Intervention de Éric Woerth

Séance en hémicycle du mercredi 6 février 2019 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Il y a tout juste un an, à l'occasion du même exercice, j'aspirais à une refonte complète de la procédure budgétaire, afin, notamment, de donner toute sa place à la loi de règlement et au débat d'orientation des finances publiques. Il nous fallait, à tout prix, rehausser le niveau du débat public sur l'évaluation des politiques publiques, en lui accordant un temps et des moyens dédiés.

Comme vous l'avez indiqué, monsieur le premier président, nous avons réussi, dès l'année dernière, à instaurer les bases d'un véritable semestre français de la politique budgétaire. Je tiens, aujourd'hui, à saluer la contribution essentielle apportée par la Cour des comptes, dont nous apprécions tous l'indépendance et la recherche permanente de l'intérêt général, à ce « printemps de l'évaluation », sous la forme d'auditions ou d'autres travaux – je citerai en particulier le rapport sur l'exécution du budget de l'État, celui sur les finances publiques locales, ainsi que celui sur la situation et les perspectives des finances publiques.

Nous avons par ailleurs instauré un nouveau temps fort avec l'intervention du premier président en séance publique. En outre, à la lumière des notes d'exécution budgétaire, les rapporteurs spéciaux peuvent désormais parfaire leur travail d'évaluation et de contrôle en auditionnant les magistrats de la Cour.

Plus généralement, l'attention des rapporteurs spéciaux a été systématiquement appelée sur la nécessité de recenser et de mobiliser, dans le cadre du printemps de l'évaluation, tous les travaux de votre institution. Nous avons ainsi adressé à la Cour cinq demandes d'enquêtes au titre du 2° de l'article 58 de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances. Nous avons été destinataires de trente référés, de dix-sept relevés d'observations définitives et de six rapports thématiques. Les rapporteurs spéciaux, ici présents, peuvent témoigner de la qualité et de l'intérêt de l'ensemble de ces travaux.

Dans le rapport public annuel 2019 de la Cour, le cas du pilotage déficient et de la gestion défaillante de l'AFPA – un sujet de surcroît récurrent – constitue un exemple concret de travaux dont les rapporteurs spéciaux doivent à tout prix se saisir. Une restructuration de grande ampleur de l'AFPA, notamment pour en réduire les coûts de structure, doit être considérée, notamment à la lumière de la récente réforme de la formation professionnelle.

Je m'exprimerai plus longuement sur la situation des finances publiques, un sujet sur lequel la Cour a toujours fait part d'un diagnostic très juste, et souvent sévère. Cette année, vous tirez la sonnette d'alarme pour que le train infernal de la dépense et du déficit publics s'arrête enfin. Nous sommes en effet dans une situation d'extrême fragilité : la France se trouve nue face au moindre coup de vent. Et si nous sommes vulnérables, c'est parce que nous n'avons pas su nous réformer. En l'état actuel, si une nouvelle crise économique éclatait, nous serions incapables d'y faire face. Nous avons utilisé toutes nos marges de manoeuvre, mais pas pour nous réformer. Cela est d'autant plus incompréhensible que nous connaissons une période de croissance depuis 2017.

Nos finances publiques se dégradent, notre croissance ralentit et notre dette galope. La crédibilité de la France est remise en cause ! Les réformes structurelles se font attendre. Ainsi, on n'aura jamais mis autant de temps pour réaliser – si elle se réalise – une nouvelle réforme des retraites.

Pendant ce temps-là, le déficit public s'établirait en 2018 à 2,7 % du PIB, c'est-à-dire au même niveau qu'en 2017. Pour la première fois depuis 2009, il ne diminuera donc pas, alors même que nous ne traversons aucune crise économique. Le déficit public va même repasser au-dessus de la barre des 3 % du PIB en 2019.

Initialement, le projet de loi de finances pour 2019 prévoyait que le déficit public augmenterait cette même année pour atteindre les 2,8 % du PIB – en raison de la transformation du CICE en baisses de charges à un niveau équivalent à environ 0,9 point de PIB. Mais le gouvernement a décidé, en décembre dernier, de répondre à la colère sociale en injectant 11 milliards d'euros en faveur du pouvoir d'achat. Évidemment, toutes ces mesures nouvelles vont lourdement dégrader le solde de cette année, le faisant se hausser en réalité à 3,4 % de PIB, alors que les comptes affichent 3,2 %.

Respecter ce dernier objectif nécessite que les intentions du Gouvernement soient précisées. Tout d'abord, 3,7 milliards de mesures nouvelles d'économies et de recettes supplémentaires – la taxe sur les GAFA, le report éventuel de la baisse de l'impôt sur les sociétés et 1,5 milliard d'économies en gestion sur les dépenses de l'État – n'ont pas été intégrées à la loi de finances, alors qu'elles doivent nous permettre justement de ramener le déficit à 3,2 %. Autant dire que ce chiffre est totalement hypothétique !

Ensuite, la trajectoire des finances publiques retenue dans la loi de finances pour 2019 ne tient pas compte de la dégradation de la conjoncture. Comme vous l'avez très bien indiqué, monsieur le premier président, la croissance mondiale ralentit, de même que la croissance européenne, y compris en Allemagne ; la croissance française va donc ralentir également. Dans ce contexte fortement incertain, la prudence devrait donc être de mise. Pourtant, le gouvernement se fonde toujours sur une hypothèse de croissance de 1,7 % en 2019, alors que la Banque de France et l'INSEE prévoient, tous les deux, un taux de croissance de 1,5 %. La Cour pointe d'ailleurs « le risque très sérieux » d'une croissance inférieure aux prévisions du Gouvernement.

Or la croissance est cruciale pour atteindre l'équilibre de nos finances publiques, puisque 0,2 point de croissance en moins implique une baisse de 2 milliards des recettes fiscales. Nous l'avions dit il y a deux ans, à la majorité comme au Gouvernement : par beau temps, il convient de réformer vraiment. Et constatons-nous aujourd'hui ? En France, le cycle d'une croissance au-delà de 2 % a été très court, exactement comme nous le redoutions.

Depuis le début du quinquennat, nous avons sans cesse préconisé de réduire le déséquilibre structurel de nos finances publiques, comme l'on fait certains pays de la zone euro. Pour respecter les règles européennes, nous devrions améliorer notre solde structurel de 0,5 point, jusqu'à atteindre un niveau de déficit public équivalent à 0,4 % du PIB. Autant dire qu'avec un déficit structurel estimé à 2,3 % en 2018, et à défaut de la moindre perspective d'amélioration en 2019, un tel objectif est repoussé aux calendes grecques ! Cela est particulièrement inquiétant, alors que la « moitié des pays de la zone euro y sont déjà parvenus », selon les termes de votre rapport, monsieur le premier président.

En matière de dette publique, la situation est particulièrement alarmante. En 2018, celle-ci a encore progressé pour atteindre 98,7 % du PIB, à savoir 40 points de plus que l'Allemagne ! La France est l'un des pays les plus endettés d'Europe, derrière la Grèce, l'Italie, le Portugal et la Belgique. Comme le démontre la Cour, l'État ne s'applique pas à lui-même le régime qu'il impose aux collectivités locales et à la sécurité sociale : il est en effet responsable des trois quarts de la dette publique ! Et la dette va continuer à progresser en 2019, car le Gouvernement a prévu de financer ses mesures en faveur du pouvoir d'achat à 60 % par l'endettement !

Pour résumer, le déficit de l'État va dépasser les 100 milliards d'euros ; la barre des 1000 milliards de prélèvements obligatoires a été franchie ; la France a quasiment atteint un niveau de dette publique correspondant à 100 % du PIB. C'est un tiercé « 100 % perdant », qui empêche la consommation et l'investissement, et freine par conséquent le pouvoir d'achat ! La cerise sur le gâteau est que la Sécurité sociale n'aura été en équilibre que l'espace d'un instant si l'État ne compense pas les pertes de recettes sociales qu'il lui fait subir.

Ce rapport de la Cour des Comptes devrait constituer un électrochoc pour le Gouvernement. J'appelle celui-ci à présenter très rapidement un projet de loi de finances rectificative et un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, au risque de vivre dans l'insincérité budgétaire. La loi de finances votée en décembre 2018 ne correspond pas à la réalité. Nous devons très vite corriger le tir en prenant en compte l'évolution des facteurs macroéconomiques et en faisant preuve de prudence.

Dans cet environnement de plus en plus instable, nos résultats sont mauvais en comparaison de nos voisins européens. Nous accumulons les plans d'urgence et les plans de crise sans jamais rien résoudre. Mais, en vérité, le plus dur reste à faire. La colère des Français s'est exprimée alors que nous n'étions même pas entrés dans le dur ! La France est politiquement fatiguée avant même d'avoir produit les efforts nécessaires. Cette situation est évidemment particulièrement préoccupante. Le Gouvernement ne peut pas continuer à faire du redressement de nos finances publiques un sujet secondaire. En effet, 80 % de notre déficit est structurel : il est donc nécessaire de s'y attaquer dès maintenant. Que de temps perdu, alors même que le groupe Les Républicains n'a cessé de vous mettre en garde !

La situation alarmante dans laquelle nous nous trouvons n'est pas une question d'héritage, mais relève de la responsabilité propre de ce gouvernement. Plutôt que de participer au concours Lépine de la fiscalité en alignant presque tous les jours des propositions anecdotiques, la France doit s'atteler à la baisse de la dépense publique. Or, aujourd'hui, la réforme de l'État n'est plus une priorité !

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