Je présenterai dans un premier temps l'une des propositions phares qui structurent la première partie du rapport. Il s'agit de faire en sorte que les pouvoirs publics assument pleinement leur rôle stratégique en matière de transition écologique. Le pilotage par les pouvoirs publics dépend d'abord d'une capacité à établir un diagnostic et fixer des objectifs. Grâce à l'article 174 de la loi sur la transition énergétique et pour la croissance verte, nous disposons d'un état des lieux des investissements privés et publics établi par l'Institut pour l'économie du climat – Institute for Climate Economics –, filiale de la Caisse des dépôts et consignations. Il en ressort que les investissements actuels, publics et privés – j'insiste sur ce point qui n'est repris par les journalistes qui n'ont pas lu le rapport, et pour cause – s'élèvent à 41 milliards d'euros, soit 8 % du total des investissements effectués en France, répartis de la manière suivante : 20 milliards d'euros pour l'efficacité énergétique des bâtiments, 10 milliards d'euros pour les infrastructures et 7 milliards d'euros pour les énergies renouvelables et les réseaux.
Si les investissements dans les logements neufs et des infrastructures de transport semblent respecter les objectifs du plan « Climat », les écarts avec les enveloppes nécessaires dépassent 5 milliards d'euros pour la rénovation énergétique des bâtiments, 6 milliards d'euros pour les véhicules « bas carbone » et 4 milliards d'euros pour les réseaux de chaleur. Soit, au total, un déficit de 15 à 20 milliards d'euros d'investissements, très majoritairement privés.
Cette estimation ne concerne cependant que les investissements liés aux objectifs climatiques. Nous ne disposons pas d'une estimation équivalente au regard de nos objectifs de préservation de la biodiversité et de la réduction des pollutions, hors gaz à effet de serre. Il s'agit là d'un élément important du rapport : dans le cadre de cette MEC, peu d'éléments nous permettent de connaître les investissements consentis en matière de biodiversité et de pollution, hors gaz à effet de serre. Outre ces éléments de diagnostic, nous disposons d'outils pour fixer des objectifs comme la stratégie nationale bas carbone et la programmation pluriannuelle de l'énergie dont vous avez entendu parler en fin d'année. Cependant, ni l'un ni l'autre de ces cadres n'est adossé à une estimation des besoins d'investissement par secteur, ni à une déclinaison entre financements publics et privés – les premiers pouvant exercer un effet de levier sur les seconds.
Comment l'ont très justement remarqué Pierre Ducret et Sylvie Lemmet dans l'important rapport pour une stratégie française de la finance verte présenté il y a un an, il manque en quelque sorte un « plan d'affaires » à la transition. Nous proposons donc d'instituer un espace de discussion entre les acteurs privés et les acteurs publics afin de vérifier que le plan de financement de la transition écologique est cohérent avec le plan d'investissement. Il s'agit de procurer une visibilité aux acteurs privés sur la pérennité des mécanismes de soutien et sur le cadre fiscal et réglementaire qui impacte leurs décisions d'investissement.
Par ailleurs, nous le savons, l'un des outils les plus structurants pour orienter les investissements vers une trajectoire bas carbone consiste à établir un signal-prix, un coût du carbone pour ses émetteurs, qui renchérisse le recours aux technologies carbonées et rentabilise les projets d'investissement sobres en carbone.
Les travaux engagés en France il y a plus de dix ans dans le cadre de la commission Quinet ont permis de construire une valeur tutélaire du carbone, c'est-à-dire le prix du carbone permettant d'atteindre nos objectifs de réduction des émissions. Le prix de 100 euros la tonne en 2030 avait été proposé et un travail de révision de cette évaluation avait été engagé. Suite aux travaux qu'il avait confiés à Alain Quinet, le président Sarkozy avait d'ailleurs indiqué, en concluant le « Grenelle » de 2007, que tous les grands projets publics et toutes les décisions publiques seraient arbitrés en intégrant leur coût pour le climat, donc leur coût en carbone. Aujourd'hui, M. Quinet a été saisi d'une nouvelle mission par le Premier ministre : réévaluer le prix du carbone à horizon 2030. Cette étude est en cours ; nous ne connaissons donc pas encore ses conclusions.
Il n'existe pas de lien automatique entre la définition de cette valeur tutélaire et des mesures fiscales qui peuvent prendre plusieurs formes, comme les quotas carbone ou la contribution climat énergie (CCE) que nous connaissons désormais bien. Pour les investisseurs, l'efficacité du signal-prix dépend avant tout de sa lisibilité, de sa stabilité et de sa prévisibilité. L'objectif initial ne vise pas à établir une taxe à fort rendement, mais à accroître certains prix afin de rentabiliser des projets d'investissement vertueux. Cependant, la dépendance de nos sociétés aux énergies fossiles conduit à ce que l'introduction de taxes fondées sur le contenu en carbone procure rapidement un rendement fiscal.
La crédibilité de ces mesures repose sur des prérequis importants, à commencer par la pleine transparence sur l'emploi des ressources issues de la fiscalité écologique. C'est tout l'enjeu du green budgeting, la « budgétisation verte » lancée dans le cadre de l'Organisation de coopération et de développement économiques, qui vise à intégrer les objectifs environnementaux dans la construction des budgets des personnes publiques. Il faut ensuite examiner l'ensemble des effets anti-redistributifs des différents aspects de la fiscalité écologique. Aujourd'hui, en France, force est de constater que la fiscalité écologique a plutôt été ajoutée, comme une pièce rapportée, sans être intégrée au système fiscal complexe. Alors même que ce système est redistributif, cette fiscalité écologique – que l'on peine à intégrer à nos raisonnements et qui est anti-redistributive – peut avoir des doubles effets. Aussi pensons-nous qu'elle doit être pleinement intégrée au système fiscal. Nous ne disposons que de peu d'éléments de comparaison sur l'efficacité de cette fiscalité écologique en termes comportementaux. En France, en effet, il existe peu d'indicateurs comportementaux. Nous devons donc travailler sur ce sujet. Mais nous pouvons nous appuyer sur l'exemple de la Suède, qui a revu son système fiscal dans les années 1990 en plaçant avec succès la fiscalité écologique au coeur de sa réforme fiscale.
À l'occasion du Grand débat national engagé par le Président de la République, il s'agit d'interroger la place de la fiscalité écologique dans notre système fiscal, sa cohérence, son effet d'incitation sur les ménages et les entreprises ou encore son déploiement au niveau national ou local. Poser ces questions et y apporter des réponses claires, voilà le prérequis pour rendre acceptables la fiscalité écologique en général et la tarification carbone en particulier.
Il faudra aussi penser une complémentarité entre les aides sociales et les aides à la transition écologique. Aujourd'hui, les aides à la transition écologiques sont elles-mêmes anti-redistributives. En effet, seules les personnes qui en ont les moyens ont accès au CITE et à la prime à la conversion des véhicules. Il importe de cibler davantage les personnes vulnérables, d'où notre soutien à la conversion du CITE en prime.
Si la question de l'emploi des recettes cristallise les débats de la fiscalité écologique, il faut la reconsidérer non seulement en fonction des politiques engagées, mais aussi en fonction du partage des responsabilités entre les acteurs locaux et nationaux, ceux qui portent les politiques de transition écologique. Les débats sur la réforme de la fiscalité locale pourront, à cet égard, poser certains grands principes. Enfin, nous proposons de fixer un horizon d'extinction des dépenses fiscales défavorables à l'environnement – par exemple dix ans – et d'engager leur réduction progressive, j'insiste sur ce mot, dans une logique de trajectoire avec des mesures d'accompagnement adaptées afin de procurer aux parties prenantes une visibilité sur les stratégies d'adaptation à mettre en oeuvre. Pour faire le lien avec la mission d'information sur les monnaies virtuelles, nous considérons qu'il faut sortir les dépenses défavorables à l'environnement et que la transition du numérique doit être pensée au service de la transition écologique. Une récente tribune d'Olivier Sichel et Nathalie Collin met d'ailleurs en avant ces enjeux de fiscalité écologique.