Intervention de Christophe Castaner

Réunion du mardi 22 janvier 2019 à 15h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur :

Au demeurant, un gouvernement non républicain changerait les règles et ferait voter des lois d'exception qui, de ce fait, deviendraient des lois banales. Le dispositif que nous proposons est encadré et limité dans le temps, à l'image de l'interdiction de manifester.

Une sommation, Marie Guévenoux, est une invitation à quitter les lieux. Lorsque les troubles à l'ordre public sont importants, les sommations sont prononcées pour avertir qu'une graduation supplémentaire dans la force de défense va être utilisée, et que le cadre juridique va changer. C'est un signal qui permet de réguler la manifestation, qui avertit que les choses vont trop loin et que la force publique va devoir apporter une réponse supplémentaire. Les modalités de sommation actuelles sont-elles satisfaisantes ? Je n'en suis pas certain et j'estime que nous devrions réfléchir à un système d'alerte différent lors de la révision de la doctrine. Nous pourrions ainsi équiper une partie des escadrons et des CRS de moyens techniques afin que les sommations soient mieux entendues et plus efficaces. Je n'exclus pas que l'on puisse en revoir le contenu et, surtout, que l'on s'interroge sur les modalités de diffusion – en gros, que l'on utilise quelque chose qui fasse plus de bruit.

Rémi Rebeyrotte, le rôle des réseaux sociaux dans les événements récents devra effectivement être analysé et faire, peut-être, l'objet d'un texte. Il faut avoir à l'esprit qu'un message posté sur Internet, qui se traduirait ensuite par un attroupement, au sens juridique, peut être caractérisé comme un appel à manifestation ; son auteur peut donc faire l'objet d'une interpellation, d'une garde à vue et d'une sanction judiciaire si le juge le décide. C'est un sujet sur lequel nous devons travailler. Une chose est certaine : nous assistons aujourd'hui à une multiplication des appels à la violence, au soulèvement. J'ai veillé à ce que nous saisissions de façon systématique le procureur, comme l'article 40 du code de procédure pénale nous y oblige, dès lors qu'un fait concerne un parlementaire, le Président de la République, un maire ou un policier – il arrive que ceux-ci se voient désignés nommément sur Internet et leur adresse divulguée. L'enquête n'est pas toujours facile, il faut remonter à la source, et les opérateurs sont moins coopérants qu'en matière de terrorisme et de pédopornographie. C'est un chantier législatif qui pourrait être ouvert demain, sous votre autorité.

Monsieur Paris, les critères permettant une interdiction administrative de manifester sont trop restrictifs, en raison d'effets cumulatifs. Pour l'heure, je ne suis pas en mesure d'empêcher de manifester une personne dont je sais parfaitement qu'elle appartient à un groupuscule extrêmement violent ayant déjà fait l'objet, en d'autres lieux et sous d'autres noms, de condamnations. La presse a évoqué un certain nombre de personnalités connues : le dispositif actuel ne nous permet pas de leur interdire de manifester. Avec l'article 2, l'appartenance à un groupe violent suffira pour interdire la présence sur une manifestation.

Nous devons effectivement avoir des garanties sur la sortie du fichier et sur le logiciel qui sera mis en place. Il serait logique et légitime que vous puissiez, en tant que parlementaire, en contrôler l'effectivité.

L'agression par le boxeur, que vous avez évoquée, Jean-Michel Fauvergue, s'est déroulée en deux temps. Au tout début, le boxeur a frappé, par au-dessus, et dans le dos, le policier qui était en train de reculer face à la foule. Se sont ensuite déroulées les deux scènes durant lesquelles deux autres agents ont été violemment attaqués.

Vous m'avez aussi interrogé sur le matériel dont disposent les forces de l'ordre. Dans le cadre de la nouvelle doctrine, il faut effectivement voir l'ensemble des sujets. L'usage du taser – qui doit être associé à un usage de la vidéo, mais celle-ci tombe trop souvent en panne, ce qui neutralise l'ensemble du dispositif – n'est pas prévu pour la gestion de l'ordre public. Je suis prêt cependant à tout regarder, y compris à abaisser le niveau auquel certaines armes peuvent être utilisées. J'ai demandé à mes services d'établir un benchmark de ce qui est utilisé dans les autres pays. Il ne s'agit pas de se livrer à une course à l'armement, mais de trouver un schéma qui permette de préserver une distance entre les manifestants et nos forces : c'est la meilleure garantie de sécurité, pour les uns comme pour les autres.

Madame Stella Dupont, vous avez expliqué, à tort, qu'il était proposé de retirer le contrôle du juge sur le prononcé des interdictions de manifester. Nous prévoyons, au contraire, un délai qui permet au juge administratif de se prononcer, ce qui signifie que l'arrêté d'interdiction doit être notifié à la personne concernée au plus tard quarante-huit heures avant son entrée en vigueur. Il ne s'agit en aucun cas de supprimer le contrôle du juge : je ne doute pas que la disposition serait alors jugée inconstitutionnelle !

Il faut avoir à l'esprit que le juge constitutionnel ne considère pas que toutes les libertés relèvent du droit constitutionnel. Des libertés sont encadrées dans notre quotidien, et nous l'acceptons. Cela étant, la liberté de manifestation – qui est une des composantes de la liberté d'expression – est à mon sens une des libertés fondamentales qu'il nous faut garantir. Il ne s'agit pas d'attenter à cette liberté, mais d'encadrer, pour les plus violents, l'interdiction de venir pour casser et de permettre aux forces de sécurité d'exclure du site de la manifestation une personne qui n'a pas vocation à y être, parce que son comportement est dangereux.

Je comprends parfaitement – et je partage – votre exigence d'avoir un texte qui ne soit pas attentatoire aux libertés. Cela dit, il faut bien l'avoir en tête, nous avons aujourd'hui affaire à des adversaires qui ne respectent pas les règles de la démocratie, ces règles qui permettent que se tiennent ces moments de rassemblement faisant le commun national. Certes, on peut débattre, on peut avoir des désaccords politiques et même « s'enguirlander », mais on doit toujours le faire dans le respect de l'autre et dans le refus de la violence. Pour ma part, je considère qu'il n'est pas de violence légitime dès lors que celle-ci met en cause la pratique même de la démocratie. Ce sont les élections qui donnent leur légitimité à tous ceux qui se trouvent dans cette salle – sauf à moi, qui ne tiens ma légitimité de ministre que de ma nomination par le Président de la République sur proposition du Premier ministre, même si, accessoirement, j'ai aussi été parlementaire. En d'autres termes, il n'est pas acceptable de remettre en cause, par la violence, la légitimité du Président de la République élu par le peuple français, comme celle des parlementaires.

Nous devons veiller à ce que l'usage de la force, qui garantit ces exigences collectives que sont la justice et la liberté, soit toujours proportionné et encadré ; c'est précisément l'objet du texte que je vous propose, qui doit également permettre à nos forces de l'ordre d'effectuer leurs interventions dans un cadre présentant une meilleure sécurité juridique – sécurité pour celles et ceux qui souhaitent manifester, mais également pour l'ensemble de nos concitoyens, qui n'ont pas à subir constamment, manifestation après manifestation, les violences, la casse et les menaces.

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