Nous sommes saisis dans un seul projet de loi de trois accords aériens qui ont été signés en 2016 avec respectivement la Côte d'Ivoire, le Kazakhstan et l'Ouzbékistan. Celui avec la Côte d'Ivoire remplace un accord de 1962 devenu obsolète en raison de l'évolution des normes internationales régissant le secteur aérien.
Les accords aériens bilatéraux constituent un instrument diplomatique des plus classiques. La France en a signé avec une centaine d'autres États ou territoires autonomes, dont la plupart des pays voisins des trois que nous examinons aujourd'hui. Ces trois accords présentent des clauses très voisines, car ils reprennent pour l'essentiel les stipulations d'un modèle d'accord bilatéral élaboré par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), dont la France et ces trois partenaires sont membres.
Les trois pays concernés dans le cas présent ne sont pas des partenaires majeurs de nos échanges aériens, mais offrent des perspectives significatives de développement du trafic aérien bilatéral, que je vous présenterai brièvement avant d'en venir aux clauses des accords, en particulier à leurs clauses fiscales.
Je n'ai pas besoin de rappeler l'intensité des liens qui nous unissent à la Côte d'Ivoire. Ce pays a traversé au début du siècle une décennie très difficile, mais le retour à la paix depuis 2011 a permis tout à la fois un formidable développement économique, avec une croissance annuelle de 7 ou 8 % qui devrait se poursuivre, et une amélioration des relations bilatérales. Le président Ouattara a été le premier chef d'État africain reçu à Paris par le président Macron nouvellement élu ; ce dernier s'est rendu à Abidjan les 29 et 30 novembre 2017 pour le sommet Union européenne-Union africaine. La France est présente militairement, avec environ 950 hommes. L'intensité des échanges humains entre les deux pays est illustrée par la présence d'une communauté française forte d'environ 20 000 personnes. Dans l'autre sens, environ 55 000 Ivoiriens étaient en 2016 détenteurs d'un titre de séjour de longue durée en France. Du point de vue économique, la Côte d'Ivoire est notre deuxième partenaire commercial en Afrique subsaharienne, après l'Afrique du Sud et devant le Nigeria. Près de 700 entreprises françaises sont actives en Côte d'Ivoire et leur chiffre d'affaires cumulé représente environ 30 % du PIB du pays.
S'agissant des liaisons aériennes, Air France propose actuellement deux vols quotidiens et Corsair six par semaine. Le nombre de passagers transportés directement entre les deux pays a plus que triplé depuis 2011, pour s'élever en 2017 à près de 380 000.
Nous sommes liés avec le Kazakhstan par un partenariat économique et politique ancien, depuis son indépendance en 1991. Le Kazakhstan mène en effet une politique étrangère équilibrée, conservant ses liens historiques avec la Russie mais refusant d'y être inféodé. Depuis 2009, six visites présidentielles bilatérales ont eu lieu – quatre à Paris, deux à Astana –, ainsi que de nombreux contacts ministériels et parlementaires. Le Kazakhstan est devenu en 2017 le premier fournisseur de pétrole brut de notre pays, ex aequo avec la Russie. C'est également un pays stratégique pour l'uranium.
Une ligne aérienne directe entre Astana et Paris a été inaugurée le 29 mars 2015. Air Astana assure trois liaisons hebdomadaires. En 2017, le trafic direct sur cette ligne était de l'ordre de 30 000 passagers. Le trafic indirect entre les deux pays était quant à lui estimé la même année à 35 000 passagers. L'importance de ce trafic indirect suggère qu'il existe des opportunités pour développer les dessertes directes.
L'Ouzbékistan, enfin, a été longtemps un pays très fermé, avec un régime très dur. Les relations politiques et économiques bilatérales étaient donc limitées. Cependant, le pays est entré dans une phase d'ouverture politique et économique accélérée suite à l'arrivée au pouvoir du président Mirziyoïev il y a deux ans. Dans ce contexte, le Président de la République a reçu à Paris son homologue ouzbèke le 9 octobre 2018. Plusieurs accords ont été présentés ou signés à cette occasion, pour un total annoncé de plus de 5 milliards d'euros. L'Ouzbékistan est par ailleurs une destination touristique attractive. Depuis le 5 octobre 2018, les citoyens français peuvent y séjourner jusqu'à un mois sans visa et plus de 13 000 de nos compatriotes ont visité ce pays en 2018.
Toutes ces mesures d'ouverture laissent présager une augmentation des voyages. Seule la compagnie Uzbekistan Airways opère actuellement des vols directs entre Paris et Tachkent, à raison de deux par semaine. Le trafic sur cette ligne a été de 23 000 passagers en 2017.
J'en viens aux clauses des trois accords eux-mêmes, qui sont très proches puisqu'il y a un modèle standard. Dans les trois textes, les deux partenaires décident mutuellement de développer leurs relations aériennes en s'engageant à autoriser avec certaines limitations les compagnies désignées par le partenaire à exploiter des lignes entre les deux pays. Des dispositions visent à garantir certains droits des compagnies aériennes, comme d'ouvrir des bureaux commerciaux, de passer des accords de coopération avec d'autres compagnies, de rapatrier leurs recettes commerciales, etc. Les pratiques anticoncurrentielles sont interdites. Il y a également des volets importants consacrés à la sécurité et à la sûreté, avec des possibilités d'inspection des avions au sol et de mesures conservatoires unilatérales si des failles sont détectées.
Il y a enfin des clauses fiscales et c'est sur celles-ci que je voudrais finir mon propos. Les trois accords prévoient, comme tous les accords aériens, une exemption fiscale générale concernant notamment l'équipement normal des aéronefs, le carburant embarqué et les provisions de bord. Cette exemption est conforme au droit fiscal européen et français. Le kérosène échappe en effet à la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques, la TICPE, y compris pour les vols intérieurs ou intra-européens, et la TVA n'est pas perçue non plus sur les billets d'avion pour les vols internationaux. Cette exception, même si elle est mondiale, mérite un focus.
On peut s'interroger sur la signature de nouveaux accords aériens qui perpétuent et gravent dans le marbre l'exonération du kérosène. Je n'ai pas besoin de souligner l'exigence actuelle de justice fiscale exprimée nos concitoyens, en particulier en ce qui concerne la fiscalité des carburants. Cela a même été l'étincelle qui a mis le feu au réservoir de colère il y a quelques mois… Je signale en outre que le kérosène est un carburant très polluant. Il en est de même du combustible lourd brûlé par les navires, mais on voit qu'à Marseille des compagnies maritimes s'équipent ou vont s'équiper de systèmes électriques pour l'alimentation à quai. Il y a donc un réel effort unilatéral des compagnies maritimes. Les compagnies aériennes devraient agir pareillement. La détaxation du kérosène représente une dépense fiscale de plus de 3 milliards d'euros. De plus, le transport aérien international n'est pas soumis aux obligations résultant de l'Accord de Paris en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Des engagements alternatifs ont bien été pris dans le cadre de l'OACI, mais d'une portée très limitée.
Que conclure de tout cela ? Bien sûr, on ne peut pas remettre en cause brutalement et unilatéralement, seulement en France, un avantage fiscal qui est très ancien, qui est mondial et qui est vital pour la compétitivité du secteur, puisque l'impact sur le prix des billets est estimé à 12 %. Mais nous devons aussi être conscients qu'en continuant à signer et ratifier des accords internationaux qui garantissent l'exonération du carburant des avions, nous contribuons à la pérenniser, alors qu'il faudrait peut-être favoriser une évolution progressive et concertée au niveau international.