Intervention de Alain Lamassoure

Réunion du mercredi 19 décembre 2018 à 17h15
Commission des affaires européennes

Alain Lamassoure, membre du Parlement européen :

Merci de nous avoir associés à vos travaux, et en particulier à ce bilan de la législature. Vu du Parlement européen, nous pouvons dire que nous avons connu une législature très difficile car elle a commencé dans une conjoncture économique encore très marquée par la crise, dans une période de très grandes difficultés pour le budget communautaire. L'année précédente, l'accord sur le cadre financier pluriannuel avait consacré une baisse de 4 % par rapport au cadre précédent. Cette période a ensuite été marquée par des crises imprévues et très graves. Nous avons connu une crise qualifiée de migratoire, mais en réalité, en 2015, ce n'est pas une crise migratoire mais une crise de réfugiés, à laquelle nous avons dû faire face, à cause de la guerre irako-syrienne. Le phénomène auquel nous assistons aujourd'hui est d'une échelle beaucoup plus importante à l'échelle historique, il est appelé à durer et s'explique par des raisons démographiques, économiques et politiques.

Dans ce contexte, la Commission Juncker s'est attachée à essayer de mieux légiférer et de moins légiférer. Les résultats quantitatifs sont spectaculaires, puisque la Commission précédente nous proposait 130 textes par an, et que nous sommes à 23 textes par an sous cette législature. Je considère que c'est un progrès.

La première priorité était la relance par l'investissement, et de ce point de vue le plan Juncker a atteint ses objectifs, puisque nous avons atteint 335 milliards d'investissement financés par le plan. Si la croissance se ralentit dernièrement, nous avons pu atteindre l'année dernière une croissance qui correspond à son potentiel, de 2 % à 2,5 % de croissance moyenne du PIB et douze millions d'emplois créés. Aujourd'hui, 240 millions d'hommes et de femmes travaillent dans l'Union européenne, ce qui est un record. Cette politique de relance de l'investissement a été accompagnée de nouveaux progrès pour la création d'un véritable espèce européen de capitaux, leur permettant d'être mieux alloués.

Cette politique de relance de l'investissement a été accompagnée de nouveaux progrès dans la mise en place d'un véritable espace européen de capitaux permettant aux pays ayant des excédents d'épargne d'investir dans les pays en manquant et a marqué la fin de l'Initiative Emploi des Jeunes, initiative prise sous la précédente législature et qui s'est assez bien déroulée.

Sur la réforme de la PAC où, à mon avis, la réflexion est encore insuffisante, nous avons pu faire admettre, dans le cadre de la révision à mi-parcours du cadre financier 2014-2020 de l'Union européenne, dans un texte portant le nom désuet d'« Omnibus », que les règles de la concurrence en matière économique à l'intérieur du grand marché ne pouvaient pas s'appliquer de la même manière pour l'agroalimentaire, les groupements de producteurs ayant le droit de constituer des ententes pour négocier d'égal à égal avec les transformateurs et les grands distributeurs.

Nous avons aussi encouragé la recherche de nouveaux débouchés grâce à des accords commerciaux avec le Canada, avec le Japon - accord infiniment plus important qui, curieusement, a suscité beaucoup moins de controverses entre les familles politiques au sein du Parlement européen, ce dont je me réjouis - et avec l'utilisation d'instruments antidumping particulièrement vigoureux, notamment vis-à-vis de la Chine. Le Parlement européen s'est par ailleurs opposé à ce que la Chine soit admise comme une économie de marché.

En plus de l'économie, nous avons essayé d'aborder certains défis du siècle. Tout d'abord, en ce qui concerne les migrations, il est clair que nos gouvernements ne sont pas parvenus à trouver une entente. Le bon sens mène à la conclusion que, s'il n'y a pas des politiques communes de l'amont jusqu'à l'aval, depuis la négociation avec le pays de départ et la définition du statut de réfugié et jusqu'à la reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière , nous resterons inefficaces.

Nous avons pu transformer Frontex en agence chargée de garder les côtes et les frontières de l'Union européenne, la grande question étant maintenant de savoir quels moyens vont lui être affectés.

Des progrès ont été accomplis dans la lutte contre le terrorisme, des progrès dans la protection de l'environnement et la lutte contre les changements climatiques.

Nous avons réalisé une grande percée en matière de défense, ce qui était souhaité par la France depuis très longtemps, avec tout d'abord le déclenchement de la coopération renforcée dite « structurée permanente », puis l'initiative assez originale, dite « Initiative européenne d'intervention militaire », proposée par le Président de la République et entérinée par 7 à 8 pays dont la Finlande, pays par tradition neutre et enfin la mise en place d'un véritable budget pour la recherche et l'industrie.

Nous, Français, avons beaucoup travaillé et développé les programmes de sciences et de technologies. 26 satellites de navigation Galileo, le fameux GPS européen, sont en orbite. 400 millions des personnes et entreprises sont désormais raccordées à ce système.

En matière d'économie numérique, de nanotechnologies ou de biotechnologies, l'Agence de l'innovation, lancée par le commissaire européen à la recherche et à l'innovation, Carlos Moedas, sur la base du principe Mission-Driven Science, s'attaque à de grands sujets tels que la prévention de la maladie d'Alzheimer, le traitement du cancer de l'enfant, ou l'avion électrique.

Nous avons commencé, sans que cela soit encore venu au niveau du Parlement (mais nous le ferons peut-être d'ici la fin de la session), à aborder le problème de la lutte contre l'extraterritorialité des lois américaines. Cela devrait nous conduire à réaliser, vingt ans après, que l'euro a été créé, non seulement pour avoir une monnaie commune, mais aussi pour disposer d'une arme économique sur la scène mondiale. Or on constate aujourd'hui qu'Air France continue de payer de dollars les Airbus qu'elle achète, ce qui n'est pas très glorieux.

Je conclurais en disant qu'il reste à inventer un modèle de solidarité européen, solidarité entre pays européens et solidarité entre citoyens européens. N'ayant pas de budget digne de ce nom, nous avons besoin d'un modèle original. En effet, les prélèvements obligatoires en France représentent 46 % du PIB et le budget européen 1 %.

Nous prétendons financer une politique mondiale avec des aumônes. Nous nous rendons bien compte à chaque crise que si la solidarité entre les pays ou entre les pays avait été plus importante, nous aurions pu affronter la situation dans de meilleures conditions.

Cette solidarité comporte plusieurs aspects. La solidarité des démocraties implique la nécessité d'être irréprochable en matière d'État de droit. En matière migratoire, l'absence criante de solidarité a des conséquences catastrophiques, aucun pays ne pouvant se passer des autres. Il en est de même en matière de lutte contre le terrorisme. Si la police française avait disposé d'informations des polices des pays partenaires, il aurait peut-être été possible de connaître à l'avance certains plans de tueurs ayant commis des tragédies sur notre territoire.

En matière de fiscalité des entreprises, nous avons pu faire progrès dans la solidarité entre nos États. Désormais, grâce aux dispositions adoptées en commission économique et monétaire, nos pays ne se dérobent plus la ressource fiscale. Sans être parvenu à un accord pour mettre ne place un système commun d'imposition des entreprises, quels que soient les secteurs le Parlement européen a fait des propositions, les seules reconnues pertinentes à long terme, mais qui ne recueillent pas encore l'unanimité parmi nos partenaires.

Nous avons fait des progrès dans la solidarité en matière défense, bien que certains de nos partenaires continuent d'acheter prioritairement du matériel américain.

Enfin je mentionnerai la coopération interparlementaire. En commission constitutionnelle, je travaille à mon dernier rapport qui s'intéressera aux coopérations renforcées, à l'usage qu'on veut en faire et aux domaines dans lesquels la formule est indiquée. Il s'agit de faire en sorte que la procédure des coopérations renforcées permette un allègement de certaines procédures communautaires, notamment lorsque l'unanimité est requise.

J'ai l'impression que sur les sujets sur lesquels nous avons insuffisamment avancé, nous n'avancerons pas à 27. Or nous pourrions avancer à condition d'être moins nombreux. Le recours à la coopération renforcée implique des décisions qui, juridiquement, auraient la valeur des décisions communautaires pour les seuls États participant à la coopération renforcée, mais qui exigent le contrôle parlementaire. Ma recommandation formelle est d'y associer les Parlements nationaux. Dans un certain nombre de domaines correspondant à ce qu'on appelait dans le Traité de Maastricht les 2ème et 3ème piliers, c'est-à-dire tout ce qui concerne les droits de la personne et l'exercice majeur de souveraineté, il est parfaitement légitime que les Parlements nationaux jouent leur rôle. Je crois que nous aurons à multiplier les échanges, les réunions et les prises de positions communes entre les deux catégories de Parlement.

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