Intervention de Gabriel Serville

Séance en hémicycle du jeudi 7 février 2019 à 9h30
Débat sur la montagne d'or — Débat

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGabriel Serville :

Nous sommes dans cet hémicycle pour débattre du projet de mégamine Montagne d'or. À ce jour, c'est le plus gros projet aurifère jamais porté sur le territoire national. Loin de ne concerner que la Guyane, il pose la question de l'acceptabilité sociale, environnementale et économique des grands projets miniers, à l'heure où l'accord de Paris subit des attaques de toutes parts, tandis que le Président de la République s'est engagé à faire de la France un leader de la lutte contre le réchauffement climatique.

Car, au-delà du seul projet Montagne d'or, c'est bien la vision du développement de nos territoires et la transcription dans les faits et dans les actes de nos engagements en matière de transition écologique et solidaire qui doivent nous poser question.

En réalité, derrière le nom évocateur et enchanteur de la Montagne d'or se cache une montagne de superlatifs pour un projet mal encastré entre deux réserves biologiques intégrales abritant plus de 2 000 espèces animales et végétales, dont 120 espèces protégées.

Cette Montagne d'or sera en fait un gigantesque trou. Jugez par vous-mêmes : 2 500 mètres de long, 500 mètres de large et 400 mètres de profondeur, soit l'équivalent de trente-deux stades de France ! Quotidiennement, de cette fosse, seront extraites 80 000 tonnes de débris de roches arrachées des entrailles de la terre à l'aide de 18 tonnes d'explosifs et traitées avec 10 tonnes de cyanure.

En matière de fiscalité, à n'en point douter, cette montagne accouchera d'une souris : des 54 millions de tonnes de minerais extraits en douze ans ne seront récupérées que 85 tonnes d'or, dégageant certes un chiffre d'affaire avoisinant les 12 milliards d'euros, mais qui ne laissera ruisseler vers les collectivités de Guyane que 5 petits millions d'euros par an, en raison d'une fiscalité totalement inadaptée.

Ces 5 millions d'euros par an, c'est la petite sucette que font miroiter des investisseurs prédateurs à une Guyane étouffée par des finances locales exsangues qui ne permettent plus de faire face aux conséquences de l'explosion démographique du territoire et des carences de l'État. Quant aux 750 équivalents temps plein promis, ils ne seront qu'un nouveau mirage dressé devant certains jeunes qui désespèrent de trouver un emploi et auxquels on fait miroiter des débouchés, alors que la réalité démontre la précarité et l'extrême pénibilité de 85 % des emplois de la filière.

Permettez-moi, à ce stade de mon propos, d'exprimer une pensée pour les 134 personnes décédées et 200 disparues – en grande majorité des ouvriers miniers – dans la catastrophe de Brumadinho, qui ne finit pas d'endeuiller notre voisin brésilien. Quatre ans plus tôt, à quelques kilomètres de là, une autre rupture de digue avait coûté la vie à dix-neuf personnes et pollué, pour plus de trente ans, des centaines de kilomètres de rivières, affectant durablement la vie des peuples autochtones.

C'est ainsi que les communautés autochtones de Guyane, par la voie du grand conseil coutumier et de leurs organisations représentatives, ont exprimé leur refus massif du projet, au point que le comité pour l'élimination des discriminations raciales de l'ONU somme la France de mener une véritable consultation de ces populations, en parfaite conformité avec le droit international en la matière, ce qui ne semble pas avoir été le cas du débat organisé sous l'autorité de la commission nationale du débat public – CNDP.

Ce débat public a révélé une forte et incontestable opposition des Guyanais au projet, puisque 86 % des participants s'inquiètent de son impact environnemental et 55 % pensent que ses retombées sociales et économiques seront insignifiantes. Ce refus massif se retrouve également dans le dernier sondage IFOP, qui montre que 69 % des Guyanais sont opposés au projet, 81 % d'entre eux considérant qu'il présente un risque important pour l'environnement.

Par ailleurs, deux pétitions d'opposition au projet rassemblent à ce jour 384 000 signatures pour l'une et 114 000 pour l'autre. En tout, ce sont plus d'une centaine d'organisations locales qui se sont engagées contre ce projet qu'elles considèrent néfaste pour la Guyane et les Guyanais.

Des inquiétudes ? Nous n'en avons que trop, monsieur le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire : du fait de l'ouverture et de la profondeur de la mine, qui entraînent des risques de pollution comme le perçage de nappes phréatiques et le drainage minier acide ; du fait également de la forte pluviométrie locale, qui rend difficilement maîtrisable le risque de ruissellement de métaux lourds, comme l'a souligné le dernier rapport de l'INERIS – Institut national de l'environnement industriel et des risques. Or, à l'heure actuelle, le porteur du projet n'a fourni aucun élément concret d'évaluation de ces risques.

Les menaces sont aussi inhérentes à la fiabilité du stockage des boues issues de la cyanuration, puisque des millions de tonnes de roches broyées et cyanurées seront stockées sous forme de boues dans des parcs à résidus, qui devront résister dans le temps et l'espace. Le risque de pollution de l'environnement est grand, puisque, deux à trois fois par an, des barrages miniers cèdent sous la pression des sédiments qu'ils stockent. C'est ce qui s'est passé au Brésil la semaine dernière et surtout à Omai, au Guyana, en 1995, l'une des plus grandes mines d'or du monde, où le déversement de 4,2 millions de mètres cubes d'eau cyanurée dans la rivière Essequibo a empoisonné 25 000 personnes.

L'opérateur de cette mine, le Canadien Cambior, est le même que celui qui portait le projet de première mine industrielle en Guyane, mis à l'arrêt en 2007 par Nicolas Sarkozy après une très forte mobilisation de la population et contre l'avis des élus locaux, en raison des « insuffisances montrées par le projet au sujet de l'impact sur la faune et la flore ainsi que sur les conditions dans lesquelles les eaux contaminées par le cyanure seront rejetées dans la nature ».

Il faut savoir que le cyanure est un poison extrêmement dangereux, à toutes les étapes de son utilisation. Or le porteur du projet s'entête à l'utiliser, car il est toujours à la recherche de profits maxima, alors qu'il existe des alternatives, certes moins rentables mais surtout moins dangereuses.

Le cyanure est à l'origine de la pire catastrophe écologique d'Europe depuis Tchernobyl, le 30 janvier 2000, en Roumanie, où 100 000 mètres cubes d'eau cyanurée et chargée en métaux lourds ont pollué fleuves et rivières sur des centaines de kilomètres. Le cyanure, avec l'arsenic, empoisonne également la vie des riverains de la mine de Salsigne, dans l'Aude, site le plus pollué de France.

Ce poison présente de tels dangers qu'en 2017 le Parlement européen, à une écrasante majorité de 566 voix, contre 8, a voté l'interdiction de son utilisation dans les mines. Cette interdiction est désormais effective non seulement dans plusieurs pays européens, mais également dans certains États américains. En outre, monsieur le ministre d'État, Mme Ségolène Royal, votre prédécesseur, s'était prononcée en 2016 en faveur d'un moratoire contre le cyanure. Son voeu ne s'est malheureusement jamais réalisé, certainement à cause des lobbies, tant décriés ces dernières semaines par Nicolas Hulot.

C'est pourquoi, en responsabilité, j'ai déposé, avec quatre-vingt-trois collègues siégeant sur tous les bancs de cette assemblée, dont vingt-quatre des vingt-sept élus ultramarins, une proposition de résolution qui appelle la France à être à la hauteur sur le sujet, en interdisant le cyanure dans les mines. Je tiens ici à leur présenter mes très sincères remerciements.

Il convient aussi de ne pas reproduire les erreurs dévastatrices liées au chlordécone aux Antilles et au mercure en Guyane, contre lequel j'invite le Gouvernement à livrer un guerre sans merci – car les opérations Harpie ont vraiment montré leurs limites.

C'est pourquoi, monsieur le ministre d'État, au nom d'une écrasante majorité de Guyanais, au nom des centaines de milliers de signataires des différentes pétitions, au nom des quatre-vingt-trois députés signataires de la proposition de résolution, ainsi qu'au nom de tous ceux qui m'ont témoigné leur soutien en dépit des pressions subies, je vous demande solennellement de renoncer au projet minier de la Montagne d'or.

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