Monsieur Viry, en matière de collecte, vous avez raison, les donneurs sont là à certains moments dans l'année, moins à d'autres moments – durant les vacances d'été et d'hiver notamment, les ponts de mai ne facilitant pas non plus une collecte régulière. Cela explique nos appels réguliers aux dons. En effet, les produits sanguins sont périssables. On ne peut donc compter sur une collecte événementielle, même très importante, pour tenir toute l'année. Fin juin, nous avons lancé un appel urgent aux dons. Les chiffres sont clairs : avant l'appel, nous disposions de dix jours de stock ; après, nous sommes montés à dix-sept. Ainsi avons-nous facilement pu passer la période, toujours un peu compliquée, des vacances d'été.
La question de la fidélisation est fondamentale. Elle constitue aussi, disons-le, un axe de progression : sur cent donneurs ayant déjà donné, soixante reviendront donner, mais sur cent primo-donneurs, seuls trente reviendront… Nous devons donc nous attacher, d'une part à attirer de nouveaux donneurs – seulement 4 % de la population en âge de donner donne effectivement – et, d'autre part, à « fidéliser » les nouveaux donneurs, notamment les jeunes – d'où nos efforts de communication. Si l'on analyse la courbe des âges des donneurs, que remarque-t-on ? Les jeunes se mobilisent très fortement entre 18 et 20 ans, puis disparaissent pour ne revenir que vers 40 ou 50 ans. Nous devons amener au don des populations aujourd'hui absentes, mais surtout améliorer le taux de fidélisation.
S'agissant de l'ouverture du don du sang aux hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes (HSH), il faut se souvenir qu'il y a cinq ans, les HSH étaient définitivement exclus du don. Cette solution n'était ni raisonnable ni tenable. Le don a été ouvert sous deux conditions, qui ont d'ailleurs entraîné des réactions très critiques des associations lesbiennes, gays, bisexuelles et trans (LGBT) : ne pas avoir eu de relations sexuelles depuis douze mois pour le don du sang « total » et, pour la filière du don de plasma – cette ouverture est très importante – ne pas avoir changé de partenaire depuis quatre mois, la condition s'appliquant d'ailleurs aux HSH comme aux autres. Les choix sexuels personnels ne comptent donc plus : seule la prise de risque est évaluée, quelle qu'elle soit et quelle que soit l'orientation sexuelle.
Ce sujet était symbolique. Il s'agissait d'affirmer que personne ne doit être exclu du don pour de mauvaises raisons. Dans ce contexte, les conséquences en termes de dons ont été assez faibles, beaucoup plus faibles que ce que l'on pensait. Du 10 juillet 2016 au 10 juillet 2017, 1 000 personnes se sont présentées pour un don de sang total, 1 500 pour un don de plasma, mais les taux de contre-indication ont été très élevés lors de l'entretien préalable. Cela signifie sûrement que nous devons faire un effort de pédagogie. Il est en effet de mauvaise politique de dire à des gens qui veulent donner leur sang qu'ils ne le peuvent pas. Nous devons veiller à mieux leur expliquer les raisons, voire faire en sorte, grâce aux technologies numériques, qu'ils soient capables de s'auto-évaluer avant de se déplacer.
Sans les associations, l'EFS ne saurait pas remplir sa mission ! Ce sont des personnes indispensables qui, tous les jours ou tous les week-ends, travaillent avec nous à l'organisation des collectes, incitent les donneurs à se déplacer, procèdent à la réservation de salles – ils vous embêtent sans doute parfois, mesdames et messieurs les députés. Je tiens à les saluer et leur rends hommage car, sans ce milieu associatif – c'est aussi cela, la République –, il serait difficile de faire notre travail. Je suis très proche des associations, dont les valeurs sont fondamentales. Leurs membres sont jeunes ou vieux, de droite, de gauche ou du centre – mais, tous ensemble, ils sont mobilisés sur ce sujet.
Vous avez raison, suite à un contentieux introduit par un laboratoire pharmaceutique, le plasma thérapeutique, que l'on appelle aussi « plasma SD », a été requalifié en médicament dérivé du sang. Cela a eu deux conséquences : en premier lieu, pour le produire, il faut être un laboratoire pharmaceutique, ce que nous n'étions pas. Nous avons dû arrêter sa fabrication. En second lieu, et il s'agit d'une menace plus grave à mon sens : un médicament ne peut être qu'une marchandise. Sa procédure d'achat dans les hôpitaux relève donc d'appels d'offres… Il est très difficile d'articuler cela avec l'éthique du don.
Quoi qu'il en soit, il nous semblait nécessaire de montrer que l'établissement, désormais en concurrence pour la production de plasma thérapeutique, était capable de se réorganiser pour affronter cette concurrence. C'est ce que nous avons fait. Aujourd'hui, et ce n'est pas un secret d'État, notre part de marché est plus que confortable.
Monsieur Viry, vous m'interrogez sur l'ouverture du capital du LFB. Vous aurez compris que je suis président de l'EFS et non du LFB, puisque, depuis la loi du 4 janvier 1993 relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicament, la collecte est très clairement séparée du fractionnement. Pour autant, je pense que nous avons intérêt à disposer d'une filière plasma forte dans notre pays.
Madame Toutut-Picard, quelle part représente le plasma éthique français dans les médicaments dérivés du sang ? Il m'est difficile de répondre à cette question, car je n'ai aucune responsabilité en la matière. En se basant sur la part de marché du LFB, le chiffre devrait toutefois être aux alentours de 50 %. Nous pouvons sûrement progresser, à condition de vérifier la soutenabilité économique de la collecte de plasma par plasmaphérèse. Le prix du plasma cédé au LFB est aujourd'hui très inférieur au prix mondial, ce qui constitue un problème économique important. Ma responsabilité est aussi de faire en sorte que la collecte ne fragilise pas l'EFS.
S'agissant des médicaments dérivés du sang, le contenu de l'arrêt du Conseil d'État, comme celui de la décision de la CJUE, sont tout à fait intéressants… Les juges estiment que le plasma SD est un médicament, car sa fabrication suit un processus industriel, mais que ses conditions de collecte doivent répondre aux conditions d'éthique posées par la directive européenne. Cela signifie que les opérateurs fournissant des médicaments dérivés du sang en France doivent prouver que le plasma collecté l'a été de manière éthique. Si ce n'est pas le cas, l'ANSM doit vérifier l'engagement de traçabilité et d'éthique de l'ensemble des producteurs. Mais elle peut également, au nom de la prise en charge correcte du malade, qui a besoin de ce plasma, donner une autorisation temporaire de mise sur le marché.
Monsieur Lurton, vous m'interrogez sur notre modèle économique. C'est une préoccupation quotidienne. Quand je suis arrivé à l'EFS, le plan d'investissement voté me semblait dépasser de très loin les capacités financières de l'établissement. Nous l'avons donc réduit d'un tiers, à 200 millions d'euros, car nous n'aurions pas su faire plus.
Nous devons par ailleurs nous interroger sur nos processus internes. Mon prédécesseur avait engagé cette réorganisation, je l'ai parachevée. À mon arrivée, quatorze plateaux de qualification des dons réalisaient en région la vingtaine d'analyses nécessaires sur le sang collecté. Nous avons fermé dix plateaux, pour en conserver uniquement quatre, plus gros. Si nous voulons continuer à disposer des financements nécessaires à nos projets – environ 40 millions d'euros par an –, il est absolument indispensable d'améliorer l'efficience de l'établissement, de manière volontariste, mais réfléchie. Lorsque l'on se réclame d'un modèle éthique, on ne peut qu'être efficient, car on vit des dons des donneurs. De ce point de vue, gaspiller l'argent public semblerait quelque peu bizarre.
Une question a m'a été posée sur la mobilisation pendant les attentats. J'ai appelé nos collègues de Las Vegas il y a deux jours ; ils m'ont dit qu'ils n'avaient que trois jours de stocks. Ils appellent donc les gens pour que la collecte se fasse dans les hôpitaux. Chez nous, la collecte se fait à l'Établissement français du sang.
Je rappelle qu'à Nice et à Paris les cliniciens nous ont dit qu'ils n'avaient jamais eu besoin de sang. L'organisation préalable, avec des stocks importants, est une garantie de sécurité. Ces stocks sont disposés régionalement. C'est compliqué à mettre en place, ça coûte un peu d'argent – en fait, pas tant que ça – mais, je le répète, la politique consistant à maintenir entre douze et quatorze jours de stocks est un élément très fort de sécurité pour nos concitoyens.
De mon point de vue, ce qui a été difficile à gérer pendant la période des attentats a été de faire venir les produits sanguins de nos centres aux hôpitaux, dans cette sorte de « Paris en guerre ». Je tire mon chapeau aux transporteurs, ainsi qu'aux forces de l'ordre qui nous ont aidés.
Un second sujet compliqué, et dont j'ai beaucoup de mal à parler sans émotion, a été de voir tous ces gamins mobilisés le lendemain. Ils étaient mobilisés, mais il y avait aussi des gens dans la nature, et les donneurs pouvaient devenir des cibles. Nous avons donc décidé de prendre le maximum de donneurs possible et de dire aux autres de signer une promesse de don, de rentrer chez eux et de revenir un ou deux mois plus tard. C'est ce qui s'est fait.
Après les attentats de Paris, notre stock est monté à vingt et un jours, mais le taux de péremption a très peu augmenté car nous avons réussi à réguler les besoins en produits sanguins sur l'ensemble du territoire.