Merci, madame la présidente de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, chère Barbara Pompili.
Madame la présidente, Madame la rapporteure, Madame et Messieurs les rapporteurs des commissions et délégation pour avis, Mesdames et Messieurs les députés, je suis très heureuse de participer aux travaux de votre commission pour l'examen de la proposition de loi portant création de l'ANCT. Il s'agit, en effet, d'un texte important pour les territoires, leurs élus et l'État. Je tiens à saluer votre forte mobilisation qui vient d'être rappelée par la présidente. Le nombre élevé d'instances qui s'y sont intéressées montre l'importance de ce texte. Cette forte mobilisation s'est également manifestée au Sénat, lors des débats en commission et en séance qui ont abouti à l'adoption de ce texte à une très large majorité.
En ce début d'examen à l'Assemblée nationale, je tiens d'abord à rappeler que la création de l'ANCT, annoncée par le Président de la République au cours de l'été 2017, constitue une réponse à une demande formulée par les représentants d'élus, en particulier par l'Association des maires de France (AMF) qui souhaitait « une simplification dans le paysage des opérateurs de l'État intervenant au profit des territoires. » Des initiatives législatives, d'origine parlementaire et gouvernementale, ont démontré la volonté commune de concrétiser cette annonce. Cette proposition de loi constitue un nouveau vecteur. Le Gouvernement y a apporté son entier soutien depuis le début du processus législatif.
La création de l'ANCT suscite des interrogations et des craintes. J'en suis consciente et je trouve cela normal. Elle suscite également beaucoup d'attentes comme j'ai pu le constater encore hier, lors d'un déplacement dans le département de la Gironde où de nombreux élus m'ont parlé de ce texte. C'est pourquoi je tiens dès à présent à dire que la création de cette agence traduit un profond changement de méthodologie de l'État au profit des territoires.
Pourquoi créer une telle agence ? En tant que parlementaires et parfois élus locaux, vous êtes parfaitement au fait des difficultés que rencontrent certains, notamment dans les petites collectivités et dans les territoires les plus fragiles, qu'ils soient urbains ou ruraux. Rappelons que la fragilité ne se rencontre pas que dans une certaine catégorie de territoires. Lorsque ces élus souhaitent concrétiser un projet, ils éprouvent quelques difficultés à trouver de l'assistance, d'une manière générale.
Premier problème : certaines collectivités ne disposent pas en interne des capacités techniques et financières nécessaires pour monter et réaliser leurs projets. Deuxième problème : lorsque les collectivités – et parfois même les préfets – sollicitent l'appui des services et opérateurs de l'État, elles sont confrontées à une sorte de maquis administratif qui les contraint à « faire la tournée » de ces acteurs. En effet, ceux-ci interviennent parfois d'une manière non coordonnée et selon une approche sectorielle et individuelle qui ne répond pas à une vision globalisée du territoire.
Je pourrais citer des noms, vous les avez tous en tête. Ces organismes ont tellement tendance à vivre leur vie, qu'on en vient à oublier que ce sont des opérateurs de l'État. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ou l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) sont des opérateurs de l'État. Quand je vais faire des inaugurations sur les territoires, je suis frappée de constater que les gens oublient parfois de faire les additions quand ils évoquent la participation financière de l'État aux projets en question : ils comptent bien la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), mais ils ne retiennent pas ce qui vient des agences que je viens de citer et qui sont des opérateurs de l'État.
Cette situation conduit à des pertes de temps et d'énergie. Une meilleure lisibilité et une réelle coordination permettraient d'avancer plus sereinement et plus rapidement pour concrétiser les projets portés par les territoires. Depuis des années, certains élus locaux se plaignent d'ailleurs de ce manque d'efficacité et souhaitent la création d'un guichet unique vers lequel ils pourraient se tourner pour réaliser leurs projets. L'ANCT sera ce guichet unique car, pour coordonner des opérateurs divers, il faut soi-même fonctionner comme un opérateur. Au plan local, c'est le préfet qui sera le délégué territorial de l'agence. Il s'agit là d'un point essentiel sur lequel je souhaite m'arrêter quelques instants.
Que signifie concrètement que le préfet sera le délégué territorial de l'agence ? Cela veut dire qu'un élu porteur d'un projet se tournera vers son préfet ou son sous-préfet. En tant que délégué territorial de l'agence, celui-ci mobilisera les autres opérateurs que sont l'ANRU, l'ANAH et l'ADEME, ainsi que les agents de l'EPARECA, celui-ci, autre acteur important de la politique de la ville, se trouvant intégré dans l'ANCT.
Cela signifie également qu'il n'y aura pas d'antennes déconcentrées de l'ANCT. Il n'y aura pas d'officines, de maisons qui porteraient l'inscription « Agence nationale de la cohésion des territoires ». Le préfet sera le représentant unique de l'ANCT pour les élus porteurs de projet. De nombreux opérateurs ou services de l'État sont déjà implantés sur l'ensemble du territoire. Citons le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) qui possède huit implantations dans différentes régions de France.
Cela me permet de faire le lien avec une autre question récurrente : qui sont ces élus locaux porteurs de projet au profit desquels l'ANCT interviendra ? Tous les élus et toutes les collectivités, de métropole ou d'outre-mer, pourront s'adresser à l'ANCT. Il pourra s'agir de communes, d'intercommunalités, de départements, de régions et même de territoires qui s'étendent sur des collectivités différentes. En effet, certains projets peuvent s'étendre sur plusieurs collectivités ou sur des syndicats comme les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR) et les pays. Tout le monde pourra s'adresser à l'ANCT. L'agence déploiera son action en direction de ceux qui la sollicitent. Cela étant, un porteur de projet n'est pas obligé de s'adresser à l'ANCT s'il a tout ce qui lui faut en manière d'ingénierie technique et de finances. Certains élus sont habitués et très habiles pour trouver les ressources. Le recours à l'agence n'est pas une obligation. Certains départements disposent d'une agence technique et ils continueront à aider les élus qui les ont sollicités jusqu'à présent.
Ayant assisté personnellement à l'entretien entre le Président de la République et M. François Baroin, je tiens à apporter une précision. Ceux qui réclamaient la création de cette agence pensaient a priori aux territoires les plus fragiles – urbains, périurbains ou ruraux –, situés là où les moyens manquent le plus et où l'on a le plus de mal à réaliser des projets ou à répondre à des appels à projet. Comme vous le savez, quand l'État ou les régions lancent des appels à projet, ce sont toujours les mêmes qui répondent. Certaines collectivités ne sont pas en mesure d'y répondre sur le plan technique. Cette politique, qui tient compte des spécificités de chaque territoire pour assurer son développement, est au coeur de l'action que je mène au sein de mon ministère et l'ANCT en sera un outil très important.
Cette manière d'agir correspond à une idée fondamentale que je développe à toute occasion : la diversité du territoire est si grande qu'il faut des réponses sur mesure. L'ANCT pourra apporter un appui technique sous forme d'ingénierie, mais aussi un soutien financier en coordonnant les opérateurs de l'État. L'agence pourra ainsi mobiliser les ressources diverses et variées que je viens de citer.
L'idée de cet appui technique a immédiatement fait réagir les anciens présidents de conseil général présents au Sénat qui y ont vu une concurrence pour les agences techniques des départements. Ce ne sera pas le cas. Le préfet aura aussi pour tâche d'assurer une coordination entre le département qui répond techniquement aux besoins des projets et les autres intervenants, notamment les intervenants financiers. Il ne s'agit pas du tout de remplacer les agences techniques des départements ou des intercommunalités. Signalons que certaines intercommunalités ont mis leur ingénierie au service de leurs communes membres pour des projets communaux et non pas communautaires. On ne va pas aller chercher des solutions pour des gens qui n'ont pas de problème. S'ils ont des réponses, tant mieux ! Sur certains territoires en revanche, les réponses sont inexistantes ou partielles. C'est là où le rôle du représentant de l'État sera d'assurer une coordination avec l'ensemble des intervenants.
La création de l'ANCT témoigne d'une volonté de changer de méthodes. L'État peut innover dans le domaine des politiques publiques quand il l'estime nécessaire. Prenons l'exemple du plan « Action coeur de ville » destiné aux villes moyennes. Dans le cadre de ce dispositif, l'État a lancé un appel à candidatures et 222 villes, qui avaient un projet d'aménagement de leur centre, ont signé des conventions avec lui. À l'avenir, l'État pourra se servir de l'ANCT comme d'un outil lui permettant de déployer ses politiques publiques sur l'ensemble du territoire car les villes qui ont un projet pourront bénéficier des conseils de l'agence. Nous en sommes à la troisième réunion des villes labellisées « Action coeur de ville ». L'une de ces réunions s'est tenue à Poitiers et la prochaine aura lieu à la Cité de l'architecture et du patrimoine de Paris. Ces 222 villes travaillent sur des thématiques comme le commerce ou l'environnement, avec l'idée de partager les bonnes pratiques. L'État et ses fonctionnaires – qui sont des spécialistes dans tel ou tel domaine – sont là pour accompagner cette politique et son application sur le territoire.
Le Gouvernement a décidé de créer l'ANCT à partir de trois services existants : le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), l'Agence du numérique et l'EPARECA qui concerne les espaces commerciaux et artisanaux. Précisons-le tout de suite pour couper la tête à un canard qui peut courir un peu vite : nous ne créons pas de nouvelle structure, mais nous intégrons des services de l'État qui existent pour améliorer l'efficacité et la coopération. L'intégration de ces organismes correspond à un choix pragmatique et stratégique. D'autres autres agences d'État – l'ANRU, l'ANAH, l'ADEME et le CEREMA – pourront passer des conventions ou être utilisées pour certains projets. Je suis allée récemment dans une commune de la banlieue de Périgueux où une nouvelle opération de l'ANRU implique de multiples intervenants. L'ANCT sera la concrétisation de cette politique.
La gouvernance de l'agence ne manquera pas de susciter des réactions. Le Gouvernement est favorable au respect de certains équilibres dans l'ANCT qui comptera des sénateurs, des députés et des élus locaux. Les sénateurs ont adopté un amendement prévoyant que la majorité des sièges reviendrait aux élus locaux. Pour ma part, je persiste et je signe : l'État doit être majoritaire dans une agence de l'État où il y aura une large représentation des élus locaux. De la même manière, on ne va pas demander au préfet de présider l'agence technique d'un conseil départemental ou d'autres structures qui dépendent des collectivités locales. Il faudra évidemment faire en sorte que toutes les catégories de collectivités territoriales soient représentées à l'ANCT pour que leurs spécificités soient prises en compte. Cet équilibre ne me paraît pas incohérent étant donné que cette agence sera financée par l'État et composée d'agents de l'État.
Nous aurons l'occasion d'en débattre plus longtemps, mais je répète qu'il s'agit d'un outil de l'État au service des collectivités territoriales. L'État compte beaucoup de techniciens et d'ingénieurs qui sont à son service mais qui ne sont pas toujours assez ouverts sur l'extérieur, pour le dire gentiment. Avec l'ANCT, nous voulons apporter des réponses concrètes aux collectivités territoriales qui le demandent, qui en ont besoin et qui rencontrent des problèmes spécifiques.
Les mouvements de décentralisation et de déconcentration ont modifié le rôle de l'État qui doit changer ses méthodes de travail avec les collectivités territoriales : il doit passer du rôle de prescripteur à celui de facilitateur, d'accompagnateur. Nous avons identifié nombre de freins. Avec cette agence, nous avons l'opportunité de créer un nouvel outil lisible et fonctionnel au profit des territoires et des élus.
Pendant les vingt-cinq années durant lesquelles j'ai été maire d'une petite commune périurbaine, c'est-à-dire entre 1989 et 2014, j'ai vu disparaître un certain nombre de services de l'État sur les territoires. J'ai observé les effets de la déconcentration de l'État sur les territoires. Il y a un manque dans les petites communes et sur les territoires les plus fragiles, même si d'autres collectivités sont en mesure de leur apporter une aide. L'ANCT est un retour de l'État sur les territoires.