Cher Olivier Serva, mesdames et messieurs les députés, c'est pour moi un grand plaisir d'être avec vous aujourd'hui. J'ai accepté avec bonheur votre invitation parce que je suis, comme vous, convaincu que l'outre-mer est une priorité pour le ministère de la culture. Dans ma vie passée de parlementaire, notamment ces derniers mois, j'ai eu la chance de travailler en tant que président d'un groupe qui comptait quatre députés ultramarins qui, pour deux d'entre eux, sont d'ailleurs présents aujourd'hui. Cette sensibilité ultramarine a été au coeur de toutes nos réflexions au sein de ce groupe que j'ai eu l'honneur de présider pendant plus d'un an et demi. Sachant, pour en avoir alors évoqué certains, le nombre de dossiers importants qui touchent mon ministère en matière d'outre-mer, c'est avec un grand plaisir et une grande motivation que je suis devant la délégation aux outre-mer aujourd'hui. M'exprimer devant vous au sujet de la politique que je conduis avec mon ministère en faveur des outre-mer est, je le répète, prioritaire à mon sens, même si vous comprendrez bien – et je demande votre indulgence –, que je n'aurai peut-être pas toutes les réponses précises à tous les dossiers que vous voudrez me soumettre aujourd'hui. L'engagement que j'ai pris devant les commissions des affaires culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat est que je reviendrai vers vous régulièrement, soit à très court terme pour apporter une réponse précise ou technique que je n'aurais pas pu vous délivrer lors de nos échanges, soit, plus largement, pour vous faire part de l'avancée des différents sujets qui nous concernent.
Cet « Archipel de France », comme on a parfois l'habitude de l'appeler, ces territoires de la République qui sont autant de territoires uniques, ces territoires qui se servent de leurs contraintes et de leur insularité pour nourrir leur créativité et font la diversité de nos outre-mer, sont à la fois une chance et un défi.
Une chance, car les territoires ultramarins sont les berceaux d'une jeunesse bouillonnante, car la vie culturelle y est foisonnante, car y résonne un multilinguisme riche et ancestral en même temps qu'une francophonie vibrante. Vous avez fait référence à la francophonie, monsieur le président : grâce à ces terres ultramarines, nous sommes les voisins du monde entier. Elles sont nos points de contact avec d'autres continents que l'Europe, avec d'autres océans que l'Atlantique. L'outre-mer nous relie au monde.
Un défi aussi, car chaque territoire ultramarin est unique et demande que nous adaptions nos politiques à ses spécificités. Chacun d'entre eux ne fait pas qu'enrichir notre culture nationale, il en est constitutif. Pour cette raison, il nous revient, collectivement, de plus montrer, de plus représenter, de donner plus de visibilité à l'outre-mer, à ses territoires et à ses habitants.
L'accès à la culture et la représentation de l'outre-mer – notamment, comme vous l'avez dit, dans l'audiovisuel public – sont deux questions majeures qui s'imposent à nous au moment d'évoquer notre politique culturelle ultramarine.
Les inégalités d'accès à la culture entre l'Hexagone et l'outre-mer sont une réalité. Il ne faut pas se le cacher. Pour autant, je refuse de m'y résoudre. Je vous l'ai dit dès mon propos liminaire, je suis engagé pour les combattre. La grande diversité des outre-mer appelle des réponses adaptées à chaque territoire et à chaque population. On ne conduit pas la même politique culturelle en Hexagone qu'outre-mer, en Seine-et-Marne qu'en Guyane, à Coulommiers qu'à Papeete, chères Naïma Sage et Nicole Sanquer. Parce que la géographie est différente, parce que les équipements culturels et les moyens de transport sont différents, parce que, tout simplement, on n'y vit pas totalement de la même façon, nous adapterons nos façons de faire. Mais, partout, nous porterons les mêmes priorités et le même niveau d'ambition.
Il s'agit donc tout à la fois de penser les politiques culturelles et des modes d'action et d'organisation spécifiquement adaptés aux outre-mer et d'inscrire, de manière systématique, les territoires ultramarins dans les dispositifs nationaux en prenant en compte leurs spécificités. Je suis persuadé que si nous voulons résorber les inégalités d'accès à la culture, cela signifie que nous devons agir outre-mer plus encore qu'ailleurs.
C'est tout sens de la stratégie du ministère de la culture en outre-mer. Celle-ci s'inscrit dans le cadre de la loi de programmation du 28 février 2017 relative à l'égalité réelle outre-mer (ÉROM) et s'articule parfaitement avec le Livre bleu issu des Assises des outre-mer, dans lesquelles le ministère de la culture s'est fortement impliqué par l'intermédiaire des directions des affaires culturelles (DAC). Je souhaite que nos établissements publics et les réseaux du ministère inscrivent leur action dans cette stratégie. Ils seront invités à développer des partenariats avec l'outre-mer, à mieux faire connaître les cultures ultramarines et à donner plus de visibilité aux productions issues de ces territoires.
Pour mettre en oeuvre cette stratégie, des moyens spécifiques sont dédiés aux territoires ultramarins. Je rappelle qu'en 2018 une enveloppe de 500 000 euros a été mobilisée par le ministère de la culture pour des actions en leur faveur. Cette année, le Fonds d'aide aux échanges artistiques et culturels (FEAC) a été abondé à parité avec le ministère des outre-mer pour atteindre 800 000 euros. Il aide à la circulation des artistes d'outre-mer. Il a permis d'aider plus de 125 projets dans tous les domaines, que ce soit en musique, en théâtre, en danse, en matière de patrimoine, de métiers d'art, de livres et de lecture. C'est un outil essentiel, me semble-t-il, pour la mobilité et la diffusion de la création.
C'est la raison pour laquelle, en 2019, nous le porterons, conjointement avec Annick Girardin, à 1 million d'euros, comme le prévoit le Livre bleu. Dans ce même objectif de mobilité, une subvention supplémentaire a été attribuée à l'Office national de diffusion artistique (ONDA). L'objectif est que ce dernier puisse renforcer ses actions en outre-mer, développer des aides à la mobilité et organiser des rencontres entre acteurs culturels ultramarins et hexagonaux.
Le soutien du ministère de la culture s'incarne dans de nombreux projets concrets et structurants pour l'accès à la culture outre-mer. Je pense au projet du musée de Mayotte (MuMa) qui passera dans deux jours devant le Haut Conseil des musées de France. Il est emblématique d'une collaboration réussie entre l'État et le conseil départemental de Mayotte.
Je pense au projet d'une école autonome d'architecture à La Réunion dont le protocole d'accord a été signé en octobre 2017 entre l'université de La Réunion et l'école d'architecture de Montpellier.
Je pense aussi au projet de Maison des cultures et des mémoires de Guyane, dont la livraison du nouveau bâtiment à Rémire-Montjoly est prévue pour la fin de l'année.
Je pense au projet de la Cité des outre-mer, issu du Livre bleu et des Assises. Elle associera des professionnels de la culture, des décideurs et des financeurs publics au sein d'une structure dématérialisée.
Je pense au forum « Entreprendre dans la culture », qui existe déjà dans l'Hexagone et devrait être décliné dès cette année en Guyane. Il doit permettre de former des Ultramarins à l'entreprenariat culturel.
Toujours en Guyane, je pense enfin à l'expérimentation du « Pass culture » qui débutera prochainement. Je suis convaincu que ce Pass culture est une formidable opportunité, qui mérite d'être évaluée mais qui doit auparavant être définie et expérimentée. Pour que ce soit un succès, il doit s'adresser à tous les Français, et il ne s'agit pas de proposer de la culture à des milliers de kilomètres de l'utilisateur, dans l'Hexagone, ni d'avoir des propositions éloignées des réalités dans le travail, il s'agit d'avoir des propositions à proximité de chaque citoyen, à Saint-Laurent-du-Maroni ou à Sinnamary. C'est la raison pour laquelle l'application est une application géolocalisée, cette offre devant prendre en compte les spécificités locales, que ce soit en matière d'activités, d'infrastructures culturelles ou de mobilité géographique. Des propositions fortes doivent s'inscrire dans cette application. C'est ce que la phase d'expérimentation permettra de vérifier et d'ajuster.
Parce que, comme ailleurs, nous voulons résorber outre-mer les inégalités d'accès à la culture, nous agissons pour développer la lecture, même là où les bibliothèques sont rares. De très belles initiatives m'ont été présentées, que je souhaite étendre pour développer l'éducation artistique des enfants – y compris là où il n'y a pas de musée ou de théâtre – et pour accompagner les artistes ultramarins avec des formations et des soutiens adaptés aux enjeux locaux.
S'agissant du patrimoine, je pense que la richesse du patrimoine français doit beaucoup au patrimoine ultramarin. Pour le préserver tout en tenant compte de spécificités locales, les directions des affaires culturelles mènent une politique active de protection et de conservation des monuments. Vous y faisiez référence, monsieur le président. Cette année, elles ont consacré 5,4 millions d'euros aux monuments ultramarins, soit 2,7 % du total des crédits déconcentrés alors que ces monuments ne représentent qu'1 % du parc national. La mosquée de Tsingoni à Mayotte, les vestiges du bagne de Cayenne et les fortifications de la Martinique en ont bénéficié.
Mais le patrimoine ultramarin, c'est aussi un patrimoine immatériel : des traditions orales, des fêtes, des danses, de l'artisanat traditionnel, des rituels. Nous soutenons sa préservation au travers d'un portail de ressources en ligne, lancé cette année, et du renforcement de la formation spécialisée, très importante, pour l'inventaire et la sauvegarde de ce patrimoine immatériel.
Le deuxième sujet que je souhaite aborder avec vous est celui de la transformation de l'audiovisuel public.
Cette transformation doit nous permettre de donner une meilleure représentation, une meilleure visibilité aux outre-mer. Je sais qu'elle a suscité les craintes et les inquiétudes d'une partie entre vous, et continue de le faire. Je pense néanmoins que, sur ce sujet, nous partageons une même ambition, une même conviction ; la conviction que l'audiovisuel public doit montrer la France telle qu'elle est, qu'il doit être fidèle à notre pays, il doit refléter sa vitalité. Cette vitalité est partout, elle est le coeur même des outre-mer.
Pour que l'audiovisuel public parle à tous, il faut un audiovisuel public qui parle de tous. Le constat qui a été fait est que nous n'y sommes pas aujourd'hui. Les territoires d'outre-mer et leurs habitants sont insuffisamment représentés à l'écran et, malgré les efforts de toutes les équipes de France Ô, l'existence d'une chaîne dédiée dans l'Hexagone n'a pas apporté de réponse à la hauteur de l'enjeu. Il ne faut pas se le cacher.
France Ô a servi d'alibi à l'absence de programmes dédiés aux outre-mer et à leurs habitants sur les autres chaînes de France Télévisions. Je le dis très clairement. Elle a cantonné l'outre-mer à la périphérie au lieu de le placer au centre des programmes nationaux, des programmes que les Français regardent, qu'ils soient ultramarins ou non.
Notre objectif est donc, précisément, de placer l'outre-mer au centre de l'audiovisuel public. Cela signifie, par exemple, d'intégrer aux journaux télévisés de France 2 des sujets à propos de la rentrée scolaire en Guyane, de l'actualité culturelle de Saint-Pierre-et-Miquelon et bien d'autres sujets encore. C'est parler de l'outre-mer comme on parle de l'Hexagone. C'est rendre les outre-mer plus visibles à la télé, mais aussi dans l'univers numérique.
Un portail dédié sera développé comprenant bien plus de programmes sur les outre-mer et une meilleure mise en avant des « outre-mer premières », ces chaînes si importantes pour les territoires ultramarins. À l'horizon 2020, lorsque France Ô cessera d'émettre, tous les Français verront sur le service public, des programmes produits en outre-mer, qui évoquent l'outre-mer avec des Ultramarins à l'écran.
Tels sont les décisions. Ensuite, elles doivent être mises en oeuvre. Pour y parvenir, des engagements ont été pris. Le Président de la République s'y est engagé lors des Assises de l'outre-mer en juin dernier ; le Gouvernement dans son ensemble s'y est également engagé par la voix d'Annick Girardin, la ministre des outre-mer, et celle de ma prédécesseure, Françoise Nyssen, le 19 juillet, lors de la restitution de la mission de concertation. France Télévisions s'est également engagée, et j'en remercie sa présidente, Delphine Ernotte.
Pour passer des engagements aux actes, une nouvelle fois, nous travaillerons ensemble. Un groupe de travail a été installé à cet effet mercredi dernier. Il rassemble un certain nombre d'entre vous, que je salue, et se réunit demain pour la deuxième fois ; il s'est déjà réuni, je n'ai malheureusement pas pu y assister mais Annick Girardin, le patron de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) ainsi que mon chef de cabinet étaient présents.
Nous voulons des résultats visibles à l'antenne dans les meilleurs délais. Nous y parviendrons grâce à vous. Les députés qui participent à ce groupe de travail coopéreront avec France Télévisions pour mesurer concrètement les avancées nécessaires pour établir les indicateurs quantitatifs et qualitatifs. Ces indicateurs, qui seront ensuite inscrits dans le cahier des charges de France Télévisions, nous permettront de suivre l'amélioration de la représentation de l'outre-mer dans l'audiovisuel public. L'idée n'est pas de réinventer la programmation des chaînes, le déroulé des journaux télévisés et de recruter des nouveaux animateurs, mais de réfléchir collectivement aux moyens d'améliorer la visibilité des territoires ultramarins et leurs habitants dans l'Hexagone. Mais, in fine, comme je le disais précédemment, cela devra se voir dans les différentes émissions et programmes.
Je me réjouis que le groupe du travail soit représentatif de tous les territoires et de toutes les sensibilités, car si nous voulons la diversité à l'écran, nous devons d'abord avoir la diversité dans les rangs de ce groupe de travail. Avec la ministre des outre-mer, Annick Girardin, nous retrouverons les parlementaires qui y participent en janvier. Ce sera l'occasion de faire le point sur les indicateurs choisis, que nous suivrons tout au long de l'année.
De surcroît, comme vous le savez, un texte sur l'audiovisuel est en préparation. Bien évidemment, nous ferons en sorte d'introduire des dispositions au moment de l'élaboration de ce texte pour parvenir à cette présence forte de l'outre-mer dans la télévision publique.
Avant de vous céder la parole, je tiens également rappeler qu'il y aura toujours des personnels et des moyens engagés par France Télévisions au niveau central pour les offres ultramarines. Vous y faisiez référence, monsieur le président. Je sais combien cet aspect est très important. La question de l'avenir des personnels de France Ô doit évidemment être étudiée avec beaucoup de sérieux et de responsabilité. Se pose aussi, plus largement, la question du suivi des acteurs de l'outre-mer, notamment ceux qui sont en France – les parlementaires, mais pas seulement eux –, afin de s'assurer que des équipes tournées spécifiquement vers l'outre-mer sont bien présentes au sein des équipes de France Télévisions.
Actuellement, 10 millions d'euros sont alloués par France Télévisions aux coproductions ultramarines. Cette enveloppe budgétaire sera au minimum maintenue, tout comme l'équipe éditoriale dédiée aux outre-mer dans l'Hexagone. Je viens de vous le dire. Ces moyens serviront notamment à l'animation du futur portail numérique dédié aux outre-mer.
Mesdames et messieurs les députés, mon ambition est que la culture devienne pour les outre-mer un levier de développement. Elle l'est déjà, mais je souhaite que nous y travaillions ensemble pour que ce levier devienne plus important. Je pense réellement que nous avons les moyens d'étendre dans les territoires ultramarins l'accès à la culture en travaillant avec les différentes collectivités, institutions et associations. Ce ne sont ni les initiatives ni les bonnes volontés qui manquent ; mon ministère saura les accompagner.
S'agissant de l'audiovisuel, nous avons les moyens de mieux représenter l'outre-mer sur nos écrans, d'en parler comme l'on parle de l'Hexagone. Il faut le reconnaître, ce n'est pas suffisamment le cas aujourd'hui. Croyez-moi, c'est ce qu'ensemble nous allons réussir à faire.
Sur tous ces sujets, je n'aurai de cesse de travailler en étroite collaboration avec ma collègue ministre des outre-mer, Annick Girardin, et de coopérer avec l'ensemble des collectivités territoriales ultramarines. Je tiens à le réaffirmer à nouveau, à le marteler : sur tous ces sujets, vous pouvez compter sur ma détermination totale !
Monsieur le président, je suis maintenant disposé à répondre à toutes les questions.