Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre la France et le Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions – les doubles non-impositions également, vous avez raison de le souligner, monsieur le président – et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et la fortune, dont notre commission s'est saisie pour avis. Ce texte a vocation à se substituer à l'ancienne convention, signée le 1er avril 1958 et modifiée depuis lors par quatre avenants. Lors de la signature du dernier avenant, il a été décidé qu'une modernisation de l'ensemble s'imposait, ce qui nous conduit à examiner ce texte aujourd'hui.
Nos prérogatives en matière de conventions internationales sont relativement limitées. Effectivement, madame Dalloz, nous ne pouvons pas amender le projet de loi, il s'agit seulement de l'approuver ou de le rejeter, selon le principe dit de « réciprocité ». Cela étant, l'article 53 de notre Constitution énumère les domaines dans lesquels un texte de droit international doit être ratifié par le Parlement, parmi lesquels les questions relatives à la fiscalité.
En tant que rapporteur pour avis, je recommande vivement l'approbation de ce projet de loi, pour trois raisons.
Premièrement, cette convention fiscale bilatérale s'inscrit dans un cadre plus large, que nous avons déjà évoqué dans cette commission : l'instrument multilatéral de prévention de l'érosion de la base d'imposition et du transfert de bénéfices, aussi appelé projet BEPS. De ce projet découle notamment la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, dite « CML », conclue au mois de novembre 2016. Ce cadre multilatéral assure la concrétisation d'une partie des quinze actions identifiées par les 110 pays ayant participé aux travaux de l'OCDE. À ce jour, 87 pays ont signé cette convention.
Nous savons bien que l'évasion et la fraude fiscales sont un fardeau : non seulement elles entraînent une perte de recettes fiscales, mais elles entament la solidarité nationale et fragilisent le consentement à l'impôt sur lequel reposent notre société et notre modèle politique. L'économiste Gabriel Zucman rappelait en 2013, dans son ouvrage La Richesse cachée des nations, que, pour l'administration fiscale française, le manque à gagner qui résultait de l'évasion fiscale des ménages était de 17 milliards d'euros par an, tandis que le Parlement européen estimait quant à lui, dans un rapport de 2016, que l'évasion fiscale des entreprises conduisait, pour les États européens, à une perte de recettes d'un montant compris entre 50 et 70 milliards d'euros par an.
De fait, les comportements de planification fiscale agressive sont délétères pour nos finances publiques et pour le bien commun, mais les justiciables ayant l'intention de frauder adoptent d'autant plus facilement de tels comportements que les législations fiscales manquent d'harmonisation. La déclinaison en conventions bilatérales du projet multilatéral BEPS constitue dès lors un renforcement effectif des dispositions juridiques en faveur de la lutte contre l'évasion fiscale, de nature à renforcer la sécurité juridique et l'application effective de la règle de droit, et à permettre davantage de recettes fiscales.
Ce projet constitue un pas dans la bonne direction : il édicte des règles claires et adaptées aux réalités économiques nouvelles et s'inscrit parfaitement dans le cadre multilatéral établi par l'OCDE. Le Luxembourg, quant à lui, a formulé un nombre important de réserves à l'égard de l'instrument multilatéral mais il s'est montré, dans le cadre de nos relations bilatérales, déterminé à élaborer une convention qui couvre au mieux le champ des différents enjeux fiscaux actuels.
Ainsi, l'article 5 de la convention reprend la définition de l'établissement stable privilégiée par l'OCDE – elle reprend précisément une formulation définie à l'action n° 12 du projet BEPS. Cette nouvelle définition devrait permettre à l'administration d'écarter les montages artificiels, tels que ceux qui peuvent prévaloir dans les accords dits « de commissionnaires », qui entraînent mécaniquement une perte de recettes pour les États.
L'article 10 définit les modalités d'imposition des dividendes versés par une société résidente d'un État contractant à un résident de l'autre État contractant, incluant notamment les revenus inclus dans le régime de distribution de l'État dans laquelle réside la société distributrice.
L'article 28 contient une clause anti-abus générale qui reprend l'article 7 de la convention BEPS. Disons en deux mots qu'elle permet de ne pas accorder le bénéfice d'une convention lorsque le montage ou la transaction concernés avaient pour objet principal de bénéficier de ces avantages.
Une deuxième raison d'approuver ce texte tient aux avancées obtenues, cette fois sans lien direct avec BEPS. J'en citerai notamment une, à mon sens fondamentale : alors qu'auparavant l'imposition des redevances prévoyait une imposition exclusive par l'État dont le bénéficiaire était résident, le nouvel article 12 introduit une imposition partagée avec l'État contractant d'où proviennent les redevances. Cela ouvre donc à notre État la possibilité de percevoir des recettes fiscales supplémentaires.
Une troisième raison tient au pays avec qui nous concluons cette convention : dans l'Union européenne, le Luxembourg est un partenaire important en tant que place financière. En 2019, avec 3 500 milliards d'euros d'actifs, c'est le premier centre européen pour les fonds d'investissement, et le deuxième mondial. C'est aussi au Luxembourg que sont établis 143 sièges de banques, ce qui est considérable.
Ces trois éléments légitiment que nous puissions présentement revoir cette convention qui date de plus de soixante ans.
Rappelons qu'à la suite de l'affaire dite « LuxLeaks » le commissaire européen Pierre Moscovici, dans ses rapports économiques adressés annuellement aux États membres, a souligné le caractère anormal de certains dispositifs fiscaux en vigueur au Luxembourg. Rappelons également que depuis lors, dans la notation de l'OCDE, le Luxembourg est passé de « non conforme » à « largement conforme » en 2015, note identique à celle des États-Unis, de l'Allemagne ou de l'Italie, par exemple.
Après seulement deux tours de négociations, notre partenaire luxembourgeois a souligné sa ferme volonté de lutter contre l'évasion fiscale. Quelques concessions ont été faites lors des négociations. Ainsi, le mode d'imposition des pensions reste le même : une imposition à la source pour les pensions payées en vertu de la législation sur la sécurité sociale ; une imposition à la résidence pour les pensions privées. La France souhaitait une imposition à la résidence pour l'ensemble des pensions.
Alors que nous nous apprêtons à voter sur la ratification de cette convention, j'aimerais toutefois, mes chers collègues, dire un mot de l'absence de prise en compte de la présence numérique dans la définition de l'établissement stable. Le manque de consensus au niveau international explique aujourd'hui l'absence de cette notion dans la convention BEPS et dans cette convention bilatérale. Cette réalité est regrettable : il est urgent que la fiscalité s'adapte aux changements induits par la transition numérique. Néanmoins, nous pouvons nous réjouir des dernières avancées, à toutes les échelles. La première : la présentation par la Commission européenne au mois de mars dernier d'un « paquet » sur la fiscalité du numérique ; la deuxième : la conclusion d'un accord international sur la taxation des géants du numérique au niveau de l'OCDE à horizon 2020 ; la troisième : le futur projet de loi permettant la taxation des entreprises « géants » du numérique en France, voulu par Bruno Le Maire.
Alors que nous nous apprêtons à émettre un avis sur l'adoption du projet de loi autorisant l'approbation de cette convention, il était important pour moi de souligner ces avancées. Je vous remercie.