Intervention de Bastien Lachaud

Séance en hémicycle du mercredi 6 février 2019 à 15h00
Débat sur l'école dans la société du numérique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud :

La société se numérise de plus en plus, l'école également. On serait tenté d'y voir un progrès louable des techniques, mais la numérisation à outrance ajoute la fracture numérique à la fracture sociale, isole les individus, déshumanise les rapports avec les services publics. Parmi ces derniers, certains n'apparaissent plus que sous la forme de sites internet ; ils ne disposent même plus de guichets. Beau symbole de la société pseudo-moderne !

Alors que la numérisation de la société est bien avancée, l'apprentissage du numérique est à peine balbutiant. Il n'existe toujours pas de CAPES ou d'agrégation d'informatique pour former les enseignants chargés d'apprendre aux élèves comment se servir de ces outils. Des modules d'informatique existent au cours de la scolarité, mais il n'y a pas de véritable filière de formation. Pourtant, l'intérêt des élèves pour cette matière et les débouchés professionnels sont considérables.

J'ai rendu en juillet dernier, avec ma collègue Alexandra Valetta-Ardisson, un rapport d'information qui préconisait la création d'une filière de formation et de scolarité dédiée au numérique. Notre rapport portait plus particulièrement sur la cyberdéfense, mais il est rapidement apparu que, sans une formation générale de la population aux outils numériques, notre pays risquait de devenir de plus en plus vulnérable à mesure qu'il se numérise et que nos outils s'interconnectent. Il est urgent de mettre en place cette filière pour rattraper notre retard en la matière. Nous devons aborder les outils numériques sans naïveté, en ayant en tête non seulement les avantages qu'ils peuvent offrir, mais aussi leur coût social et écologique et leurs risques intrinsèques.

En effet, le numérique peut constituer, si l'on n'y prend garde, une porte d'entrée pour toutes sortes d'attaques contre des intérêts vitaux, des collectivités territoriales, des entreprises, petites ou grandes, et des particuliers en si grand nombre que l'organisation de notre pays en serait menacée. La maîtrise du numérique est un enjeu de souveraineté nationale qui passe par une action forte de l'État, ainsi que par une élévation générale du niveau de connaissances de la population en matière numérique. Une meilleure connaissance du numérique permettrait en outre de rompre notre dépendance néfaste aux géants du numériques, les trop fameux GAFAM, multinationales sans foi ni loi, adeptes de l'évasion fiscale et du pillage des données personnelles.

Quels moyens donnera-t-on à l'éducation nationale pour une véritable formation au numérique ? Va-t-on enfin dénoncer les contrats qui lient l'éducation nationale au groupe Microsoft et emprisonnent les jeunes esprits ainsi formés à des logiciels payants dans le but avoué d'en faire, plus tard, des clients ? L'éducation au numérique ne doit pas se limiter à l'invention de cours en ligne, dits MOOCS – Massive Online Open Courses –, qui sont autant de prétextes pour limiter les enseignements « en présentiel », comme on dit.

Il y a plus grave encore : le Gouvernement laisse la porte ouverte au fichage généralisé de nos enfants, sous prétexte de sécurité. On apprend qu'une expérimentation de reconnaissance faciale pourrait être menée dans deux lycées, à Nice et à Marseille, pour vérifier l'identité des élèves à l'entrée, en scannant leur visage. Les autorités se veulent rassurantes : seuls les élèves volontaires seront concernés. Quelle hypocrisie ! On sait parfaitement qu'une expérimentation a vocation à être généralisée et que bientôt les élèves n'auront plus le choix de refuser ou seront soumis à des contraintes dissuasives. Déjà, nous avons trop vite accepté l'utilisation des données biométriques pour entrer dans les cantines scolaires, alors que c'est dangereux et inutile. Est-ce une façon de pallier le manque de personnel éducatif, en confiant la surveillance à des machines ? Oui, le responsable du projet l'avoue : il s'agit de dégager du temps pour les surveillants et de pallier leur nombre insuffisant. Comme si l'accueil des élèves dans un établissement n'était pas un moment crucial dans l'instauration d'une relation pédagogique réelle et saine !

Vous qui prétendez restaurer l'autorité, c'est par la présence humaine et physique qu'une relation d'autorité se construit, non avec des machines. Est-ce là la nouvelle et moderne conception de l'éducation ? Est-ce cette société-là que nous voulons pour nos enfants ? Je vous alerte sur cette dérive sécuritaire qui cherche à nous habituer tous, dès le plus jeune âge, à être en permanence scrutés, enregistrés, suspectés, fichés, et à voir nos données biométriques et personnelles décortiquées.

Cette dérive sécuritaire de la société et du pouvoir est dangereuse pour les libertés publiques et la vie privée. Pire : c'est le géant américain Cisco qui propose ce dispositif. Cela veut dire que les données des élèves seront stockées sur des serveurs de droit états-unien. Je vous rappelle la politique extrêmement agressive des États-Unis s'agissant de l'application de leur droit à l'international : ce pays considère que son droit est extraterritorial et que toute donnée stockée sur un serveur relevant de ce droit, même s'il est situé en France, est sous leur juridiction. Cela signifie qu'en cas de demande d'un service états-unien quelconque, n'importe quelle donnée de nos enfants lui sera livrée. En Chine, les reconnaissances faciales sont déjà monnaie courante. Est-ce cela, notre modèle de société ?

Je vous alerte sur la collecte de données des élèves, leur usage possible et leur sécurité. Les données scolaires de nos enfants sont stockées on ne sait où, probablement sur les serveurs d'Amazon ou ailleurs. Il faut impérativement les sécuriser, les protéger contre les attaques des hackers et de toute personne cherchant à les obtenir à des fins soit publicitaires, soit malveillantes. Les données des élèves doivent être stockées en France et sur des serveurs de droit français.

Pour conclure, la société du numérique ne doit pas devenir la société du tout-numérique, déshumanisé et malsain. Certes, il faut apprendre comment se servir de ces outils, mais il faut aussi en apprendre les dangers, les revers, comment s'en prémunir et, surtout, inscrire cela dans le cadre de la transition écologique.

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