Pardonnez-moi. Si donc vous pensez qu'elle traite le symptôme et non la maladie, c'est que vous ne l'avez pas lue dans le détail : elle a bien vocation à améliorer le retour à l'emploi, à modifier la relation entre l'allocataire du RSA notamment et celui qui est chargé de l'accompagner, à améliorer la qualité leur dialogue et donc l'accompagnement des personnes privées d'emploi.
Par ailleurs, vous avez indiqué que les départements n'étaient pas unanimes. S'il faut attendre qu'ils le soient pour déposer une proposition de loi, on n'en présentera pas beaucoup… Au demeurant, si dix-huit départements se sont portés volontaires pour l'expérimentation, beaucoup d'autres sont loin d'y être hostiles et seront très attentifs à ses conclusions. Lorsque dix-huit départements – ce n'est pas rien ! – prennent une telle initiative sur la durée, nous avons, me semble-t-il, la responsabilité, sinon de leur permettre, comme je le souhaite, d'aller au bout de leur démarche, à tout le moins d'être attentifs à leur engagement.
Monsieur Viry, vous avez indiqué que l'un de vos amendements avait été déclaré irrecevable. Je le regrette car, selon l'Institut des politiques publiques, rien d'ambitieux ne pourra être fait en matière de réforme de nos prestations sociales sans une expérimentation à outrance, serais-je tenté de dire. Ainsi, le Gouvernement ne pourra pas faire l'économie d'une expérimentation de son projet de revenu universel d'activité, à moins que celui-ci ne soit d'une telle modestie qu'il ne présentera aucun risque. En tout état de cause, celle que je propose peut nourrir la réflexion du Gouvernement.
En effet, si l'on veut mesurer clairement les effets d'un tel dispositif sur les jeunes de 18 à 25 ans, notamment sur la poursuite de leurs études – puisqu'ils ne seraient plus, pour bon nombre d'entre eux, contraints de travailler pour les financer –, il faut expérimenter. Si l'on veut évaluer les réactions comportementales des bénéficiaires, il faut expérimenter. Si l'on veut trancher définitivement la question de l'efficacité de la conditionnalité – dont certains travailleurs sociaux affirment catégoriquement qu'elle relève d'une hypocrisie politique –, il faut expérimenter ! L'expérimentation est le meilleur moyen de trancher des débats souvent très idéologiques et pas toujours fondés.
Je suis donc, monsieur Viry, favorable à ce que les expérimentations soient le plus nombreuses possible, à une nuance près. Lorsque j'entends parler de la fusion d'un maximum d'allocations et de conditionnalités, je m'interroge : entend-on sérieusement conditionner l'allocation adulte handicapé ou l'allocation de solidarité aux personnes âgées ? Je ne crois pas – je vous alerte sur ce point – que ce soit envisageable. Mais, encore une fois, je suis très ouvert aux expérimentations. C'est pourquoi je regrette que votre amendement n'ait pas pu être retenu.
Madame de Vaucouleurs, je veux tout d'abord vous remercier pour votre participation active aux auditions. Je partage votre point de vue : le coeur du sujet, c'est l'accompagnement plutôt que le contrôle. Celui-ci doit être pris en compte, mais ce n'est pas en y consacrant des moyens considérables que l'on garantira efficacement le retour à l'emploi. Quant à l'étude d'impact, elle est constituée en quelque sorte par les simulations de l'institut des politiques publiques (IPP), simulations qui doivent, pour être vérifiées et affinées, faire l'objet d'une expérimentation.
M. Boris Vallaud est revenu sur la méthode. Je veux juste rappeler, à cet égard, le travail considérable accompli par dix-huit départements, dont le groupe Socialistes et apparentés se fait ici, d'une certaine manière, le porte-parole : ils ne demandent, et c'est légitime, que le droit d'expérimenter. Les membres du Gouvernement ne considèrent-ils pas l'expérimentation comme l'alpha et l'oméga des futures politiques territoriales ? Qu'ils le prouvent, qu'ils passent des mots aux actes en autorisant ces dix-huit départements à mener une expérimentation qui sera nécessairement utile à tous les autres.
Notre collègue a également évoqué la question des jeunes. Il faut savoir que la France est, avec le Luxembourg, bonne dernière en Europe dans le domaine de l'accompagnement des jeunes. Ainsi, 46 % des étudiants occupent un emploi et 26 % d'entre eux travaillent plus de six mois par an – il ne s'agit donc pas, pour ceux-là, d'un petit boulot qui les occupe quelques heures par-ci, par-là. Nous devons, au moins sur cette question-là, prendre le temps de nous interroger sur nos devoirs envers ceux qui seront la France de demain.
Enfin, Boris Vallaud a abordé la question de la dégressivité liée aux revenus d'activité. Je n'ai pas voulu entrer dans le détail du dispositif dans mon propos liminaire, mais cette question est absolument essentielle. Dans sa modélisation, l'IPP prévoit que le taux marginal d'imposition appliqué aux revenus d'activité des futurs allocataires du revenu de base soit plus intéressant que celui qui est actuellement appliqué aux revenus d'activité des allocataires des deux ou trois prestations qui seraient fusionnées. Il s'agit donc bien d'inciter au travail. Nous ne voulons plus entendre ce que vous avez toutes et tous entendu dans vos permanences parlementaires, sur les ronds-points ou dans la rue : « On m'a proposé un emploi, mais je vais devoir faire garder mes enfants et parcourir 30 kilomètres aller-retour chaque jour. La différence n'est pas assez importante pour que je sois incité à prendre cet emploi. » Une dégressivité révisée dans le cadre de cette expérimentation est un moyen de mettre en place un dispositif incitatif à l'emploi.
Monsieur Paul Christophe, vous estimez, comme d'autres, que l'inconditionnalité est un mauvais signal. Je comprends parfaitement les responsables publics, les élus, qui brandissent le principe, qui m'est cher, des droits et des devoirs. Mais il faut parfois avoir le courage de mettre un terme à une forme d'hypocrisie. Lorsque l'on conditionne des dispositifs sociaux à une recherche d'emploi, on s'adresse en réalité aux contribuables, à ceux qui payent l'impôt. La conditionnalité est en effet une manière de leur dire : « On redistribue, mais on est extrêmement exigeant puisqu'on oblige les bénéficiaires des allocations, en l'occurrence du RSA, à rechercher un emploi. » Cela ne sert à rien : n'importe quel travailleur social vous le dira, si l'on supprime le RSA à une personne très éloignée de l'emploi, elle se retrouvera à la rue et, tôt ou tard, le coût sera au final beaucoup plus élevé pour la société. On peut continuer à entretenir cette hypocrisie ; je préfère, quant à moi, être de ceux qui ont le courage de dire que les moyens supplémentaires, si tant est qu'ils existent, doivent être consacrés à l'accompagnement plutôt qu'au contrôle, qui n'a, a priori, jamais fait ses preuves. En tout cas, encore une fois, l'expérimentation permettrait de savoir ce qu'il en est.
Par ailleurs, vous avez raison, le mot « revenu » est mal choisi, car il désigne le plus souvent le fruit d'une activité professionnelle. C'est pourquoi, je l'ai dit, il me semble nécessaire de revoir le nom du dispositif.
Monsieur Ratenon, je vous remercie pour vos propos. L'automaticité permettrait en effet de réduire le taux de non-recours. À ce propos, il est intéressant de s'attarder sur la situation des « non-recourants », de ceux qui ne font pas valoir leurs droits. Ce sont, dans leur grande majorité, des agriculteurs, des commerçants, des artisans ; ils considèrent le RSA comme une forme de stigmate, si bien qu'ils préfèrent vivre avec 600 ou 700 euros par mois plutôt que de réclamer leur dû. C'est pourquoi il est désormais nécessaire d'automatiser le versement de ce type de prestations. Avoir un niveau de vie digne lorsqu'on a une activité professionnelle, que l'on soit agriculteur ou commerçant, c'est un dû. Les autres « non-recourants » sont des gens qui, la plupart du temps, ont renoncé à leurs droits en raison du caractère insurmontable de l'obstacle que représente le parcours administratif qu'ils doivent suivre dans le « maquis des aides » – pour reprendre l'expression employée par un membre de la majorité, me semble-t-il.
Monsieur Dharréville, je tiens à préciser que, dans son étude, l'Institut des politiques publiques a pris le parti, en accord avec les départements, de ne pas faire de perdants. Il est extrêmement difficile de réformer les prestations dans le sens d'une plus grande justice sans imaginer des dépenses supplémentaires. Il est en tout cas certain que si la modélisation de l'IPP faisait des perdants, ceux-ci refuseraient, de manière tout à fait logique, d'entrer dans le dispositif.
Par ailleurs, améliorer l'aide sociale – en mettant en place un revenu complémentaire, non un revenu de substitution au salaire – ne doit pas nous inciter à renoncer au combat majeur pour le pouvoir d'achat, la création d'emploi et la revalorisation salariale. Tout Gouvernement doit espérer que, demain, chaque Français vivra des fruits de son travail sans avoir à solliciter la solidarité nationale. Mais une réalité s'impose à nous : 5,5 millions de Français en âge de travailler sont privés d'emploi ! Or, sur les panneaux de Pôle emploi, on dénombre, en étant généreux, 400 000 offres d'emploi. Autrement dit, plus de 5 millions de personnes se trouvent, en tout état de cause, dans une situation extrêmement difficile. Par conséquent, il est nécessaire d'améliorer nos dispositifs d'aide sociale, quand bien même toutes les offres d'emploi seraient pourvues.
Madame Dubié, vous avez indiqué que nos concitoyens étaient particulièrement sensibles aux inégalités. Certaines d'entre elles sont bien réelles, hélas, y compris dans certains dispositifs sociaux conçus de telle manière qu'ils incitent des allocataires à élaborer des stratégies et à recourir à certaines prestations et non à d'autres. Mais d'autres inégalités sont pour ainsi dire fantasmées – le mot n'est pas trop fort. Vous avez tous vu circuler sur les réseaux sociaux cette fake new qui présente une fausse fiche de la Caisse d'allocations familiales tendant à prouver qu'une famille pourrait percevoir 6 000 euros d'allocations par mois. Ce type de fausse information contribue à alimenter, au-delà des inégalités, le fantasme de l'existence de privilégiés qui vivraient sur la bête, si je puis dire.
Notre responsabilité – et l'objet de cette proposition de loi est d'entamer ce travail – est de faire en sorte que le dispositif soit lisible et qu'il ait du sens car, aujourd'hui, il n'en a plus du tout. Personne ne sait pourquoi il paye ni à quel titre il perçoit quoi ! Si nous ne redonnons pas du sens au dispositif, des femmes et des hommes continueront à descendre dans la rue avec la volonté de renverser un système qui, pourtant, parfois, les protège.
Enfin, vous avez évoqué, à juste titre, la vigueur des départements. Mais si ceux-ci ont des obligations légales en matière d'aide sociale, ils ne s'en acquittent pas tous de la même manière. Dix-huit d'entre eux sont à la pointe de la réflexion et de la recherche dans ce domaine. Je vous demande ici de leur accorder le droit de mener une expérimentation sans laquelle on ne pourra jamais connaître les effets induits du dispositif, ni ses impacts comportementaux ou financiers. Or ils sont très nombreux : si l'on verse un revenu de base aux jeunes de 18 à 24 ans, ils sortiront du foyer fiscal, de sorte que leurs parents paieront davantage d'impôts et que le montant de certaines prestations sera moindre. Ils auront également plus de facilités pour poursuivre leurs études, de sorte que leur accès à l'emploi sera mieux garanti… Bref, nous devons expérimenter pour évaluer ces différents effets. Au fond, je vous demande de donner à ces départements la chance de mener à son terme une démarche qu'ils ont eux-mêmes initiée.