Mon propos s'inscrit dans le prolongement de l'intervention du président Davy, avec un regard peut-être plus technico-économique sur le premier retour d'expérience que nous pouvons dresser après trois ans de déploiement des infrastructures en Maine-et-Loire. Le président a fait état du bilan coûts – avantages, resté positif malgré les coûts d'exploitation et l'investissement initial assez élevés.
Le fait d'être satisfait n'empêche toutefois pas de se poser un certain nombre de questions. C'est en tout cas le sens de mon exposé, qui commence par une analyse des écarts qui ont pu apparaître par rapport au modèle économique établi au début du processus de déploiement, en 2014. L'élaboration d'un modèle économique répondait à une demande des élus, qui étaient sceptiques non face à la démarche elle-même, mais sur le fait que ce rôle soit confié à des opérateurs publics. Un certain décalage a ainsi été constaté par rapport à nos prévisions initiales, qui tient moins au nombre de véhicules en circulation en Maine-et-Loire qu'à l'analyse du comportement même de ces véhicules. Le marché du véhicule électrique est certes un peu en retard par rapport aux prévisions, mais l'écart n'est pas si considérable : on comptait à peine 400 véhicules au début du déploiement, contre environ 2 000 à ce jour, alors que notre prévision était de 2 600. L'écart n'est donc finalement pas énorme.
Le taux de pénétration du véhicule électrique est, en Anjou, légèrement inférieur à 2 %, ce qui correspond à peu près à la moyenne nationale. On observe toutefois de légères disparités, qu'il est intéressant d'analyser. Par exemple, les territoires les plus ruraux connaissent le taux de pénétration le plus élevé en pourcentage, ce qui contribue à balayer l'idée selon laquelle le véhicule électrique serait un phénomène essentiellement urbain. Le taux de vente est en outre corrélé au rythme de déploiement du réseau : le taux le plus faible est ainsi constaté dans le dernier territoire intercommunal à s'être inscrit dans le programme de déploiement et, inversement, le taux le plus élevé se rencontre dans le territoire qui fut le premier à inaugurer une borne.
Ainsi que je le soulignais, le décalage réside moins dans le nombre de véhicules électriques en circulation que dans le comportement de leurs propriétaires. Par exemple, le nombre d'abonnés est très inférieur à nos prévisions : nous comptons ainsi seulement 386 abonnés en 2018, alors que dans nos prévisions nous avions estimé que chaque propriétaire de véhicule électrique serait abonné, soit un total de 2 000. Quelles peuvent être les causes de cet écart ? Il peut s'agir d'un marketing insuffisant. On peut en outre penser que certains propriétaires hésitent à s'abonner car ils rechargent leur véhicule directement chez eux. Sans doute faut-il également prendre en compte le rôle de l'interopérabilité, dans la mesure où il est possible de prendre un abonnement ailleurs que chez nous, et d'utiliser nos bornes. Il faudrait sûrement analyser aussi le comportement des flottes de véhicules d'entreprises, qui est très spécifique.
Le nombre de charges est également assez inférieur à nos prévisions. Nous avions en effet établi dans notre modèle d'affaire un niveau de 3 000 recharges mensuelles, alors que nous n'en sommes qu'à 500. Le réseau 22 kVA est très spécifique et a un rôle quelque peu ingrat, car il est perçu comme un réseau de secours. Nous savions dès l'origine que neuf charges sur dix seraient réalisées sur le lieu de travail ou d'habitation des propriétaires de véhicules électriques, mais ce pourcentage est en réalité certainement encore plus élevé. Il faut admettre que la confiance des « électromobilistes » dans la capacité de leur véhicule est assez forte, si bien qu'ils se passent fort bien du réseau public. Quant aux bornes rapides, même si leur exploitation est encore très récente, elles connaissent une évolution beaucoup plus positive, car elles sont vraiment adaptées à l'itinérance.
Cette dérive par rapport au modèle d'affaire n'est pas notre seul sujet de préoccupation. Nous nous soucions en effet également du caractère inéquitable de la tarification établie par rapport aux modes de fonctionnement des différentes recharges, ce qui a été parfaitement expliqué précédemment par mon collègue. Lorsqu'une tarification a été établie pour la première fois en France, répondant au souhait des élus de ne pas donner le signal que l'on pouvait délivrer de l'énergie gratuitement, notre dispositif tarifaire était basé sur le temps de connexion. Cette tarification présente des avantages, mais on se prive potentiellement de la moitié du marché, constituée de véhicules qui ne peuvent pas bénéficier de la recharge accélérée des bornes 22 kVA. Il s'agit là d'un vrai sujet.
Au-delà, nous rencontrons quelques difficultés de rodage technique, qu'il nous faut aplanir avant d'envisager un développement ultérieur. Les bornes rapides ne sont pas parfaites non plus : il existe une grande incompréhension des usagers sur la question du temps de recharge, particulièrement dans un dispositif basé sur le temps de connexion. Le temps de recharge dépend en vérité de plusieurs facteurs : la puissance de la borne, la capacité de la batterie, le type de chargeur embarqué dans le véhicule, et l'état de la batterie au moment de la charge. Or, les usagers n'en ont pas conscience : ils repartent, consultent la facturation, constatent que cette dernière ne correspond pas aux kilowattheures apparemment délivrés, et nous font part de leur insatisfaction. Il faut alors faire oeuvre de pédagogie. Ceci crée toutefois des différends. Le « parcours usager » est encore perçu comme un cheminement relativement compliqué, malgré tout le soin apporté à l'ergonomie des bornes et des systèmes de paiement. Par ailleurs, il arrive qu'en période de rodage, des bornes présentent quelques dysfonctionnements, dus, par exemple, à un mauvais paramétrage en usine, ou à un problème de connexion GSM, surtout dans les territoires les plus ruraux.
Il m'apparaît vraiment important de se concentrer sur la qualité du service, avant toute phase de développement ultérieur, ce qui passe par un contrôle étroit de l'exploitant, des bornes elles-mêmes, et par la mise en place d'un service de médiation, interne ou externalisé. Nous y travaillons actuellement. Il convient, enfin, d'être très vigilant par rapport aux commentaires diffusés sur les réseaux sociaux, car le témoignage d'une expérience négative emporte très vite l'adhésion de l'opinion.
Nos agents sont aussi des usagers du réseau, puisque notre flotte automobile comporte une douzaine de véhicules électriques. Ils contribuent ainsi à signaler les dysfonctionnements éventuels.
Face à toutes ces questions, nous réfléchissons de manière collective, au sein d'une entente régionale et bientôt interrégionale. Nous essayons ainsi, à l'instar du Sud-Ouest, de créer une dynamique collective avec tous les autres syndicats départementaux d'énergies. Nous nous sommes fixé, pour 2019, l'objectif d'établir une feuille de route pour 2025, passant par la mise en place d'un groupement d'achats qui nous permettra de converger plus facilement sur le plan de l'exploitation, et nous garantira une interopérabilité native par le système d'exploitation. Nous allons également financer une étude prospective pour connaître les évolutions à venir, et anticiper la meilleure manière de nous y adapter : quelle tendance de fond pour la puissance des bornes ? Quelles évolutions techniques et réglementaires ? Comment poursuivre le déploiement du réseau, avec le soutien des deniers publics ?
J'aurais encore de nombreuses remarques, mais je vois que le temps qui m'était imparti est écoulé. Je me tiens à votre disposition pour poursuivre la discussion lors des échanges qui suivront.