Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du mardi 5 février 2019 à 15h00
Prévention et sanction des violences lors des manifestations — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

La proposition de loi dont nous discutons a été âprement débattue. Manifester est en effet une liberté fondamentale et constitutionnelle, il faut le rappeler. Ce texte a été présenté comme visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs. Comme je l'ai indiqué lors de sa discussion en séance, cette proposition de loi pose deux questions majeures. Est-elle nécessaire pour prévenir et dissuader les violences commises par des individus dans les manifestations ? Présente-t-elle le risque d'être utilisée au-delà de ce qui est son objet affiché et de dissuader de nombreux manifestants pacifiques de participer à des manifestations ? À ces deux questions, nous pouvons répondre de façon aisée. Non, elle n'est pas indispensable pour préserver et maintenir l'ordre public. « C'est le citoyen qu'on intimide, et pas le délinquant », comme l'a justement souligné François Sureau. Oui, elle peut mettre en cause cette liberté fondamentale.

Je pourrais égrener chacun des articles et les risques qu'ils comportent sans résultat tangible. Je me contenterai des deux premiers articles. L'article 1er, qui vise à conférer à l'autorité administrative le pouvoir d'autoriser les forces de sécurité intérieure à procéder à des palpations de sécurité ainsi qu'à un contrôle des effets personnels des personnes à l'entrée et dans le périmètre d'une manifestation, a été réintroduit. Son application supposera une mobilisation très forte et continue des forces de sécurité. Ce qui paraît facile sur le papier sera quasi impossible sur le terrain : cela nous a été rappelé par les forces de l'ordre elles-mêmes. On aura inscrit une nouvelle fois une mesure qu'on sera en peine d'exécuter correctement.

L'article 2 prévoit la possibilité de prononcer, à l'encontre des individus susceptibles de représenter une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public, des interdictions administratives de manifester personnelles assorties, le cas échéant, d'obligations de pointage dans un commissariat ou une gendarmerie : il s'agit d'un véritable contrôle administratif du droit de manifester. Une telle disposition fait basculer cette loi non pas dans le champ des textes de justice, mais dans un dispositif de police, pour reprendre l'expression de l'ancien Président de la République François Mitterrand. Elle met en cause le droit individuel et collectif de manifester, sans que son application soit garantie par le juge judiciaire. Cette mesure administrative relevait de l'état d'urgence ; elle entre désormais dans le droit commun.

Ainsi que je l'ai dit à cette tribune, l'interdiction de manifester existe dans notre législation : elle est prévue par un article du code de la sécurité intérieure. Une telle interdiction devrait relever exclusivement d'une décision de justice, et son non-respect devrait constituer un délit. Le risque d'arbitraire se trouve renforcé, et le sera peut-être encore davantage avec l'utilisation de « notes blanches », de ragots de police ou d'éléments de fait qu'aucun juge n'aura été en mesure d'apprécier. Un préfet qui, rappelons-le, est noté sur sa capacité à maintenir l'ordre public, pourra en user et, par précaution – si j'ose dire – , pourra prononcer cette mesure avec le risque d'arbitraire qu'elle représente. L'association Amnesty International, connue pour son action en faveur des droits de l'homme, évoque, à propos de ce texte, la « casse du droit de manifester ».

Ce texte voudrait nous amener à opposer manifestants pacifiques et police. Les manifestants pacifiques sont les plus nombreux. La police est dans son rôle de prévention des débordements et de poursuite des casseurs. Ce sont de moyens de police et d'une stratégie de dissuasion des manifestants violents dont nous avons besoin aujourd'hui dans notre pays, et non d'un texte à possible ressort liberticide !

J'ai à plusieurs reprises posé les questions suivantes : quelle est la doctrine de nos forces de police ? Quelle utilisation optimale des moyens pouvons-nous avoir : renseignement, prévention, dissuasion ? Combien de nouveaux CRS seront recrutés et formés ? L'utilisation des armes est-elle réellement proportionnée aux objectifs du maintien de l'ordre ? Peu ou pas de réponse. Il convient donc de faire émerger des pratiques qui discriminent les publics, pour être capables d'identifier et d'écarter les groupes les plus radicaux. À l'instar d'autres textes, vous politisez une question pour montrer que vous la traitez, quitte à mettre tout le monde dans le même texte et à créer des exceptions anti-liberté généralisables. Pour toutes ces raisons, le groupe Socialistes et apparentés votera contre ce texte. J'en appelle à votre conscience et à votre amour de la liberté !

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