Pour répondre à la première question, je pense en effet que si le débat doit être porté au niveau national, il doit également l'être au niveau européen. Beaucoup de problématiques sont partagées par nos voisins européens. Personnellement, je m'inspire beaucoup de ce que font nos collègues, notamment en Grande-Bretagne ou en Allemagne. Nous avons de nombreux échanges sur le plan éditorial. Mais il faut également en mener sur le plan économique, la crise économique touchant de fait tous les médias. Qu'il s'agisse d'innovation ou de régulation, nous avons tout intérêt à échanger nos expériences avec nos collègues européens et à porter les débats au niveau de la Commission européenne. Le cas des droits voisins représente un combat crucial.
L'information coûte cher, je suis bien placée pour le savoir : ouvrir des bureaux, avoir un réseau, envoyer des correspondants en mission... Les médias sont confrontés à un paradoxe : alors qu'ils ont de plus en plus de lecteurs, grâce à internet, ils n'en tirent pas de bénéfices. En effet, 80 % des bénéfices de la publicité en ligne en France, ce qui représente des sommes considérables, sont captés par Google et Facebook. Il faut rééquilibrer cette répartition, pour éviter que ces plateformes ne captent des revenus pour lesquels elles n'ont rien déboursé. Il convient aussi de réviser leur statut, dans la mesure où elles se réfugient derrière le fait qu'elles sont hébergeuses, ce qui les déresponsabilise quant aux contenus, sans les empêcher d'en tirer des revenus. Au contraire, les éditeurs sont soumis à toute une série de contraintes et de régulations : la presse écrite à la loi de 1881 et l'audiovisuel au CSA. Il serait pertinent d'envisager la création d'un troisième statut pour ces plateformes, de façon à les responsabiliser et à leur faire redistribuer les revenus perçus. Cela nécessiterait de travailler à Bruxelles et à Strasbourg pour modifier la directive sur le commerce électronique.
S'agissant de la diversité, j'avoue ne pas avoir lu l'article d'Aude Dassonville que vous avez cité, monsieur Larive. J'ai cependant évoqué ce baromètre dans mon propos liminaire, en soulignant qu'il existait un gros déséquilibre dans la représentation des catégories les moins favorisées, des habitants des villages ou des banlieues, des plus jeunes, des plus anciens, des habitants outre-mer. Le baromètre du CSA s'est attaché dans un premier temps aux origines géographiques, aux couleurs de peau, avant qu'on n'y ajoute récemment, sous l'impulsion de Mme Hintermann-Afféjee, des indicateurs sur la précarité et les catégories socio-professionnelles. Comment améliorer la représentativité ? Je ne peux vous répondre qu'avec humilité, puisque je ne connais pas encore parfaitement tous les débats qui animent le CSA. Il faut compter, par le biais des indicateurs, mais aussi sensibiliser les chaînes en leur montrant ce qu'elles diffusent. Elles ne se rendent pas toujours compte des carences dans leurs programmes, ni de l'image qu'elles projettent. Il ne s'agit en effet pas seulement d'une réponse quantitative : toujours présenter une certaine catégorie de la population en position de délinquance ne fera pas beaucoup avancer la représentativité.
Il faut également prendre les choses très en amont, dès la formation des journalistes. Si elle doit faire partie des programmes, la volonté de représentativité doit aussi s'incarner dans les personnes qui animent les plateaux. Je vous ai déjà parlé du partenariat que nous avons signé avec La Chance aux concours. Lorsque j'étais directrice de la rédaction, nous avions créé deux bourses – l'une pour les jeunes frais émoulus des écoles et l'autre pour favoriser la diversité et faire entrer des gens qui avaient suivi d'autres parcours – et je m'étais rendu compte que ce système ne produisait pas beaucoup plus de diversité. Il faut s'y prendre très tôt et aider les jeunes quand ils sont encore étudiants et qu'ils n'osent pas se lancer dans la carrière de journaliste, qui peut être un peu intimidante. L'association paie même parfois les frais d'inscription aux concours.
S'agissant des procédures de nomination au CSA, je n'en suis bien sûr pas responsable. Je sais qu'elles posent à chaque fois question. À l'AFP, j'ai défendu avec force cette notion d'indépendance, sans qu'il n'y en ait réellement besoin, dans la mesure où les 1 500 journalistes de la rédaction défendaient tous ce principe et refusaient toute pression. La confiance ne pourra se rétablir que par les actes, et l'indépendance se prouver par les faits.
Concernant la violence, il existe déjà des campagnes pour prévenir les publics de l'existence de contenus violents dans les programmes. Sur le fond, je ne sais pas ce qui peut être fait à ce stade pour inciter les producteurs ou les réalisateurs à s'intéresser à des sujets moins violents. Posons-nous aussi la question au niveau de l'information. Il est important de ne pas nous laisser entraîner dans des mises en scène macabres. Cela relève notamment de questions de cadrage, de formats de plans, fixes plutôt qu'animés. Ce n'est pas parce que le groupe État islamique nous envoie des vidéos gratuitement que nous les utiliserons telles quelles. Nous devons penser à préserver la dignité des victimes. Nos règles de déontologie fixent des principes concernant les photos : par exemple, les gros plans ne se justifient pas pour relater un événement.
Pour revenir sur le financement, j'ai déjà parlé du coût de l'information, qui ne va pas en diminuant. Je sais que le Parlement et les pouvoirs publics sont très attentifs à l'avenir de l'AFP et au financement de l'audiovisuel public.
Pour ce qui est de la parité, les actions sont à mener sur deux fronts : d'une part, en termes de ressources humaines, en laissant les femmes accéder à des postes à responsabilité ; de l'autre, en termes de contenus – cela signifie compter le nombre d'expertes invitées, par exemple, ou celui des intervenantes, tout en tenant bien compte de l'aspect qualitatif. J'ai été invitée par plusieurs médias à parler de la charte de l'AFP. Un quotidien s'était rendu compte, après avoir compté combien de fois une femme avait été à sa une, que cela se produisait de façon très mineure, mais surtout qu'il s'agissait une fois de l'allaitement, une autre des infractions au code de la route, alors même que les femmes ont plutôt moins d'accidents que les hommes… C'était risible !
Je crois beaucoup à la sensibilisation. À l'AFP, deux journalistes de la rédaction m'ont proposé de travailler sur ces questions, alors même – je l'avoue – que je n'avais pas relevé de problèmes de contenu. Nous avons passé un partenariat avec l'université de Toulouse, qui, après s'être penchée sur nos travaux, a mis en évidence le recours à des expressions que l'on utilise tous sans même s'en rendre compte et qui véhiculent des clichés. Par exemple, lorsqu'on interviewe un couple de restaurateurs, on présentera l'homme comme M. Jean Dupont et son épouse par son seul prénom, mais jamais l'inverse. Comme par hasard, on donne plutôt la parole à l'homme, tandis que la femme acquiesce ou vient confirmer les propos de son époux. Cela revient beaucoup plus souvent qu'on ne le croit. En lisant rapidement la dépêche, on est satisfait de voir que tout le monde a eu la parole, alors qu'il faut aller derrière les mots, chercher derrière les lignes ce qui se passe réellement. Nous devons travailler plus finement, au-delà des simples quotas.