Nous sommes donc contraints d'apprécier les enjeux à partir des déclarations d'intention du porteur de projet, lequel, c'est une évidence, est inédit par son ampleur en Guyane – il est d'autres exploitations aurifères dans le monde beaucoup plus importantes. Il s'agit en effet d'un projet de mine d'or industrielle, à ciel ouvert, d'une surface d'environ 800 hectares. À ce propos, j'invite les orateurs à éviter des comparaisons un peu faciles : j'ai fini moi-même par m'y perdre, entre le Stade de France et la Tour Eiffel ! Certes, elles frappent les esprits mais je vous donnerai des chiffres encore plus parlants. Gardons le sens de la mesure !
Ce site de 800 hectares est situé entre deux massifs d'une biodiversité exceptionnelle, en Guyane et donc en France, et qui sont classés en réserve biologique intégrale. Il abrite des centaines d'espèces animales et végétales, dont certaines sont protégées, et les enjeux de conservation sont incontestablement considérables. Il abrite également des ressources en eau, dont deux sont rapportées au titre de la directive cadre sur la protection de la ressource en eau.
Les enjeux sont majeurs en termes de gestion des risques industriels, dont deux retiennent particulièrement mon attention : le risque de drainage minier acide et le risque de rupture de digue d'un bassin à résidus – certains d'entre vous l'ont rappelé, l'accident dramatique qui vient d'avoir lieu au Brésil montre qu'un tel risque est bien réel et doit être pris très au sérieux : il ne s'agit ni de fantasmes, ni d'un risque infinitésimal. Le risque de rupture de digue est extrêmement important.
Notre droit prévoit un certain nombre de mesures quant à l'ensemble de ces impacts, sur lesquelles je considère qu'il faudra revenir. La logique de la protection de la biodiversité a été définie dans la loi en 2016 : « éviter, réduire, compenser », pour garantir la meilleure protection. Qu'il s'agisse de risques ou de biodiversité, je sais d'expérience que la prise en compte des enjeux nécessite une vigilance absolue du ministre responsable de ces questions, en l'occurrence moi-même aujourd'hui. Je ferai donc preuve d'une vigilance absolue sur ce plan-là et je ne céderai pas, ce doit être très clair. Ce ne sont pas là des choses que l'on peut balayer d'un revers de la main et ce Gouvernement, c'est très clair, ne procède pas ainsi.
Ce projet recouvre aussi des enjeux importants pour le territoire guyanais sur le plan économique et social. Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des défis auxquels la Guyane est confrontée, chacun les a bien à l'esprit : forte croissance démographique, en raison d'une natalité importante et d'une immigration parfois non régulée et clandestine, formation, emploi, niveau de chômage, développement économique, sécurité. Tous ces défis sont extrêmement importants et l'exploitation de l'or, artisanale – légale ou illégale – ou industrielle, s'inscrit parmi eux, nul ne peut le nier.
Ces défis, par ailleurs, doivent être appréhendés de manière transversale. Le rapport commandé par l'association WWF au cabinet Deloitte, sur lequel j'ai déjà eu l'occasion de me pencher, apporte un éclairage intéressant.
L'activité minière, je l'ai dit, fait partie du paysage économique local depuis très longtemps, si ce n'est depuis toujours. Nous ne pouvons ignorer cette composante, non plus que, là encore, la balayer d'un revers de la main. Je crois pouvoir dire – mais peut-être qu'une voix s'élèvera pour démentir, parmi les responsables politiques locaux et nationaux de cette assemblée – que personne n'appelle à l'interdiction totale de toute exploitation de l'or, malgré les problèmes environnementaux qu'elle pose. J'ai entendu quelques associations aller jusque-là, et encore… Je crois donc qu'il relève de notre responsabilité collective de créer et d'adopter un cadre clair, sécurisant, sur cette question sensible et particulière. C'est donc la question du code minier, que je souhaite réformer, qui est posée.
Aujourd'hui, du point de vue économique et social, vous le savez sans doute, la compagnie Montagne d'or estime que le projet permettrait de créer 750 emplois directs, dont 90 % seraient occupés par des travailleurs locaux. C'est aussi un sujet de débat, notamment soulevé par des associations. À ce stade, il est difficile de valider ou d'invalider ce chiffre mais le rapport d'inspection commandé par trois ministères – le ministère de la transition écologique et solidaire, le ministère de l'économie et des finances et le ministère de l'outre-mer – sera bientôt rendu. À l'époque, je n'étais pas ministre mais la continuité des travaux est là et je gage que ce rapport permettra d'éclairer aussi ce point puisqu'il s'agit d'un regard extérieur, pas de celui du porteur de projet.
Enfin, il faut bien le dire, ce projet est singulier en raison de la contestation et des tensions qu'il a suscitées localement, mais aussi nationalement, en raison de sa dimension symbolique. Le débat public qui a eu lieu au printemps 2018 a été extrêmement tendu et a soulevé de très nombreuses questions fondamentales, tant sur le plan environnemental que sur l'acceptabilité par les populations locales.
Les élus de la collectivité guyanaise ont également pris position. Ils semblent très majoritairement favorables au projet mais ont eux aussi demandé des garanties quant à la sécurité et à l'environnement. Quelques élus ont également fait part de leurs réserves ou de leur franche opposition – j'ai bien entendu les propos du député Serville tout à l'heure, nous en avons d'ailleurs déjà discuté ensemble – mais également des communautés autochtones et des associations locales ou nationales.
Malgré ces nombreuses questions et contestations, la compagnie Montagne d'or a confirmé le 26 novembre dernier son intention de poursuivre son projet, en y apportant des modifications sur lesquelles, à ce stade, nous ne disposons pas d'autres précisions qu'une plaquette affichant de simples intentions.
Il nous revient donc d'appréhender ce projet dans toutes ces dimensions et je propose de fixer un cadre, une méthode et un calendrier.
Le cadre a été esquissé par le Président de la République, lequel s'est exprimé sur ce projet à trois reprises depuis sa prise de fonction : lors de son déplacement en Guyane, lors des assises de l'outre-mer et, plus récemment, à l'occasion de la rencontre avec les élus ultramarins dans le cadre du grand débat national, la semaine dernière, à l'Élysée. Le Président a dit les choses clairement. Le projet sera soumis à trois critères : exemplarité environnementale, acceptabilité démocratique et retombées économiques et sociales pour le territoire.
En l'état, comme le Président l'a dit vendredi dernier, le projet n'est « pas au niveau » – je pourrais développer son propos, mais c'est là je crois un bon résumé. Les démarches que j'ai quant à moi entreprises m'amènent à dire exactement la même chose : ce projet n'est pas au niveau, en particulier quant à l'exemplarité environnementale. Ce qu'il en est de l'acceptabilité et des retombées est évidemment sujet à débat et à questionnements.
La méthode, à laquelle je suis particulièrement attaché, est celle du dialogue avec les acteurs du territoire pour définir une position éclairée à partir de l'ensemble des expertises produites. Depuis le mois de septembre, j'ai non seulement pris connaissance des conclusions du rapport remis par la commission nationale du débat public, mais aussi reçu individuellement le président de la collectivité territoriale de Guyane, les quatre parlementaires guyanais, députés et sénateurs, ainsi que les associations locales et nationales opposées au projet et le préfet de Guyane afin que chacun me donne son point de vue et me fasse part de ses arguments.
Dans les jours à venir, un rapport conjoint d'inspection sera rendu, je l'ai dit, concernant l'activité aurifère, ses impacts environnementaux et ses retombées économiques.
Enfin, je me rendrai prochainement en Guyane pour constater sur le terrain les enjeux, les attentes, les réserves, les oppositions bien sûr, et rencontrer un certain nombre d'acteurs que je n'ai pas pu voir à Paris, notamment le grand conseil coutumier.
Au terme de ce déplacement, à l'horizon de ce semestre, je serai amené à prendre position au nom du Gouvernement. Je le ferai en tant que ministre de l'écologie, garant de l'exigence et de la sécurité environnementales, et en tant que membre du Gouvernement garant du respect du territoire, de ses habitants et de ses élus. Je souhaite également que ce dossier soit l'occasion de porter un regard plus large sur l'activité minière en Guyane et sur le cadre juridique qui la régit, autrement dit le code minier, dont j'ai déjà parlé.
Les problèmes que pose ce projet doivent nous permettre de franchir une nouvelle étape. Il faut être clairs sur plusieurs questions : sommes-nous oui on non favorables à l'exploitation de l'or en Guyane ? Sous quelle forme, dans quelles conditions ? Voulons-nous tirer vers le haut toutes les formes d'exploitation de l'or ? Les services de l'État combattent évidemment celles qui sont interdites, l'orpaillage illégal, et nous devons d'ailleurs nous demander s'il convient de se doter de moyens juridiques ou matériels supplémentaires. Mais s'agissant des exploitations légales aussi, nous devons réfléchir à la façon de les tirer toutes vers le haut d'un point de vue environnemental. Je tiens à le dire parce que, depuis les dix dernières années, 27 122 hectares ont été déforestés suite à l'activité d'orpaillage, avec ses techniques actuelles. En unités de terrains de foot, monsieur Serville, cela correspond à 37 300.