ce problème dans le cadre de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, grâce à des moyens qui s'ajouteront à ceux du Programme 177. Cela dit, le « 115 » n'est pas débordé : ces situations insupportables demeurent, heureusement, rarissimes, mais on en a connu de très graves en Seine-Saint-Denis. C'est pourquoi nous travaillons avec les acteurs institutionnels – notamment le président Troussel – et associatifs de ce département, pour apporter une réponse en matière de financement de la prise en charge.

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