Le Gouvernement français voulait, quand il a fixé le calendrier de l'examen du présent projet de loi d'habilitation, envoyer un signal fort à Westminster. C'est en fait Westminster qui nous a envoyé hier un signal autrement plus percutant.
La représentation britannique a réaffirmé son rejet de l'ultimatum de l'Union européenne, qui se résumait en : « Au-delà de cet accord, point de salut. » L'ampleur presque sans précédent de ce rejet doit questionner même les plus eurobéats.
Les députés ont refusé d'accepter un chantage qui avait pour seule contrepartie de maintenir les règles de concurrence libre et non faussée, de libre circulation des biens et des services et de mise en concurrence fratricide des travailleurs et travailleuses, alors que l'Union européenne rejette quotidiennement à la mer les corps de migrants jugés indésirables.
Ce refus de l'hypocrisie d'une « Union » qui prône constamment les grandes valeurs de solidarité et d'humanité tout en les foulant aux pieds par des directives, règlements et sommets remettant en cause les votes des citoyens, nous le partageons. Ce fut le sens de la victoire du « non » aux référendums français et hollandais de 2005, du vote du peuple grec en 2015 contre l'étranglement austéritaire organisé par la troïka – Fonds monétaire international, Commission européenne, Banque centrale européenne – et, au moins pour partie, du vote des Britanniques en faveur d'une sortie de l'Union européenne.
Hier, commentant le résultat du vote de la Chambre des communes, Emmanuel Macron a affirmé qu'il n'y a pas de nouvel accord en vue puisque l'Union européenne n'a rien à concéder. Voilà donc tout ce que l'Union européenne peut offrir : l'humiliation pour les peuples qui refusent de subir les conséquences économiques, écologiques et sociales des politiques austéritaires. Une fois de plus, par ses déclarations, le président Macron méprise et délégitime l'expression des peuples qui subissent le plus durement des décisions injustes, et qui aspirent à un autre idéal européen que la promesse d'une austérité à perpétuité et que le combat quotidien, harassant, pour des emplois précaires qui paient mal. Il leur dénie le droit de rejeter une Europe de la prédation financière contre l'environnement, une Europe incapable de taxer les GAFA, l'Europe de Monsanto et du glyphosate, de la mondialisation des riches au détriment de la socialisation des richesses.
Car, contrairement à ce qu'a affirmé M. Macron, l'enjeu du vote d'hier et de ce qui va advenir ensuite n'est pas uniquement une question de politique intérieure. Ce que le vote britannique en faveur du Brexit, puis celui de la Chambre des communes, ont mis au grand jour, c'est bien l'absence de contrôle des peuples sur la machine européenne : l'impossibilité de donner son avis à l'intérieur, le Parlement européen n'ayant aucun pouvoir autonome en matière législative, et l'impossibilité de sortir dignement pour éviter de se laisser écraser par le diktat de l'austérité, l'accord n'étant qu'un enchaînement d'accords commerciaux futurs subordonnés à la soumission du Royaume-Uni aux exigences de l'ordolibéralisme européen.
Lors de nos précédents débats sur le sujet, nous, La France insoumise, avons proposé que ne puissent s'appliquer dans les nouvelles procédures qui auront cours entre nos deux pays et vis-à-vis des entreprises britanniques des règles similaires à celles qui organisent le travail détaché, c'est-à-dire le dumping social et la concurrence entre les travailleurs et travailleuses. À cette proposition, vous avez opposé un rejet – pour le coup – de posture. Vous ne pouvez pourtant pas ne pas voir que vos politiques aggravent la précarité et ne reçoivent plus aucun soutien où que ce soit en Europe.
Le projet de loi d'habilitation est censé permettre de sécuriser la situation de certains Britanniques sur le territoire français. Parce que nous estimons que cette possibilité doit s'appliquer à toutes les personnes qui migrent, et non simplement à certaines en vertu de leur nationalité, nous avons proposé que soient par la même occasion remis en cause les accords dits du Touquet – et, désormais, de Sandhurst – qui font de la France le garde-frontière de la Grande-Bretagne et créent des conditions d'existence inacceptables en Calaisis, pour les personnes qui tentent de rejoindre la Grande-Bretagne au péril de leur vie, d'abord, mais également pour les habitants. Vous avez rejeté notre amendement avec une belle hypocrisie, considérant – alors même que nous parlions de migrations ! – que là n'était pas le sujet.
Au lendemain de la défaite historique de Theresa May, qui s'était fait la porte-parole de l'Union européenne, le Gouvernement ne doit pas prendre le chemin d'une relation diplomatique fondée sur un esprit revanchard de mauvais aloi. Dire « bonne chance » avec condescendance, comme l'a fait le président Macron, revient à nier les interdépendances qui existent de fait entre la France et le Royaume-Uni. Il faut que s'appliquent les règles du protectionnisme solidaire qui aurait pour objectifs primordiaux de garantir, en priorité, des conditions matérielles d'existence suffisantes à toutes les personnes résidant en France et en Grande-Bretagne, et de respecter strictement les capacités de production de ressources de l'écosystème pour une période donnée.
Personne ne peut prédire ce qui va se passer dans les prochaines semaines au Royaume-Uni. Notre rôle est de proposer des solutions communes qui permettent de faire émerger un autre modèle européen : un modèle qui ne soit pas fondé sur le chantage et l'humiliation des peuples et qui n'exclue pas que l'on quitte l'Union ; un modèle fondé sur une coopération politique, économique et sociale au service des peuples et de la transition écologique.
Malheureusement, ce n'est la voie choisie ni par votre gouvernement ni par celui de Theresa May, qui partagent le même projet néolibéral et conservateur. Heureusement, c'est celui que nous sommes en train de construire – nous, c'est-à-dire, en France, La France insoumise et, en Grande-Bretagne, ceux qui entourent Jeremy Corbyn, avec de nombreux autres partenaires européens comme Podemos en Espagne, le Bloc de gauche au Portugal, l'Alliance rouge et verte au Danemark, notamment. Ensemble, nous disons d'une même voix : « For the many, not the few » ; « maintenant le peuple » !