Mes chers collègues. Je vais vous présenter un protocole signé avec Djibouti le 1er mars 2017, qui porte sur les compétences de la prévôté sur le territoire de ce petit État de la Corne de l'Afrique, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler au sein de notre Commission.
Dans le cadre de la préparation de ce rapport, nous avons auditionné les services compétents du ministère de l'Intérieur, de la Justice, des Armées et de l'Europe et des Affaires étrangères, ainsi que l'ambassadeur de Djibouti.
Cet État assez pauvre se situe néanmoins à un endroit tout à fait stratégique, au niveau du détroit de Bab el-Mandeb, à la jonction de la mer Rouge et de l'océan Indien. C'est par là que transitent environ 40 % des approvisionnements énergétiques mondiaux.
Cette localisation a valu un Djibouti un intérêt croissant de la part des grands pays, qui ont été nombreux à y installer des bases militaires. Aux côtés des Français, on trouve aujourd'hui des Américains, des Chinois, mais aussi des Japonais, ou encore des Allemands.
Bien que Djibouti soit une ancienne colonie française, et demeure aujourd'hui un îlot francophone dans une Afrique de l'Est majoritairement anglophone, notre influence y est clairement concurrencée, y compris sur le plan militaire.
C'est d'autant plus le cas que la France s'est sans doute un peu désinvestie de cette région du monde, alors que ses forces étaient fortement sollicitées ailleurs, au Sahel et au Levant en particulier. La nature ayant horreur du vide, cet espace a été occupé par d'autres, à commencer par les Chinois.
Pourtant, si la France a un peu perdu du terrain à Djibouti, il est frappant de constater qu'elle y reste très populaire. De part et d'autre, on aime faire mention d'une relation privilégiée entre la France et Djibouti, qui remonte à la signature d'un traité d'amitié en 1862, sous le Second Empire. Signe de cet attachement mutuel sans doute, Djibouti a été le dernier à quitter le giron colonial français, en 1977.
Quant aux troupes françaises, elles n'ont jamais quitté Djibouti. Le jour même où l'indépendance était proclamée, un protocole fut signé, qui actait le maintien à Djibouti d'un contingent militaire français important : ce fut la naissance des Forces françaises à Djibouti.
Celles-ci sont encore présentes aujourd'hui, même si le contingent s'est un peu réduit au fil du temps : nous sommes passés de 3 000 soldats en 1977 à 1 400 environ aujourd'hui. Cette présence militaire française demeure un élément structurant de notre relation bilatérale. Elle est très bien accueillie par les Djiboutiens : l'ambassadeur nous l'a confirmé.
En effet, la France est la seule force militaire avec une présence familiale à Djibouti ; les autres contingents fonctionnent en vase clos sur leurs bases, dont ils sortent rarement. À l'inverse, les familles des militaires français font leurs courses à Djibouti-ville, mettent leurs enfants à l'école française : cette communauté d'environ 4 000 ressortissants joue un rôle non négligeable dans l'économie de ce petit pays.
J'en arrive donc au sujet qui nous intéresse aujourd'hui : le protocole sur les compétences de la prévôté à Djibouti.
Qu'est-ce que la prévôté ? Ce sont des unités de la gendarmerie nationale qui sont déployées auprès des forces armées hors du territoire français. On en entend peu parler, mais en réalité, la prévôté a toujours accompagné le déploiement des armées en campagne, depuis aussi longtemps que l'armée française existe. On peut remonter ainsi jusqu'à Philippe VI qui, en 1330, avait confié à une troupe spéciale, sous l'autorité d'un prévôt des maréchaux, la tâche de traquer les déserteurs et les soldats coupables de pillages et de violences.
À l'heure actuelle, il existe des détachements de prévôté auprès des troupes françaises déployées dans 13 pays. Quand c'est dans le cadre d'une opération extérieure ou d'un exercice, ce sont des détachements de circonstance, avec des prévôts qui se relaient tous les 4 mois. Dans les endroits où des bases françaises sont implantées, ce sont des détachements permanents : les prévôts y sont alors déployés pour une durée de 3 ans. C'est le cas à Djibouti, où l'on trouve un détachement de 6 sous-officiers de gendarmerie, commandés par un officier.
Quel est le rôle de ces prévôts ? Ils ont principalement une mission de police judiciaire : les prévôts sont chargés d'instruire les plaintes et de conduire les enquêtes, en coopération avec les autorités djiboutiennes, dans toutes les situations où les accords de défense bilatéraux octroient un privilège de juridiction à la France. En résumé, ce sont les situations où des infractions ont été commises par ou contre un soldat des forces françaises à Djibouti ou un membre de sa famille.
La présence sur place des prévôts permet de disposer d'une capacité d'investigation immédiate pour faire la lumière sur des litiges impliquant les forces françaises. Cela permet aussi de coopérer directement sur le terrain avec les enquêteurs djiboutiens, sans avoir à passer par les autorités françaises à Paris. La prévôté est donc une institution qui vient en soutien de la projection de puissance des armées, en sécurisant le cadre juridique et en fluidifiant la coopération avec les autorités locales.
À Djibouti, les litiges qui impliquent les forces françaises sont surtout des atteintes aux biens : vols ou escroqueries contre les soldats ou leurs familles, par exemple. Mais ce sont aussi parfois des situations plus graves.
Les militaires français peuvent également être à l'origine de problèmes, par exemple d'accidents de la circulation, ou de violences et de bagarres dans les établissements où ils sont autorisés à sortir le soir. Mais globalement, ces situations restent peu fréquentes. La présence des prévôts permet de prévenir les débordements et de donner rapidement un traitement judiciaire aux problèmes qui surviennent, de façon à éviter qu'ils ne contaminent la relation bilatérale avec Djibouti.
Voilà, en quelques mots, ce qu'est la prévôté à Djibouti. Maintenant, quel est l'intérêt du protocole qui nous est présenté ? Jusqu'à aujourd'hui, la base juridique de l'action de la prévôté à Djibouti était un protocole daté de 1980. Ce protocole était unique en son genre : dans tous les autres pays où des prévôtés sont déployées, leurs missions ne sont jamais formalisées par un protocole bilatéral. Avec Djibouti, la France a obtenu ce protocole qui permet d'aller plus loin dans la reconnaissance des missions qui sont dévolues aux prévôts : cela nous est très favorable.
Pourtant, le protocole de 1980 était obsolète dans certains domaines. Pourquoi ? À titre d'exemple, il faisait référence à notre accord de défense bilatéral de 1977, alors que celui-ci a été abrogé en 2011, lorsque nous avons signé un nouveau traité de coopération en matière de défense. C'est donc l'intérêt principal du protocole qui nous est soumis aujourd'hui : il est en conformité avec le cadre juridique global de notre relation avec Djibouti. Pour le reste, les missions de la prévôté demeurent largement inchangées, mises à part quelques modifications mineures, qui vont plutôt dans le sens d'une plus grande sécurité juridique pour nos militaires et leurs familles.
Au total, vous l'aurez compris, le protocole soumis à notre vote ne modifie guère les missions et conditions d'exercice des prévôts à Djibouti. Cet accord a néanmoins son importance sur le plan de notre relation bilatérale avec Djibouti : il marque notre volonté commune de conforter notre partenariat stratégique, centré sur la présence militaire française à Djibouti.
Djibouti montre son attachement particulier à la France dans un contexte où il est courtisé par d'autres. Réciproquement, la France marque sa volonté de se réinvestir à Djibouti après quelques années où elle avait été plutôt en retrait. À cet égard, l'Ambassadeur nous a dit sans ambiguïté que la France était attendue, et je pense qu'il faut répondre à cet appel.
Nous pouvons le faire en commençant par ratifier ce protocole ; côté djiboutien, la procédure de ratification est en cours et devrait aboutir rapidement, dès lors que la France aura achevé le processus de son côté.