Intervention de Nicolas Bay

Réunion du mercredi 19 décembre 2018 à 17h15
Commission des affaires européennes

Nicolas Bay, membre du Parlement européen :

Je vais exprimer des positions divergentes ou en profond désaccord avec mes collègues des autres groupes politiques.

Je suis coprésident du groupe Europe des nations et des libertés, et membre de la Commission des libertés. Je vais parler plus spécifiquement des sujets qui concernent cette commission.

À titre liminaire, il est frappant de voir que, à chaque fois qu'on évoque l'action de l'Union européenne, on envisage toujours d'aller plus loin dans l'intégration et dans le fédéralisme. On n'envisage jamais d'accentuer certaines coopérations et d'en réduire d'autres, et donc d'appliquer sainement le principe de subsidiarité, pourtant invoqué à tout propos. Le débat des élections européennes, qui s'ouvrira dans quelques semaines, portera sur l'efficacité de l'Europe, qui a connu une inflation législative et une inflation dans l'intégration. À chaque fois qu'on va plus loin dans l'intégration, cela aboutit à une impuissance toujours plus grande de notre continent, et des nations qui le composent. On devait se concentrer sur un certain nombre de grands sujets, où la nécessité de coopérer de manière très étroite est évidente : la sécurité alimentaire, la protection des données personnelles, le contrôle des frontières extérieures. Ce sont des grands sujets de coopération, qui sont des défis qui se posent à nous. Il y a beaucoup d'autres domaines où il faut respecter le principe de subsidiarité, et donc la souveraineté nationale. Nous ne devons plus avoir une immixtion permanente des institutions européennes dans nos démocraties.

Pour ce qui est de la réforme du règlement de Dublin, je voudrais nuancer ce qui a été dit précédemment. La crise migratoire que nous avons connue, qui a peut-être connu son apogée en termes de volume d'étrangers illégaux qui sont arrivés en Europe, en 2015-2016, n'est pas une crise des réfugiés. L'essentiel des personnes qui sont arrivées sur le territoire européen ne fuyait pas des pays en guerre. Il y en avait certes une minorité, mais tous les chiffres, y compris les statistiques relatives aux demandeurs d'asile, ont démontré que l'essentiel de ceux qui passaient par les îles de la Méditerranée ou par la route des Balkans, venaient principalement parce qu'ils fuyaient des situations économiques difficiles. Ils n'étaient donc pas éligibles au statut de réfugié, tel qu'on l'entend, s'agissant de conflits armés.

Le règlement de Dublin bloque au niveau du Conseil, mais ce n'est pas une surprise. Pour répondre à Mme Revault d'Allones, quand le Conseil bloque, ce n'est ni de l'inaction, ni de la paralysie. Il s'agit simplement d'un désaccord d'un certain nombre de pays. La réforme de Dublin IV aboutit finalement à accentuer une forme de laxisme en matière d'asile, que beaucoup de pays refusent. Les étrangers qui font une demande d'asile vont avoir le choix entre quatre pays, et vont donc s'orienter vers le plus offrant, soit celui qui offre le plus de prestations sociales aux demandeurs d'asile. Dans le cadre de Schengen et grâce à la liberté de circulation, cela aboutirait à faciliter l'installation définitive de ceux qui ne sont pas éligibles au droit d'asile, souvent déboutés mais quasiment jamais expulsés. Je pense que le blocage au niveau du Conseil va perdurer, et que si on ne réoriente pas totalement cette politique d'asile vers la fermeté, il n'y a aucune chance qu'une législation plus permissive soit adoptée par le Conseil.

Sur la question de l'État de droit, j'ai eu l'occasion de me rendre ces dernières semaines à Varsovie, à Budapest et à Bucarest. Les procédures liées à l'article 7 ont été enclenchées successivement contre la Pologne, contre la Hongrie, et on connaît un certain nombre de velléités de l'enclencher également contre la Roumanie. On peut toujours faire croire à nos concitoyens qu'il y a une atteinte systémique à l'État de droit dans ces pays, ce sera un enjeu des prochaines européennes. Mais c'est factuellement et objectivement faux.

La vérité, c'est qu'on reproche principalement à la Pologne et à la Hongrie la réforme de leur système judiciaire. J'ai été à Varsovie pendant 48 heures, j'ai pu faire une analyse très précise des réformes en cours. J'ai échangé, principalement avec les opposants, mais aussi avec les ministres et les parlementaires de la majorité. Il s'avère que les réformes mises en place permettent d'éviter que les juges ne se protègent et se cooptent entre eux. Il y a donc un contrôle parlementaire, mais il y a moins d'immixtion politique sur la justice en Pologne qu'il y en a en France. La réforme du Tribunal constitutionnel, qui est l'équivalent de notre Conseil constitutionnel, a été adoptée par le Parlement en accord avec un engagement de campagne. Elle permet d'élire les membres du Tribunal constitutionnel par le biais d'un vote à la majorité qualifiée de 23 des votants, ce qui implique d'y associer l'opposition, et donc d'éviter que les juges n'opèrent sans aucun contrôle démocratique.

En France, les neuf membres du Conseil constitutionnel sont nommés unilatéralement, par les Présidents des deux Chambres et le Président de la République, sans aucune voie de recours possible, dans l'opacité la plus totale, sans même être choisis parmi les hauts magistrats de notre pays. L'ingérence du pouvoir politique, exécutif et législatif, dans l'institution judiciaire est infiniment plus réelle en France qu'en Pologne. En réalité, tout le monde sait bien que c'est parce qu'ils refusent les quotas de migrants, décidés par la Commission européenne, qu'on est allés les embêter sur cette réforme du système judiciaire. Cela aboutit à protéger les magistrats qui ont sévi sous le régime communiste, qui ont sans doute un passif très critiquable. En protégeant ces gens-là, on empêche une réforme saine du système judiciaire, de ces pays d'Europe de l'Est qui sont sortis du joug soviétique il n'y a pas si longtemps.

J'en viens maintenant à l'harmonisation fiscale et sociale. Il ne faut pas se leurrer. Au-delà de la proposition actuelle d'harmonisation en matière d'impôt sur les sociétés, c'est bel et bien vers une imposition européenne que nous nous dirigeons. Or, nous l'avons vu, les Français sont actuellement mobilisés contre une fiscalité jugée, à juste titre, confiscatoire. L'alourdir encore avec un impôt européen reviendrait à emprunter une voie pour le moins dangereuse dans le contexte actuel. Quant à l'harmonisation sociale, il faut se rendre à l'évidence qu'elle n'est pas possible compte tenu des écarts considérables de salaire au sein de l'Union européenne, à moins d'une harmonisation par le bas qui alignerait le SMIC français sur le salaire minimum roumain.

S'agissant maintenant du Brexit, la négociation entre Theresa May et Michel Barnier est en réalité celle de deux opposants à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. D'ailleurs, lorsqu'on regarde dans le détail l'accord auquel ils sont parvenus, on voit bien que dans les faits, le Royaume-Uni resterait soumis aux règles européennes mais sans représentants au Conseil ni au Parlement européen. Si cet accord devait entrer en vigueur, la volonté du peuple britannique serait, de toute évidence, bafouée.

Le Pacte de Marrakech sur les migrations va très probablement entrer en vigueur. Il nous est présenté comme juridiquement non-contraignant mais rien n'interdit à l'avenir à un juge de décider qu'il l'est.

Enfin, le CETA est en vigueur depuis le 21 septembre 2017 et l'accord de libre-échange avec le Japon est en train d'être approuvé en catimini par les instances européennes. Or, personne n'est capable de chiffrer le coût écologique de ces accords qui visent notamment à promouvoir des échanges intercontinentaux de marchandises, lesquels impliquent des porte-conteneurs particulièrement polluants. Promouvoir des circuits courts me semblerait bien plus cohérent avec la politique européenne de lutte contre le changement climatique.

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