Monsieur le ministre, merci pour cette première série de réponses. Je profite de cette audition, puisqu'elle n'est pas consacrée à la seule question de France Ô, pour vous parler plus globalement de l'accès à la culture, et des cultures ultramarines. Nous avons abordé cette question, pour la première fois, au sein de la Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer (CNEPEOM). Je vous encourage à vous replonger dans ces travaux riches, qui ont démontré que la culture est plus que notre ADN. La culture est pour nous un vecteur d'épanouissement, un vecteur de promotion ; elle est l'occasion pour les territoires d'outre-mer d'exprimer une identité et, pour leurs populations, notamment leur jeunesse, de se retrouver.
Pour des populations ultramarines, rattachées à cette grande nation qu'est la France, située à des milliers de kilomètres de nos îles de nos lieux de naissance, il n'est pas toujours évident de s'inscrire dans un schéma global, national. Il n'est pas plus évident de comprendre cette difficulté au niveau de l'Hexagone. Il me semble donc fondamental d'établir et de renforcer les échanges, monsieur le ministre.
Nous avions pointé du doigt, par exemple, le fait qu'au sein du ministère de la culture s'organisent des politiques, des procédures de détection de talents à l'étranger, en zone internationale. Jamais ces structures ne se sont penchées sur l'offre ultramarine qui est juste à côté. Des établissements dédiés, bénéficiant d'un personnel spécialisé, travaillent aujourd'hui, en partenariat avec le ministère des affaires étrangères, à l'offre internationale qui sera produite dans l'Hexagone. Il faudrait, dans l'avenir, lorsque, dans l'Hexagone, on s'intéresse à une offre culturelle étrangère internationale dans l'océan Indien, dans les Caraïbes ou en Amérique du Sud, qu'on regarde aussi un peu en direction des territoires d'outre-mer.
J'insiste sur le fait que la réalité de ces territoires n'est pas suffisamment perçue dans son aspect géographique. Nous ne sommes pas proches de l'Europe. Pour la plupart, à part la Guyane, nous ne sommes pas des zones continentales. Nous sommes dans des régions très différentes et le melting-pot fait aussi, souvent, notre richesse.
Pour nous, il est essentiel que nos territoires soient mieux pris en compte par le ministère de la culture et ses établissements publics, en partenariat avec le ministère des affaires étrangères, et que, plus que d'avoir le réflexe de nous mettre au centre – nous ne demandons pas d'être le centre du monde ! –, vous puissiez avoir celui de nous reconnaître dans nos places, qu'a minima nous soyons considérés et que vous étudiiez l'offre culturelle de nos territoires, leurs expressions artistiques, leur richesse, dans le chant, la danse, l'expression littéraire et tous les arts qui s'y déploient.
Il faut aussi bien saisir que, malgré cette richesse, nous connaissons des handicaps, des freins. Ces freins sont d'abord géographiques, liés à la distance, mais ils sont aussi liés aux moyens humains et aux moyens financiers, car nous ne sommes pas très nombreux. Aussi, quand il faut investir dans des salles ou dans de la formation, nos territoires ne disposent pas des mêmes moyens que la métropole, d'autant qu'ils ne peuvent pas faire jouer les synergies entre régions. Cet aspect est également à prendre en compte.
Enfin, puisque le temps nous est compté, je me bornerai à vous dire que le principe de l'exception culturelle, qui est un principe ancré dans l'Hexagone, n'existe pas en outre-mer. Je puis vous l'assurer. À la limite, je veux bien comprendre la différence entre l'Hexagone et les collectivités d'outre-mer (COM), mais entre l'Hexagone et les départements et régions d'outre-mer (DROM), je ne comprends pas. L'exception culturelle fait qu'en France, où que vous soyez, le livre est partout au même prix. Ce n'est pas le cas outre-mer !
Voilà les sujets sur lesquels j'aimerais que nous puissions travailler en vue de votre futur texte. C'est la raison pour laquelle je profite de votre présence pour soulever toutes ces questions. À mon sens, les demandes des Ultramarins sont classiques. Nous ne demandons pas la lune, nous demandons seulement le minimum – et peut-être quelques avantages, comme notre collègue Raphaël Gérard l'a demandé à propos du cinéma. Mais nous connaissons un tel déficit qu'il vaut la peine de s'interroger sur les moyens de compenser la distance et les surcoûts.
Sur la Cité des outre-mer, je travaillerai avec plaisir avec vous. Je vous dirai simplement : ne pensez pas à notre place, pensez avec nous ! Car ce qui s'est passé sur France Ô est malheureusement révélateur d'un manque de prise en considération. La décision était tranchée avant même que l'on s'interroge. Je rejoins ma collègue Frédérique Dumas. Au fond, c'est ce qui nous dérange, c'est ce qui nous blesse : vous avez décidé du sort de cette chaîne avant même de partager avec nous pour voir s'il n'existait pas des solutions. Je suis convaincue que nous aurions pu faire de France Ô la grande chaîne « France mondiale » ou « France Archipel », celle qu'Emmanuel Macron a proposée, la France mise en valeur à l'international par les Français de l'étranger, par ceux qui vivent à l'étranger, nous inclus parce que, finalement, nous nous rejoignons dans nos bassins régionaux.
En conclusion, parce que nous nous efforçons de rester constructifs, monsieur le ministre, je veux vous féliciter pour votre nomination. Je connais votre engagement. Je sais que vous serez sincèrement à notre écoute et que vous n'êtes pas responsable de la situation actuelle. Mais aujourd'hui, votre responsabilité vous engage à prendre en compte ce que nous disons. S'agissant de France Ô, nous avons un gros regret. Nous allons sauver l'essentiel mais nous vous demandons d'aller un peu plus loin. Les propositions du groupe de travail constitué à votre initiative, et auquel j'ai participé, sont nettement insuffisantes : un prime-time par mois sur l'ensemble du groupe ! Un feuilleton ultramarin, dont on nous dit bien qu'il ne passera pas sur les chaînes du groupe mais sur le numérique ou sur les « premières » dans nos territoires ! Vraiment, entre vos objectifs, vos ambitions, et la réalité de la solution qui nous est proposée, il y a un gouffre.
J'ai décidé de participer à ce groupe de travail dans un esprit constructif. Mais, de grâce, soutenez-nous et comprenez que nous ne pourrons pas nous satisfaire de propositions limitées qui nous font rester à la périphérie de l'audiovisuel, ou, pire encore, dans le deuxième périphérique, celui du numérique.
Je sais que le numérique a un fort potentiel, je sais que c'est l'avenir mais, dans l'immédiat, c'est le télévisuel qui compte. Notre présence en télévision est fondamentale. C'est une fenêtre. J'ajouterai, et je terminerai là-dessus, que cela tire une filière économique dans tous nos territoires. Derrière, il y a des producteurs, des spécialistes et des professionnels. C'est tout cela qu'il faut prendre en compte.
C'est une lourde tâche. Bon courage à vous !