C'est un véritable progrès, qui cache cependant une réalité trop souvent sous-estimée, voire méconnue : le non-recours aux droits sociaux. En effet, seuls 3,5 millions de foyers ont perçu aujourd'hui la prime d'activité sur les 5 millions de foyers éligibles. Autrement dit, près du tiers des foyers qui devraient bénéficier de la prime d'activité ne la perçoivent pas, parce qu'ils ne savent pas, parce qu'ils n'osent pas, parce qu'ils sont tellement loin, parce qu'ils ont décidé que ce n'était même plus pour eux.
L'accès aux droits sociaux constitue à mes yeux un enjeu fondamental, d'abord parce qu'il pose la question de l'effectivité des mesures que nous adoptons, et il est de notre responsabilité institutionnelle et politique d'y veiller, mais aussi parce que le non-accès aux droits constitue un facteur d'aggravation de la vulnérabilité et contribue à cantonner une partie de nos concitoyens les plus humbles aux marges de la société.
Les raisons qui expliquent ce non-recours aux droits sont connues de longue date.
La première est la complexité de notre système de prestations sociales. Complexité par rapport aux prestations elles-mêmes : les revenus et les situations pris en compte varient d'une prestation à une autre, les formulaires de demande sont parfois incompréhensibles, et je ne rentrerai pas dans le détail des formules de calcul, si sophistiquées qu'il est parfois difficile, y compris pour nous, d'en comprendre le fonctionnement.
Complexité aussi dans l'organisation des différents réseaux en silos, avec un enjeu fort de gouvernance. Si l'on fait la liste des intervenants susceptibles d'instruire les droits ou de verser les prestations sociales dont nous parlons aujourd'hui, il y a, sans être exhaustive, les caisses d'allocations familiales, CAF, la caisse primaire d'assurance maladie, CPAM, l'assurance vieillesse, les conseils départementaux, les associations, les centres communaux d'action sociale, CCAS, Pôle emploi, etc.
La deuxième raison de non-recours, c'est la méconnaissance pure et simple des droits. Comment accéder à un droit lorsqu'on n'en connaît même pas l'existence ?
La troisième, c'est l'éloignement des services publics et les inégalités d'accès liées à la dématérialisation. Il suffit de lire les derniers rapports du Défenseur des droits pour s'en convaincre. En ce sens, nous devons veiller à toujours préserver plusieurs modalités d'accès aux services publics, et je rejoins ma collègue Amélie de Montchalin sur la question du point d'entrée. Surtout, il est temps de porter une stratégie d'inclusion et d'accompagnement numérique à destination des publics les plus fragiles.
La quatrième raison, enfin, c'est un renoncement volontaire, par honte sociale ou peur d'être stigmatisé. En la matière, je crois qu'il est de notre responsabilité, mes chers collègues, si ce n'est de tordre le cou aux idées reçues qui peuvent diviser les Français, d'éviter a minima de les entretenir à des fins électoralistes.