Intervention de Jean Bizet

Réunion du mercredi 19 décembre 2018 à 17h15
Commission des affaires européennes

Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes du Sénat :

Le budget de l'Union européenne est fixé à 1,11 % du revenu national brut de l'Union européenne. Je suis persuadé que si l'on l'augmentait à 1,3 %, l'Union européenne pourrait résoudre de nombreux problèmes. Je rappelle que les ressources propres ne se mesurent pas forcément à travers un impôt européen. Je regrette la faible avancée vis-à-vis des GAFA. Nos amis allemands freinent et la France fait cavalier seul. Je ne pense pas que le refus d'instaurer une taxe communautaire règlera les problèmes de l'industrie automobile allemande vis-à-vis des États-Unis. Les très importants fonds propres des GAFA n'ont pas permis d'inventions technologiques marquantes depuis une dizaine d'années. En dehors de l'achat de quelques start-up, ils ont surtout agi comme une force de stérilisation de l'innovation. Il faudrait aussi examiner le rôle que les fonds de pension jouent dans les GAFA.

Je me réjouis de l'existence d'une transversalité de pensée entre les différents groupes politiques au sujet de la PAC. Il faut être lucide, nous aurons une enveloppe à euros constants et cela entraînera de grands drames dans les campagnes. Je suis satisfait du travail fait sur le règlement « Omnibus » qui permet d'inverser le mouvement sur la politique des ententes. Personnellement, je souhaiterais que l'on aille encore un peu plus loin, comme aux États-Unis, où, dans le secteur de l'agriculture, l'entente est la règle de base et les pouvoirs publics n'interviennent qu'en cas de dérive. L'Union européenne a fait l'inverse. Lorsqu'il y a une crise, une ligne budgétaire est ouverte mais cela n'est pas assez réactif. Une approche différente est nécessaire. L'autorité de concurrence doit également être bousculée dans d'autre domaine afin que l'on arrête d'empêcher l'émergence de champions.

Concernant la réforme de la PAC, nous avons des inquiétudes sur l'obligation qui sera faite aux États membres de définir un plan stratégique combinant des aides directes à l'agriculture, des mesures pour améliorer l'organisation des producteurs dans certaines filières et des mesures d'aménagement du territoire pour le développement rural. Ces plans risquent d'entraîner des distorsions de concurrence et de rendre le système des aides aux agriculteurs encore plus complexe alors que nous avons au contraire besoin, de simplifier et de rendre les aides de la PAC réellement accessibles à tous les agriculteurs.

Concernant la question de l'exterritorialité des lois américaines, je partage tout à fait l'analyse d'Alain Lamassoure. L'Union européenne doit trouver des moyens efficaces pour affirmer son autonomie par rapport aux États Unis. Nous pourrions tenter d'appliquer le règlement adopté par l'Union européenne en 1996 « portant protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant », mais la mise en oeuvre de ce texte n'est jamais intervenue à ce jour. Cette pratique de l'extraterritorialité de sanctions économiques et commerciales américaines contrevient, par ailleurs, à certaines des règles de base de l'Organisation mondiale du commerce.

La mise en cause systématique et croissante du multilatéralisme par l'administration américaine doit désormais conduire l'Union européenne à défendre, de façon unie et ferme, sa souveraineté diplomatique et économique. Nous devrions nous mobiliser pour faire de l'euro une monnaie utilisée pour les transactions internationales car il est anormal que de grands groupes européens passent encore des contrats commerciaux libellés en dollars.

L'Union européenne ne doit pas avoir une attitude frileuse vis-à-vis des biotechnologies qui représentent un enjeu économique majeur. Je regrette la position restrictive prise récemment par la Cour de Justice de l'union Européenne qui a assimilé les organismes obtenus par mutagénèse à des OGM. Certains États tiers disposent déjà d'une avancée technologique considérable pour produire des semences améliorées grâce au procédé de mutagénèse, qui est difficilement détectable. L'Union européenne risque de perdre en compétitivité en se privant de la possibilité de moderniser son agriculture grâce aux bio technologies.

Plusieurs interventions ont porté sur le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières qui vient d'être adopté lors de la conférence de Marrakech, sous l'égide des Nations Unies. Je voudrais souligner que ce texte est en réalité une sorte de guide des bonnes pratiques pour la régulation des flux migratoires, les États d'origine, de transit et de destination des migrations ayant tout intérêt à coopérer pour mieux organiser ces déplacements. Je concède à Nicolas Bay que les États européens auraient gagné à ouvrir un débat politique sur cette question de la gestion internationale des migrations. Nous aurions pu ainsi expliquer quels étaient les objectifs de ce texte et rappeler qu'il affirmait la souveraineté des États à définir leur propre politique migratoire. Certains groupes politiques se sont emparés fort tardivement de ce Pacte, alors qu'il était en négociations depuis plusieurs années et ont voulu attiser les peurs des opinions publiques européennes. Pour lever toute ambiguïté, nous pourrions envisager de publier une déclaration interprétative de ce pacte qui reste un texte non contraignant, ce que les juristes anglo-saxons qualifient de « soft law ».

Pour en revenir à l'action de l'Union européenne proprement dite en matière migratoire, je salue la politique africaine de Jean-Claude Juncker qui a compris qu'il fallait développer le volet externe de la politique migratoire pour agir sur les causes profondes des migrations, et en cherchant à soutenir des projets économiques dans les pays d'origine pour fournir des emplois durables aux jeunes africains tentés par l'immigration en Europe.

Plusieurs collègues ont évoqué les conséquences du Brexit, je voudrais souligner que l'accord de « backstop » - « filet de sécurité » en français – a vocation à ne jamais s'appliquer, c'est une manière de faire pression sur le partenaire britannique.

Il est en effet essentiel que le marché unique européen se dote d'outils efficaces pour se protéger. Plusieurs intervenants ont critiqué les accords de libre-échange négociés par l'Union européenne mais je ne partage pas du tout leur point de vue. L'Union européenne a eu raison de négocier des accords avec nos principaux partenaires économiques car il faut bien constater la crise du multilatéralisme en matière d'accords commerciaux. Il est caricatural d'affirmer que ces accords sont négociés dans l'opacité. Le CEUTA est un accord mixte qui sera soumis à l'approbation des parlements nationaux des États membres et pour les autres accords, nous devons travailler le plus en amont possible pour que la Commissaire européenne en charge du commerce, Cecilia Malmström puisse recevoir un mandat clair sur les axes de négociations.

Concernant la lutte contre le terrorisme, des progrès incontestables ont été faits mais encore faut-il que les États membres mettent en oeuvre dans leur législation nationale les textes qui ont été adoptés. À ce titre, je déplore aussi que certains États membres n'aient pas encore pris les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre la directive relative à l'utilisation des données des dossiers passagers (PNR) pour la prévention et la détection des infractions terroristes.

L'Union européenne doit se mobiliser fortement pour investir dans la Recherche, plusieurs collègues ont abordé ce thème qui doit être une priorité du prochain CFP. Il faut d'ailleurs saluer l'initiative prise par Jean-Claude Juncker qui a permis la création du Fonds européen pour les investissements stratégiques, mais il faut prolonger cet effort. Il est préoccupant de constater que la Chine et les États Unis consacrent des sommes considérables à la recherche en matière d'intelligence artificielle alors que l'Europe peine à adopter une démarche commune dans ce domaine.

Je ne voudrais pas conclure sur une note pessimiste mais je me dois de reconnaître que le couple franco-allemand, qui a joué un rôle clef pour faire avancer la construction européenne, ne fonctionne pas aujourd'hui de manière optimale. Je le regrette vivement car l'Europe aura besoin d'un nouveau souffle après le Brexit. Il faut trouver les moyens de « ré enchanter » l'Europe, c'est un défi difficile qui nous attend !

La Prsidente Sabine Thillaye. Je vous remercie d'avoir participé à cette réunion. J'espère que nous pourrons réorganiser ce type de rencontre plus fréquemment, ce qui permettrait de laisser plus de temps à la discussion.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.