Prévenir les violences lors des manifestations est un objectif louable que nous partageons. Bien que les moyens dont nous disposons aujourd'hui soient inadaptés, la réponse apportée par cette proposition de loi, qui ne s'accompagne d'aucune étude d'impact et est examinée dans l'urgence, nous pose problème, comme elle a d'ailleurs posé problème à la majorité et au groupe socialiste, au Sénat.
Nous voulons, comme vous, prévenir les violences et punir les casseurs, mais dans le respect du droit. Or le droit de manifester est une liberté fondamentale, garantie par l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui précisent tous les deux que ce droit ne peut s'exercer qu'à condition de ne pas contrevenir à la sécurité et à l'ordre public, cette dernière notion pouvant être interprétée très largement.
Le droit de manifester ne peut donc être soumis à autorisation préalable, mais l'État – et c'est ce qui se pratique en France – peut imposer une déclaration préalable, visant à faciliter son exercice en permettant aux autorités de prendre des mesures pour garantir l'ordre public. Parler de manifestation autorisée relève donc de l'abus de langage, même si, dans des circonstances très particulières et en arguant de motifs précis, les autorités peuvent décider d'interdire une manifestation. Pour rappel, la procédure de déclaration préalable est définie par les articles L. 211-1 à L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, aux termes desquels toute demande fait l'objet d'une instruction par les pouvoirs publics qui, s'étant assurés que l'événement intervenait dans le respect de l'ordre public, autorisent la manifestation – où l'interdisent dans le cas contraire. Si je rappelle cela, c'est que des annonces de manifestations nocturnes circulent actuellement sur les réseaux sociaux ; or, de telles manifestations ne peuvent être autorisées, précisément parce qu'elles contreviennent à l'ordre et à la tranquillité publique.
Concernant les manifestations récentes, le Gouvernement a récemment publié plusieurs circulaires et instructions à destination de la police, rappelant qu'il convenait de faire usage de l'article 222-14-2 du code pénal, visant à sanctionner « la participation à un groupement en vue de la préparation de violences volontaires, de destructions ou de dégradations », ce qui ciblait, selon Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'Intérieur à l'époque où a été prise cette disposition, les personnes ayant pour pratique de « se mettre au milieu, d'agir et de déclarer, lorsque l'on est interpellé, que l'on n'y est pour rien ».
J'appelle votre attention sur le fait que la création de cette infraction dispense l'autorité policière et judiciaire de prouver la participation des personnes interpellées à des dégradations ou à des violences. Quoi qu'il en soit, nous disposons déjà, dans notre arsenal juridique, d'outils nous permettant d'agir. Est-ce parce qu'ils sont mal utilisés qu'il faut de nouveau légiférer ?
J'ajoute, enfin, qu'il importe que les forces de l'ordre puissent faire la distinction entre casseurs et manifestants. Or, plutôt que de mettre en oeuvre une véritable politique publique de maintien de l'ordre, vous avez opté pour une solution de facilité en renforçant un arsenal juridique qui risque de porter atteinte au droit fondamental que vous prétendez protéger. En effet, il n'y a pas que la réponse pénale, et de nombreuses autres mesures permettraient plutôt d'anticiper les débordements. C'est ce qui nous pose problème avec cette proposition de loi discutée dans l'urgence. Nous souhaitons donc poursuivre les discussions, ce qui nous a conduit à déposer plusieurs amendements de suppression. Nous attendons également les propositions du Gouvernement mais, en l'état actuel, nous ne pourrons soutenir ce texte.