Intervention de Éric Straumann

Réunion du mardi 12 février 2019 à 16h35
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Straumann, rapporteur :

Par ailleurs, les initiatives européennes en matière de défense, pour bienvenues qu'elles soient, posent plusieurs problèmes qui sont autant d'enjeux, non seulement pour les entreprises mais également pour les États membres. Ainsi que je l'ai dit, pour la première fois, l'Union européenne a dégagé des fonds pour la Défense, mettant ainsi fin au tabou du financement par le budget européen de ce secteur. Toutefois, si la Commission européenne a annoncé 13 milliards d'euros dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027 pour le Fonds européen de Défense, nous savons tous dans cette commission que les négociations du prochain CFP seront difficiles car les intérêts des États membres sont très divergents. Notre pays, par exemple, est très engagé dans le soutien à l'industrie de défense mais souhaite également préserver les crédits de la PAC. Un compromis devra être trouvé dont le FED pourrait faire les frais.

De plus, qui détient l'argent détient le pouvoir. Jusqu'à présent, la Défense était un secteur fortement marqué par l'intergouvernementalité, dont l'Agence européenne de Défense était le symbole. C'était les États-membres qui choisissaient les projets conduits en coopération et les finançaient. Or, les financements du Fonds européen de Défense seront attribués à des projets choisis par la seule Commission européenne, les États-membres comme l'AED étant simplement consultés. En d'autres termes, la Commission est en train de préempter un secteur qui jusqu'à présent relevait exclusivement des États-membres. Après tout, pourquoi pas, mais notre attention a été attirée sur le risque qu'elle ait ses propres priorités et sélectionne des projets qui ne correspondent pas forcément aux exigences du terrain que seuls connaissent les États-membres.

Je prendrai un seul exemple. Trente-quatre projets de développements capacitaires ont été approuvés, par les États-membres participants, dans le cadre de la Coopération structurée permanente, lesquels impliquent la totalité d'entre eux. Or, tous ces projets ont vocation à bénéficier du financement du FED. Dès lors, il apparaît difficile que la Commission, en pleine discussion du prochain cadre financier qui, justement, doit alimenter le FED, ne soutienne que certains de ces trente-quatre projets au détriment des autres. De même et plus largement, la Commission ne pourra très probablement pas concentrer les financements sur quelques projets structurants qui, par définition, ne peuvent bénéficier qu'aux seuls États-membres disposant d'une industrie de défense significative, c'est-à-dire la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Suède. Les « petits » pays et les autres, en particulier en Europe de l'Est, ne l'accepteront pas. Sans faire de procès d'intention à la Commission, le risque est réel que le FED fonctionne sur le modèle d'un fonds structurel classique, assurant pour des raisons politiques un « retour » à chaque État-membre au détriment de l'efficacité globale.

Enfin, je voudrais aborder ce qui, à notre sens, est le principal défi pour l'industrie européenne de défense et peut-être le plus difficile à relever pour l'Union européenne : l'absence de crédibilité opérationnelle de l'Europe de la défense. En effet, au cours de nos travaux et de nos déplacements, nous nous sommes rapidement heurtés à un paradoxe : tous les États-membres soutiennent l'Europe de la défense mais une majorité d'entre eux achètent des armements américains, le dernier en date étant la Belgique qui a préféré le F-35 au Rafale.

Pourquoi ? Pourquoi, malgré leur engagement à soutenir à l'Europe de la défense et son autonomie stratégique, ces États-membres prennent-ils le risque d'affaiblir l'industrie européenne de défense ? La raison en est simple. Par l'achat d'armes américaines, tous ces États-membres achètent la protection militaire américaine, la clause de défense collective de l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord ne suffisant manifestement pas. Ces achats d'armes sont aussi, en Europe de l'Est, l'une des conditions pour obtenir le prépositionnement de troupes américaines sur leur territoire. En Roumanie, par exemple, où nous nous sommes rendus, on nous a expliqué clairement que l'alignement stratégique sur les États-Unis primait toute autre considération dans l'acquisition d'armements.

La réalité, qu'il faut regarder en face, c'est que ces États-membres ne font aucune confiance à l'Union européenne en général ni à leurs partenaires européens en particulier pour les défendre militairement en cas d'agression. L'engagement en faveur de l'Europe de la défense et de l'idéal très lointain de l'autonomie stratégique pèse ainsi très peu face à la réalité immédiate de la menace russe, de la peur qu'elle suscite aujourd'hui en Europe de l'Est et de la puissance militaire américaine qui reste la première du monde.

Par conséquent, si l'on veut garantir la pérennité et la compétitivité de l'industrie européenne de Défense et, ce faisant, l' autonomie stratégique de l'Union européenne, il faut aller au-delà des seules initiatives capacitaires et donner une dimension opérationnelle à l'Europe de la défense.

C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre et saluer l'initiative européenne d'intervention récemment lancée par la France. Contrairement à toutes les initiatives européennes actuelles, elle n'a pas un objectif de développement capacitaire. Elle vise – je cite – à favoriser l'émergence d'une culture stratégique européenne et, en particulier, à renforcer la capacité des Européens à agir ensemble, en créant les conditions préalables pour de futurs engagements militaires coordonnés et préparés conjointement sur tout le spectre de crises affectant la sécurité de l'Europe. Elle est donc parfaitement complémentaire, tout en se situant hors du cadre communautaire, des initiatives capacitaires européennes actuelles.

Le sujet de l'industrie européenne de défense revient régulièrement dans l'actualité. Un article de La Tribune du 5 février 2019 évoque l'opposition de l'Allemagne à l'exportation du missile METEOR MBDA vers l'Arabie saoudite. Je pense à titre personnel que le couple franco-allemand est et restera l'épine dorsale de l'industrie européenne de défense, mais les deux pays doivent travailler au rapprochement de leurs positions. Nous avons souvent entendu lors de nos auditions que la France parle davantage de défense alors que l'Allemagne met plutôt en avant l'industrie.

En conclusion, il faut se féliciter que les États-membres et l'Union européenne aient pris la mesure des enjeux de sécurité et décidé ensemble de s'investir dans le soutien à l'industrie européenne de défense. Toutefois, vous l'aurez compris, ce soutien est, pour une large part, ambigü et sa concrétisation loin d'être acquise. Notre Commission des affaires européennes, le cas échéant en lien avec la Commission de la défense, devra donc être très attentive à la mise en oeuvre de toutes ces initiatives.

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