Intervention de Géraldine Bannier

Séance en hémicycle du mercredi 6 février 2019 à 15h00
Débat sur l'école dans la société du numérique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGéraldine Bannier :

La mutation numérique, à la fois globale et ultrarapide, et qui est à l'origine de modifications touchant à toutes les dimensions, intimes ou professionnelles, de nos existences, est un choc historique comparable à ce que furent l'apparition de l'écriture ou l'invention de l'imprimerie : nombreux sont les philosophes, les intellectuels, les scientifiques, les économistes et les politiques à l'avoir souligné.

Or il n'est pas de révolution de ce type qui n'entraîne l'adaptation de l'humanité, elle-même redéfinie par celle-là, ni l'apparition d'interrogations éthiques incontournables.

À l'école – je l'ai vécu – , l'accès à l'information se trouvant démultiplié, c'est la position même de l'enseignant qui se trouve modifiée. Il n'est en effet plus le seul sachant face à l'élève – lequel trouve, via le web, d'autres sources infinies d'information – mais doit guider ce dernier à travers une masse nouvelle et vertigineuse de données qui toutes doivent être vérifiées et requièrent donc de la vigilance. En effet, l'humanité n'ayant su créer d'emblée un outil éthique, tout s'y trouve : dérives pédopornographiques, appels du pied terroristes et sectaires, contre-vérités les plus grossières.

L'enfermement des individus dans la sphère de leurs convictions préétablies est un autre risque. C'est là que la maîtrise des savoirs fondamentaux, parmi lesquels la lecture, s'avère donc plus que jamais un enjeu crucial : on a beau se trouver devant un écran, la lecture n'en reste pas moins indispensable et l'exercice de l'esprit critique, fondamental. Nul ne doit l'oublier.

On doit aussi prudence garder devant les conséquences d'une exposition à l'écran qui pourrait se révéler délétère à l'avenir – du fait des impacts désormais connus sur la vue, le sommeil et la résistance à l'anxiété – , d'autant que les jeunes gens font déjà du numérique une utilisation immodérée, de l'ordre de trois heures trente par jour en dehors des cours.

Par ailleurs, quel intérêt y a-t-il à généraliser, partout et tout le temps, l'usage de la tablette ? Je me souviens que l'on nous avait présenté comme une bonne idée pédagogique d'en équiper les participants à des sorties scolaires : mais ce que l'on remarquait d'emblée, dans la vidéo accompagnant cette initiative, c'est que les élèves, qui avaient les yeux rivés à leurs tablettes, en oubliaient de profiter du paysage !

Comment ne pas également questionner l'impact écologique des nouvelles technologies, qui, énergivores et consommatrices de matières premières, ne répondent pas encore tout à fait aux principes de l'économie circulaire alors que le papier a su, a contrario, prendre un tel virage ?

Bien sûr, le numérique reste malgré tout, au sein de nos écoles, un vecteur de progrès. Il apporte, via l'outil informatique, une aide précieuse aux élèves faisant face à des difficultés cognitives telles que la dyslexie ou la dyspraxie. Il favorise l'égal accès aux métiers et aux filières. Il permet à tout un chacun d'accéder aux bibliothèques, aux cours d'établissements prestigieux comme aux oeuvres d'art du monde entier. En outre, pour peu que les politiques publiques atteignent leurs objectifs en matière d'accès au très haut débit et de réduction de la fracture numérique, il peut, à terme, contribuer à atténuer les inégalités entre territoires.

La France a compris depuis longtemps l'enjeu fondamental attaché à cette révolution : j'en veux pour preuve le lancement en mai 2015 de son plan numérique pour l'éducation qui a notamment pour ambition de former les élèves à l'ère du numérique et de les préparer aux emplois digitaux de demain.

Il reviendra à tous les acteurs de la sphère éducative, qu'ils oeuvrent à l'école ou dans le périscolaire, mais aussi aux acteurs de l'audiovisuel comme aux géants du numérique eux-mêmes, de faire preuve de responsabilité, de s'emparer du sujet et de montrer aux enfants, comme à l'ensemble de la population, la voie de la bonne utilisation de l'outil numérique.

Le débat de ce jour nous donne l'occasion de le rappeler : il ne s'agit pas de subir passivement la transformation en cours mais bien de reprendre la main et d'en tirer le meilleur.

Le progrès technologique n'implique pas toujours un progrès moral : dans son éditorial du journal Combat du 8 août 1945, Albert Camus mettait en évidence la façon dont les sociétés humaines l'avaient appris. Rappelons à cet égard que la mutation numérique doit servir l'humanité, et non exclure ceux qui n'arriveraient pas à suivre – ceux qui, dans l'immédiat, sont parfaitement étrangers aux concepts de numérique et d'intelligence artificielle, lesquels font parfois l'objet de fantasmes alors qu'il ne s'agit que de créations humaines s'inscrivant dans un continuum.

La mutation numérique ne doit pas aboutir à une forme de déshumanisation : elle doit bien au contraire réhumaniser notre monde. C'est bien là le premier message qu'il s'agira de faire passer aux élèves.

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