Monsieur le président, mes chers collègues, notre groupe a choisi d'inscrire dans sa « niche » du 21 février prochain une proposition de loi visant à l'institution d'un fonds de soutien à la création artistique. Je suis certain qu'au sein de notre commission, nous partageons tous le constat qui nous a servi de point de départ, celui d'une précarité croissante des artistes auteurs.
Les artistes auteurs apparaissent, à de nombreux égards, comme les parents pauvres de la culture. Le budget que le ministère consacre à la création artistique est extrêmement faible comparé à celui qu'il dédie à l'audiovisuel public ou même au spectacle vivant : seuls 74 millions d'euros sont affectés aux arts visuels, par exemple, soit près de dix fois moins que le spectacle vivant.
Les artistes auteurs sont aussi, pour beaucoup, les laissés pour compte du droit d'auteur. Les plasticiens ont ainsi toutes les peines du monde à se faire rémunérer, y compris par des institutions muséales de premier plan, des maisons de vente et des journaux, au titre de la représentation de leurs oeuvres.
Les artistes auteurs vivent très souvent en dessous du seuil de pauvreté ou sont contraints de prendre un emploi alimentaire, qui devient très vite leur activité principale, au détriment de la création artistique. Je citerai ici quelques chiffres issus d'études récentes. La moitié des écrivains gagnent moins de 1,6 fois le smic et sont, dans 88 % des cas, obligés d'exercer une autre activité professionnelle ; 20 % d'entre eux vivent sous le seuil de pauvreté alors que pour la population française dans son ensemble, ce taux s'établit à 14 %. La situation des auteurs de bande dessinée est pire encore : 53 % sont en dessous du salaire minimum et 50 % des femmes auteurs de bande dessinée vivent en dessous du seuil de pauvreté. Une oeuvre qui nécessite un an de travail à temps plein est ainsi souvent rémunérée moins de 7 000 euros. Les plasticiens sont très nombreux à connaître la pauvreté, bien loin de quelques stars du milieu qui peuvent vendre leurs toiles à prix d'or : 53 % d'entre eux vivent avec moins de 8 700 euros par an, soit bien en dessous du seuil de pauvreté.
Vous me direz qu'il existe des aides, publiques et privées, dans ce domaine. Mais si l'on regarde leurs critères d'octroi, on s'aperçoit très vite qu'elles ne peuvent concerner qu'un très petit nombre d'artistes ayant déjà fait leurs preuves. Elles ont presque toutes pour condition d'avoir déjà un projet en tête. Souvent d'un faible montant, elles ne sont pas pérennes et ne sont généralement pas cumulables entre elles. Je vous donnerai un seul exemple : en 2018, l'aide du Centre national des arts plastiques (CNAP) n'a été distribuée qu'à dix-neuf des 61 223 artistes que compte notre pays.
À l'évidence, le système actuel n'a ni pour objectif ni pour effet de remédier à la précarité des artistes auteurs. Finalement, le seul dispositif pérenne qui existe pour eux est celui de droit commun : le revenu de solidarité active (RSA).
Or, la création a un coût à défaut d'avoir un prix. Le plasticien doit acheter des matériaux, le photographe doit voyager, l'écrivain doit mener des recherches. Ce n'est pas en vivant sous le seuil de pauvreté, quoi que véhicule cette image romantique de l'artiste, que l'on peut créer librement.
Vous l'aurez compris, j'ai eu à coeur, avec cette proposition de loi, de trouver des solutions concrètes et durables aux problèmes que rencontrent aujourd'hui beaucoup d'artistes.
Je vous ferai grâce ici de réflexions philosophiques que nous pourrions avoir sur l'artiste et la cité, mais je crois nécessaire de redire ici que l'art n'est pas un divertissement : il est indispensable à la société et au vivre-ensemble. L'art et la culture sont consubstantiels à notre humanité et à notre capacité à faire société. Or il ne saurait y avoir de diffusion artistique sans artistes auteurs pour lui donner un sens.
D'un point de vue plus terre à terre, la création artistique contribue aussi grandement à l'activité économique de la France et à son rayonnement international. Je rappellerai à ce propos quelques résultats frappants de l'étude commandée par France Créative il y a quelques années : les industries créatives, avec 83,6 milliards d'euros de revenus et 1,3 million d'emplois, constituent le troisième secteur économique après l'hôtellerie-restauration et le bâtiment, devant l'automobile et l'industrie pharmaceutique. La France se situe au quatrième rang mondial pour le marché de l'art et au deuxième rang pour les exportations de films. Elle a le répertoire musical le plus diffusé dans le monde derrière les États-Unis.
La proposition de loi vise – c'est probablement le point le plus important – à instituer un droit social nouveau à destination de cette population. Un droit n'est pas discrétionnaire, il ne dépend pas du niveau des ressources publiques : il est appliqué quoi qu'il advienne. C'est une différence majeure avec les aides actuelles. Ce droit reviendrait à subvenir aux besoins d'un artiste pendant neuf mois maximum sur une période de trois ans renouvelable afin de lui permettre de se consacrer tout entier à la création. Ce dispositif permettrait également de remédier à la reproduction des inégalités sociales qui touche le milieu artistique : ceux qui viennent d'un milieu aisé, à même de les soutenir financièrement, sont libres de créer quand ceux qui viennent de milieux modestes sont de facto évincés. Cette situation ne peut qu'appauvrir la création française. Ce droit nouveau, qui doterait tous les artistes d'un véritable statut social, serait une juste reconnaissance de l'importance de leur activité dans la construction de nos sociétés.
Nous entendons également mettre en place une autre aide, là aussi différente des aides actuelles, de soutien à la première création. Elle serait ponctuelle et concernerait les jeunes artistes – il ne s'agit pas de faire du jeunisme mais d'aider ceux qui commencent une carrière quel que soit leur âge – et serait attribuée sur la seule base du projet artistique, sans tenir compte du curriculum vitæ du bénéficiaire.
Ainsi, nous aiderions les artistes à des moments charnières de leur vie professionnelle : le tout début pour les aider à démarrer, les moments de latence entre deux projets ou les phases de production de projet qui requièrent du temps.
Vous vous interrogez probablement sur le financement de cette mesure dont vous partagez, j'en suis sûr, tous les objectifs. Nous avons choisi d'asseoir son financement sur ceux qui tirent profit du travail des artistes, en particulier des oeuvres entrées dans le domaine public qui, soixante-dix ans après la mort de leur créateur, ne font donc plus l'objet de quelconques droits d'auteur. Dès lors que vous réalisez des bénéfices sur l'utilisation lucrative d'une oeuvre tombée dans le domaine public, vous devrez en verser une infime partie – 1 % – à l'État et au fonds de soutien à la création artistique. Il s'agit d'une forme de soutien intergénérationnel entre les artistes qui ont réussi et ceux à qui on donne ainsi les moyens de réussir.
Mes chers collègues, je ne doute pas un seul instant que vous soutiendrez cette proposition de loi aussi nécessaire qu'essentielle.