La parution de notre rapport public annuel est devenue, pour les juridictions financières, un rendez-vous phare avec les Français. En complément des travaux publiés tout au long de l'année, elle nous conduit à réaliser à leur intention un exercice d'explication et de pédagogie sur une grande variété de sujets, conformément à la mission d'information que nous a confiée le constituant en leur fournissant des éléments objectifs, étayés, contredits vérifiés, s'appuyant aussi sur des comparaisons internationales – même si ces comparaisons ne sont pas toujours reproductibles. La publication de ce rapport annuel est aussi un temps fort dans les relations déjà très denses que nous entretenons avec la représentation nationale.
En plus de ce rapport, le Parlement est en effet destinataire d'un grand nombre de nos travaux tout au long de l'année. Certains viennent spécifiquement alimenter la procédure d'examen des textes financiers, en application des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances et de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Ils font ainsi pleinement vivre la mission d'assistance confiée par l'article 47-2 de la Constitution à la Cour des comptes, au bénéfice notamment du Parlement dans son activité de contrôle du Gouvernement.
L'Assemblée nationale et le Sénat ont aussi la possibilité d'adresser à la Cour des demandes d'enquêtes ou d'évaluations sur des sujets spécifiques. Vous usez chaque année de cette faculté, complétant ainsi, de façon concertée, la programmation de leurs travaux que les juridictions financières établissent en toute indépendance.
Les rapports réalisés dans ce cadre portent sur des politiques publiques stratégiques à forts enjeux. En 2018, la commission des finances de votre assemblée a reçu par exemple communication d'enquêtes portant sur la formation des demandeurs d'emploi, sur les droits d'inscription dans l'enseignement supérieur, ou encore sur le processus de privatisation des aéroports de Toulouse, Lyon et Nice. En tout, ce sont ainsi douze enquêtes qui ont été réalisées à la demande des assemblées parlementaires.
Elles s'ajoutent aux très nombreux travaux effectués par les juridictions financières qui vous sont transmis chaque année : rapports publics thématiques, notes d'exécution budgétaire, actes de certification, référés, rapport sur les finances locales… La liste est longue. En 2018, un total de 190 travaux vous a été remis. Le troisième tome de notre rapport public annuel vous en donnera un détail plus complet. J'ajoute qu'au cours de cette même année, la Cour a été auditionnée à quatre-vingts reprises par le Parlement.
L'année 2018 nous aura aussi offert l'occasion d'échanges encore plus nombreux, dans le cadre du Printemps de l'évaluation, conduit à l'initiative de votre commission des finances. Comme vous, monsieur le président, je ne peux que souhaiter qu'ils soient perpétués dans l'année qui vient. J'y reviendrai.
Je me réjouis évidemment de ces chiffres. Surtout, je souhaite que la quantité très importante d'informations que nous vous transmettons soit aussi utile que possible à l'exercice de votre mandat.
J'en viens aux trois principaux messages que notre rapport public annuel formule. Le premier porte sur la situation de nos comptes publics. La Cour constate, d'une part, la fragilité du redressement opéré ces dernières années, et elle relève, d'autre part, les incertitudes qui pèsent sur la trajectoire des finances publiques pour les mois à venir. Dans un cadre budgétaire contraint par l'état de nos comptes, notre pays doit amplifier et systématiser la modernisation de ses services publics pour les rendre plus efficaces et plus efficients. En la matière, des possibilités existent ; elles sont même nombreuses. C'est le deuxième message de ce rapport.
Bien sûr, ce message n'est pas nouveau, je l'ai d'ailleurs formulé devant vous à de nombreuses reprises. Mais il est, je crois, essentiel de le réitérer dans le contexte que connaît notre pays, qui pousse, parfois, à la résignation. Pour redonner du souffle à nos comptes et pour alléger le poids de notre dette, notre rapport identifie, comme l'ont fait les précédentes éditions, des marges d'économies et de ressources nouvelles. Certaines de ces marges sont déjà connues. Elles rejoignent parfois des propositions que vous formulez dans vos travaux d'évaluation et de contrôle, mais les actions tardent à venir ou à porter pleinement leurs fruits. Aussi, notre rapport esquisse-t-il, au travers d'exemples de transformations réussies comme, à l'inverse, de situations d'immobilisme, quelques conditions à remplir pour se saisir des opportunités de modernisation de l'action publique qui s'offrent aux décideurs. Il s'agit de son troisième message. Permettez-moi de revenir en détail sur chacun de ces messages.
Chaque année, la parution du rapport public annuel est l'occasion de porter une appréciation sur l'état de nos finances publiques.
S'agissant de l'année 2018, la Cour constate d'abord que le redressement de nos comptes publics semble marquer le pas. Après huit années ininterrompues de baisse, le déficit public s'établirait à un niveau proche de celui de 2017, soit 2,7 points de produit intérieur brut, selon la dernière prévision fournie par le Gouvernement. Cette prévision semble réaliste, voire prudente, compte tenu des données actuellement disponibles. Elle ne pourra toutefois être confirmée que par les résultats complets de l'exécution budgétaire pour l'année 2018, qui seront seulement disponibles d'ici à la fin du mois mars.
Nous aurons l'occasion d'approfondir ces premières analyses lors de la remise des rapports sur l'exécution du budget de l'État et sur la situation et les perspectives des finances publiques. Nous le ferons cette année en expérimentant un calendrier renouvelé, qui vous permettra de disposer avant l'été de l'ensemble des analyses des juridictions financières sur l'exécution budgétaire portant sur l'année passée, comptes sociaux et locaux désormais inclus – ce que nous ne faisions pas jusqu'à présent.
Pour l'exercice 2018, le diagnostic de la Cour est le même si l'on raisonne indépendamment de la conjoncture économique, c'est-à-dire en analysant le solde structurel de nos comptes. Le déficit structurel pour 2018 devrait se maintenir au niveau atteint en 2017, soit autour de 2,3 points de PIB, selon le Gouvernement. Mécaniquement, cette situation devrait accroître notre dette publique, dont le montant approcherait les 98,7 % du PIB pour l'année 2018.
Derrière les chiffres, je veux souligner devant vous le décalage qui continue de se creuser entre la France et la majorité de ses partenaires européens. La plupart d'entre eux font en effet beaucoup mieux. En moyenne, la dette publique des pays de la zone euro pour 2018 est ainsi inférieure de plus de dix points de PIB à celle de la France. La dette publique allemande, pour sa part, n'a cessé de se réduire depuis 2012. Elle approche désormais le seuil des 60 % du produit intérieur brut. Ce pays va ainsi quasiment revenir au niveau de dette qui était le sien, et qui était aussi le nôtre, en 2007.
Dans ce premier chapitre, la Cour formule également une appréciation sur l'évolution des finances publiques nationales pour 2019. Cette évolution apparaît, à bien des égards, très incertaine. Permettez-moi de faire un bref rappel des circonstances que vous connaissez. La trajectoire inscrite au mois de septembre 2018 dans le projet de loi de finances pour 2019 a été substantiellement modifiée par les mesures d'urgence annoncées en décembre, en réponse au mouvement des gilets jaunes.
Le projet de loi de finances initiale pour 2019 anticipait une dégradation du déficit public, le fixant à 2,8 points de PIB. Vous le savez, cette dégradation aurait été temporaire et exceptionnelle, résultant en grande partie de la transformation du CICE – crédit impôt pour la compétitivité et l'emploi – en baisses de cotisations sociales.
Après le dépôt du projet de loi de finances, des dispositions fiscales et sociales nouvelles de soutien au pouvoir d'achat ont été présentées. Constituées principalement de baisses de prélèvements, elles représentent un montant proche de 11 milliards d'euros. Le Gouvernement a alors annoncé des mesures de compensation, qui contiendraient, selon lui, la hausse du déficit à 3,2 points de PIB. Dans ce scénario, la dette publique française augmenterait toutefois, contrairement à ce que prévoit la loi de programmation des finances publiques que vous avez adoptée au mois de décembre 2017. Voilà pour les faits.
La Cour constate que la prévision de déficit public du Gouvernement, ainsi contenue à 3,2 points de PIB, est soumise à plusieurs incertitudes. J'en citerai trois.
La première tient au fait que le scénario macroéconomique défini en septembre 2018 en loi de finances initiale présente désormais un risque sérieux de ne pas se réaliser. Il table en effet sur une prévision de croissance à 1,7 % pour 2019 alors que, depuis le moment où cette prévision a été élaborée, l'environnement macroéconomique s'est dégradé en Europe et dans le monde. Les dernières prévisions de l'INSEE en témoignent : elles estiment dorénavant pour 2018 la croissance à 1,5 %.
Deuxième incertitude : si une partie des mesures de soutien au pouvoir d'achat annoncées en fin d'année a été votée en loi de finances, la prévision de déficit du Gouvernement n'intègre pas l'impact des dispositions figurant dans la loi portant mesures d'urgence économique et sociale, estimé à 3,7 milliards d'euros. Le Gouvernement s'est toutefois engagé à les compenser intégralement ultérieurement. Cela reste à documenter et à concrétiser.
Enfin, pour que la hausse du déficit ne dépasse pas la cible de 3,2 points de PIB, les objectifs de dépense des administrations publiques votés dans les lois de finances pour 2019 devront être parfaitement tenus, de surcroît dans un contexte de ralentissement économique.
Que retenir au-delà de ces chiffres ? Que les efforts de redressement engagés par la France ces dernières années semblent s'essouffler, que s'agissant de la situation de ses comptes publics, l'écart se creuse entre notre pays et ses partenaires européens, pouvant mettre en jeu sa crédibilité au sein de l'Union européenne, et qu'avec des niveaux d'endettement élevés, notre pays s'expose aux conséquences d'une remontée des taux d'intérêt que nous savons inéluctable – même si elle sera vraisemblablement progressive. Et surtout, la Cour constate que faute d'avoir complètement rétabli la situation de nos finances publiques par le passé, les pouvoirs publics ont aujourd'hui moins de marges de manoeuvre pour soutenir l'activité du pays et protéger nos concitoyens les plus fragiles.
À court terme, la Cour des comptes estime donc indispensable que le Gouvernement vous présente, dès que possible, des projets de loi financière rectificative pour l'État et la sécurité sociale. Ces textes devraient intégrer, de manière sincère et exhaustive, l'ensemble des mesures annoncées par l'exécutif en décembre et les conséquences de l'évolution défavorable de la situation macroéconomique que nous observons depuis l'automne. Le Gouvernement devra aussi actualiser la trajectoire des finances publiques figurant dans la loi de programmation pour 2018 à 2022, promulguée en janvier 2018, certaines de ses dispositions ayant en effet été rendues caduques par les décisions budgétaires prises en fin d'année 2018 et par l'évolution de la conjoncture. À plus long terme, pour retrouver des marges de manoeuvre budgétaires permettant de baisser les prélèvements obligatoires et de réduire sa dette publique, notre pays doit accélérer sa transformation. Ce sera mon deuxième message.
En effet, malgré les constats que je viens de formuler, le propos des juridictions financières ne se veut pas résigné ; il est au contraire volontairement optimiste. Au travers de nos contrôles, nous avons la conviction que la situation dans laquelle se trouve notre pays n'a rien d'inéluctable. J'en veux pour preuve que certains de nos voisins – j'ai cité à titre d'exemple le cas de l'Allemagne – parviennent, eux, à redresser en profondeur leurs comptes publics. Nous savons aussi, et c'est là le coeur de nos travaux, que des marges importantes existent en repensant l'utilité de chaque euro dépensé. Or ces marges sont insuffisamment exploitées. C'est d'ailleurs à cet exercice de ré-interrogation des moyens publics que vous vous êtes livrés l'année passée, mesdames, messieurs les députés, dans le cadre du « printemps de l'évaluation ». La Cour a eu l'honneur d'y contribuer et j'avais salué alors votre ambition de créer un véritable rendez-vous annuel du contrôle des résultats de l'action publique et, plus généralement, de promouvoir la recherche de performance de l'action publique. Les juridictions financières demeureront bien entendu à votre disposition pour renouveler et approfondir cet exercice. Le rapport public annuel présente plusieurs exemples à ce sujet.
Côté dépenses, le rapport explore différentes pistes. S'agissant des pistes de réduction des dépenses, il identifie des possibilités importantes résultant de l'amélioration de la gestion des charges de personnel dans les collectivités publiques. En 2016, par exemple, la masse salariale par habitant de la commune de Bobigny était supérieure de 34 % à celle des villes de taille comparable et, de manière générale, la gestion des ressources humaines de cette collectivité est marquée par des irrégularités signalées à plusieurs reprises par la chambre régionale des comptes d'Île-de-France. Autre exemple cité dans le rapport : dans douze communes défavorisées d'Île-de-France, la durée annuelle légale du temps de travail n'est que rarement respectée, exposant les collectivités concernées à des charges non justifiées qui grèvent les budgets communaux – même si apporter une réponse sur ce point ne suffira bien évidemment pas à répondre à l'ensemble des préoccupations de ces communes.
Mieux dépenser aujourd'hui permet aussi parfois de réduire les charges de demain ; c'est le sens du chapitre consacré à la politique de prévention des infections associées aux soins. Des progrès indéniables ont été progressivement réalisés pour limiter les contagions, mais, à l'hôpital, un patient sur vingt est encore infecté chaque année. Cette situation, outre ses conséquences parfois très graves sur la santé des patients, a aussi des effets financiers, estimés à plusieurs milliards d'euros. Aussi la Cour formule-t-elle des recommandations visant à réorganiser l'action publique dans ce domaine et à responsabiliser davantage les acteurs concernés.
Il revient aussi aux décideurs d'orienter le mieux possible les moyens publics pour maximiser leur efficacité : la politique des lanceurs spatiaux en est une illustration. Cette politique revêt un caractère stratégique pour la France et pour l'Europe. Elle s'appuie sur le lanceur Ariane 6, développé dans le cadre de l'Agence spatiale européenne, à l'initiative de la France. Toutefois, ce lanceur ne constitue pas une réponse suffisante aux défis de la concurrence américaine. La Cour recommande donc, d'une part, que les pouvoirs publics français mobilisent davantage leurs partenaires européens pour rendre Ariane 6 plus compétitive, et, d'autre part, que cette mobilisation serve à financer prioritairement l'innovation technologique au profit des lanceurs et non leur fonctionnement courant.
Dans son rapport, la Cour met aussi en évidence que, dans certains domaines, les dépenses n'ont pas toutes vocation à relever du seul secteur public : c'est l'un des messages de notre chapitre consacré au contrôle de la sécurité sanitaire de l'alimentation. La Cour y recommande notamment une plus grande participation des professionnels du secteur au financement des contrôles effectués par l'administration. En effet, alors qu'en France, leur contribution représente environ 10 % des sources de financement, cette proportion atteint près de 47 % au Danemark. Lorsque les acteurs de la dépense sont multiples, il revient aussi aux pouvoirs publics de les fédérer autour d'un modèle économique clair et solide : c'est la recommandation que nous faisons s'agissant de la filière thermale, développée notamment dans la région Occitanie.
Dans certains cas, ce sont les conditions d'exécution des dépenses publiques qui conduisent à en interroger le principe même, qu'il s'agisse du Mobilier national ou des manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie. Dans le chapitre qui leur est consacré, la Cour met en évidence des défaillances de gestion inacceptables au sein de ces structures. L'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes – l'AFPA – fait l'objet de critiques du même ordre, elle qui a accumulé, entre 2013 et 2017, près de 508 millions d'euros de pertes d'exploitation. Les pouvoirs publics gagneraient, dès lors, soit à accompagner une réorganisation de grande ampleur de l'association, soit à envisager la reprise de ses activités par d'autres entités.
Côté recettes, la Cour identifie également des marges de progrès. L'une d'entre elles concerne la lutte contre toutes les formes de fraude sociale et fiscale. La fraude au travail détaché fait par exemple l'objet d'un chapitre spécifique : il révèle que si l'arsenal juridique français est aujourd'hui suffisant, notre pays a tardé à le mettre en place pour faire face aux différents types de fraude, parfois très sophistiqués.
La Cour recommande également qu'une meilleure utilisation soit faite des outils existants, tant sur le volet des contrôles que sur celui des sanctions.
Enfin, il s'agit de faire le meilleur usage des fonds dont bénéficient les projets publics : c'est le sens des recommandations formulées s'agissant de la gestion des fonds européens structurels et d'investissement en outre-mer. La Cour chiffre ainsi à 4,8 milliards d'euros le montant reçu de l'Union européenne par la France pour la période 2014-2020, et en contrôlant les plus gros projets financés, elle a constaté de belles réussites, identifiées dans le rapport, mais déploré des difficultés de gestion qui ont conduit au gaspillage d'une partie de cette ressource.
Voilà pour quelques exemples et quelques pistes de réflexion ouvertes par ce rapport. Ils s'ajoutent aux recommandations formulées chaque année par les autres juridictions financières dans leurs travaux. Vous en avez conscience, et nous aussi : aucune d'entre elles ne constitue évidemment à elle seule une recette miracle, susceptible de dégager des milliards d'euros d'économies. Mais les petits ruisseaux peuvent former les grandes rivières, …