Intervention de Guillaume Garot

Réunion du mercredi 23 janvier 2019 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Garot, rapporteur :

Madame la présidente, mes chers collègues, la crise des gilets jaunes et les cahiers de doléances ont mis en lumière une réalité que beaucoup d'entre nous connaissent : je veux parler du quotidien des territoires qui perdent leurs bureaux de poste, leurs gares, leurs perceptions, mais aussi leurs cabinets médicaux, que ce soit dans la Creuse, en Seine-Saint-Denis, dans la Meuse ou dans le Lot.

Pour y remédier, la proposition de loi que nous vous soumettons ce matin s'attache à définir des mesures d'urgence contre la désertification médicale. Que recouvre cette expression en janvier 2019 ?

Paradoxalement, le nombre de médecins inscrits à l'ordre a augmenté au cours des dernières années, puisqu'on comptait 297 000 médecins en 2018 contre seulement 255 000 il y a dix ans. Mais il faut aller plus loin dans le constat, car tous ces médecins ne sont pas en activité médicale, tant s'en faut : le nombre de médecins en activité régulière recule, leur proportion étant passée de 78 % en 2008 à 66,7 % aujourd'hui.

Surtout, les inégalités territoriales sont criantes. En ce qui concerne les médecins généralistes libéraux, le rapport entre le département le moins bien doté et le département le mieux doté est de 2,2 : autrement dit, il y a deux fois plus de médecins généralistes libéraux par habitant dans les départements les mieux dotés. Cet écart est encore plus fort pour certaines spécialités : le rapport entre les départements les moins bien dotés et les mieux dotés est de 1 à 12 pour les ophtalmologistes, de 1 à 24 pour les pédiatres, et de 1 à 23 pour dermatologues – compte non tenu des deux départements qui en sont totalement dépourvus ! Le problème est d'autant plus grave que la situation ne va pas s'améliorer dans les cinq ni même les dix prochaines années, car toute une génération de médecins va prochainement partir en retraite, ce qui va provoquer un creux démographique en 2025.

Face à cette réalité que nul ne conteste, ni le Gouvernement, ni aucun des acteurs que nous avons auditionnés, la ministre de la santé a annoncé un plan d'action, « Ma santé 2022 », qui tente d'apporter certaines réponses, dont certaines me semblent aller dans le bon sens – ainsi la suppression du numerus clausus ou la création des assistants médicaux, visant à libérer du temps médical.

Le problème, c'est que ce plan ne s'attaque pas au coeur du sujet, c'est-à-dire à ces inégalités territoriales. Celles-ci n'ont fait que s'accentuer entre 2010 et 2017. La Nièvre a perdu 27 % de ses médecins généralistes et l'Indre en a perdu 24 % alors que, dans le même temps, d'autres départements ont vu le nombre de leurs médecins augmenter : la Savoie a connu une augmentation de 8 %, les Pyrénées-Atlantiques de 3 %, la Charente-Maritime de 4 % et le Var de 3 % – ce qui, dans ce département, représente 150 médecins supplémentaires rien qu'entre 2012 et 2017.

Le plan annoncé par le Gouvernement présente donc un angle mort, celui des inégalités territoriales, car il ne produira réellement ses effets qu'à moyen et long terme. Or, l'urgence se fait ressentir dès aujourd'hui. Cette urgence est médicale, mais aussi politique, car elle représente un enjeu de solidarité et de responsabilité pour nous tous – législateur, mais aussi élus locaux et professionnels de santé. Je suis convaincu qu'on ne peut faire face à l'urgence territoriale et sociale d'aujourd'hui avec les réponses d'hier : continuer dans cette logique reviendrait à dire aux Français qui se sentent abandonnés que nous n'avons pas l'intention de mettre en oeuvre de nouvelles solutions pour leur venir en aide, ce qui ne serait pas responsable. C'est pourquoi nous vous proposons ces mesures d'urgence, dans un souci d'efficacité et avec la conviction qu'il va falloir faire preuve d'audace, en mettant en oeuvre des solutions inédites pour lutter contre la désertification médicale.

Partant du constat que toutes les mesures prises jusqu'à présent, quels qu'aient été les gouvernements, n'ont pas produit les effets qu'on en attendait, l'article 1er pose le principe d'une régulation appliquée au moyen d'un conventionnement territorial. Il étend ainsi aux médecins des mesures de régulation par voie conventionnelle – j'insiste sur ce point –, à l'instar de ce qui existe déjà pour d'autres professions de santé. L'objectif de cet article est de contenir la densification des médecins généralistes et spécialistes dans les zones suffisamment dotées, où les besoins de santé sont correctement pourvus.

Nous savons qu'il faut agir sans tarder. C'est pourquoi l'article 1er prévoit dans son troisième alinéa que, si la négociation conventionnelle n'aboutit pas dans les douze mois, c'est la puissance publique qui prendra le relais pour poser le cadre de la régulation. Par ailleurs, lorsqu'on parle d'accès aux soins, l'un des principaux enjeux est celui de l'accessibilité géographique, mais aussi sociale : en certains points du territoire, on trouve beaucoup plus de médecins en secteur 2 que de médecins en secteur 1. Par exception, le conventionnement territorial que nous proposons ne concernerait donc pas les médecins qui s'installeraient en secteur 1 dans les zones où les besoins sont bien pourvus.

Le principe de cette régulation est extrêmement simple : cela consiste à dire aux médecins qu'ils ne doivent pas aller s'installer là où les besoins de santé sont déjà pourvus, et à les encourager à le faire partout ailleurs, là où de nombreux patients les attendent – en d'autres termes, là où on a besoin d'eux.

J'entends des voix s'élever pour dénoncer une atteinte insupportable à la liberté d'installation. Ce à quoi je réponds d'abord qu'il faut se garder d'agiter un chiffon rouge pour éviter d'avoir à traiter le vrai problème… Ensuite, je maintiens qu'encadrer la liberté d'installation relève de l'intérêt général, et qu'il est parfaitement légitime que la Nation, qui forme les médecins et garantit leurs revenus grâce à l'assurance maladie, exprime ses préoccupations et demande qu'il soit apporté une réponse aux carences dans l'offre de soins. Dès lors, il revient au législateur de mettre au point des solutions efficaces, auxquelles seront associés les médecins.

On me dit parfois aussi que la régulation, cela ne fonctionne pas. À cela, j'ai envie de répondre que la régulation n'est qu'une solution parmi d'autres, et qu'elle doit systématiquement être associée à l'incitation : c'est en se combinant que les deux mécanismes atteignent une pleine efficacité.

Au demeurant, si la régulation est aussi inefficace que le prétendent certains, pourquoi en a-t-on retenu le principe pour d'autres professions de santé, notamment les pharmaciens, les infirmiers et infirmières, les kinésithérapeutes et les sages-femmes ? Pourquoi ce qui fonctionne très bien pour toutes ces professions ne fonctionnerait-il pas pour les médecins ?

Voilà pour l'article 1er, qui pose le principe de la régulation à travers le conventionnement territorial.

Les articles 2, 3, 4 et 5 actionnent d'autres leviers afin de parvenir à la plus grande efficacité possible, et c'est bien dans leur globalité qu'il faut considérer toutes ces solutions, qui doivent être mises en oeuvre sans jamais perdre de vue l'équilibre que nous devons maintenir.

L'article 2 vise à concentrer les moyens publics sur les projets de santé qui améliorent l'attractivité des territoires, en d'autres termes à flécher des crédits publics vers les projets de territoire les plus innovants, en ce qu'ils répondent aux attentes en termes de pratique médicale, en particulier chez les jeunes générations de médecins. Bon nombre d'entre eux disent préférer exercer en groupe plutôt que de manière isolée : des projets en ce sens peuvent leur être proposés. Ils disent avoir besoin de maintenir un lien avec l'hôpital : il faut privilégier ce lien entre la ville et l'hôpital, et notamment permettre aux médecins libéraux, généralistes et aux spécialistes, d'accéder au plateau technique de l'hôpital. Ils souhaitent pouvoir travailler en télé-expertise et en télémédecine : on peut promouvoir des projets de ce type.

Si, par ailleurs, certains projets de territoire sont de nature à organiser harmonieusement la permanence des soins – ce qu'on appelle les gardes –, ce sera une raison supplémentaire de favoriser leur mise en oeuvre. Il s'agit en fait de concentrer des moyens afin de « booster » l'attractivité de territoires qui, s'ils sont peut-être les plus en souffrance en termes de présence médicale, sont souvent aussi les plus audacieux, les plus agiles, les plus innovants en termes de réponses apportées aux demandes des médecins. C'est pourquoi nous proposons une labellisation « territoire innovation santé » destinée à mettre en valeur l'ambition des territoires concernés et surtout à marquer le soutien de la puissance publique à des projets très innovants,

L'article 3 tend à adopter une proposition, adoptée à une large majorité par la commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des Français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en oeuvre pour lutter contre la désertification médicale, dont Philippe Vigier était le rapporteur. Il s'agit de réduire la période probatoire pour les médecins diplômés à l'étranger, hors Union européenne, qui, après avoir réussi le concours, exerceraient en zone sous-dense. Plusieurs points méritent d'être précisés : premièrement, ni le concours ni les épreuves de maîtrise de la langue française ne sont supprimés. Deuxièmement, la période probatoire n'est pas non plus supprimée, ce que proposait du reste la commission d'enquête : il est simplement proposé de la ramener de trois ans à un an – comme cela se fait déjà pour les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes.

L'article 4 reprend deux propositions contenues dans le rapport d'enquête que je viens d'évoquer. D'une part, il introduit le médecin de renfort dans les zones sous-dotées, d'autre part, il étend le recours au médecin adjoint, afin de prévoir la possibilité d'une assistance temporaire en cas de carence de l'offre de soins.

Le dernier article de la proposition de loi, l'article 5, qui s'inscrit également dans le prolongement d'une proposition de la commission d'enquête rapportée par Philippe Vigier, vise à instituer un cadre expérimental de coopération entre les pharmaciens et les médecins, en particulier dans les zones où les besoins de santé sont difficilement pourvus. Pour ce faire, nous avons repris le dispositif proposé à l'occasion du dernier PLFSS par un amendement de notre collègue Delphine Bagarry ; il s'inscrit dans le cadre des projets de santé, en particulier celui des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui constituent l'un des objectifs du plan « Ma santé 2022 ». Et surtout, il est « protocolisé », soumis à une démarche très encadrée, rigoureuse et destinée à rassurer. Le but est de permettre aux pharmaciens de prescrire des médicaments pour des pathologies bénignes – par exemple des conjonctivites, des cystites ou des rhinites – selon un protocole extrêmement normé, ce qui suppose un accord d'ordre technique entre médecins et pharmaciens. Cet article, qui viendrait compléter ce qui est prévu pour les infirmiers en pratique avancée (IPA), vise en fait à élargir l'éventail des solutions destinées à faciliter l'accès aux soins et surtout à faire baisser la pression qui pèse aujourd'hui sur les salles d'attente des généralistes.

Cette proposition de loi ne prétend évidemment pas être l'unique solution à tous les problèmes de désertification. Mais elle est constituée d'un ensemble de leviers qui, actionnés tous ensemble – j'insiste sur ce point – donneront leur pleine efficacité à tous les dispositifs mis en oeuvre séparément et sans résultat au cours des dix dernières années.

Pour conclure, je veux insister sur le fait que, si les médecins sont et doivent rester au centre de notre système de soins, nous avons avec eux la coresponsabilité d'apporter des réponses à l'attente tellement légitime exprimée par nos concitoyens en termes d'accès aux soins – à cette question tout à la fois simple et forte : « Comment vais-je faire demain pour être soigné près de chez moi, quand il n'y aura plus de médecins sur le territoire où je vis ? ». Pour répondre à cette question, mes chers collègues, nous avons le devoir de faire preuve d'audace. On ne peut pas continuer comme si de rien n'était ; on ne peut pas légiférer en vase clos, sans entendre ce que nous disent les territoires, ce que nous disent des patients qui perdent peu à peu leurs médecins et qui, demain, risquent fort d'être confrontés à des difficultés encore plus redoutables.

L'accès à la médecine et aux soins n'est ni plus ni moins qu'un des fondements du pacte républicain : tous les Français doivent avoir un égal accès à la santé. C'est un principe qui nous vient de la Résistance. Pour que ce droit continue d'être garanti, nous devons aujourd'hui refonder le pacte républicain, sous la forme d'un nouveau contrat conclu entre la Nation avec nos médecins : tel est le sens de cette proposition de loi.

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