Intervention de Gilles Voiron

Réunion du jeudi 29 novembre 2018 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gilles Voiron, chercheur CNRS, université de Nice Sophia Antipolis :

Je vais commencer cet exposé en vous présentant une carte qui montre le taux de pénétration des immatriculations de véhicules électriques en 2017, en lien avec la présence de bornes de recharge publiques sur le territoire, à l'échelle communale. Les communes hachurées sont celles qui disposent d'au moins une borne de recharge. On constate une discordance entre la présence des installations de recharge de véhicules électriques (IRVE) et les achats de véhicules électriques (VE) : ainsi certaines communes, en grisé, ne comptent aucune immatriculation de véhicule électrique en 2017, malgré la présence de bornes publiques sur leur territoire, tandis que d'autres, pointées par les flèches, ont des taux de pénétration de véhicules électriques assez élevés, alors même qu'aucune borne de recharge publique n'est implantée, ni sur leur territoire ni dans les communes périphériques.

La composante recharge n'est donc pas le seul élément à prendre en compte dans le système territorialisé de la mobilité électrique. Les autres facteurs à considérer sont intégrés dans l'étude que je conduis, financée par l'ADEME, sur la capacité des territoires à intégrer la mobilité électrique. Dans ce travail, intitulé CATIMINI, nous prenons en compte quatre grandes composantes pour étudier le potentiel des communes à intégrer la mobilité électrique à batterie. Cette étude concerne également le véhicule à hydrogène.

Parmi ces composantes, figure bien évidemment la facilité de la recharge, mais aussi l'adéquation du VE aux besoins de déplacements de la population, notamment pour aller travailler, l'intérêt de la population pour l'achat d'un véhicule électrique, et le contexte local.

Concernant plus précisément la facilité de recharge, nous considérons le domaine privé, à domicile, avec notamment la morphologie de l'urbain : se situe-t-on plutôt dans des communes de type pavillonnaire, avec une facilité de recharge à domicile, ou plutôt dans des communes comportant une forte proportion de logements collectifs, comme dans les grands centres urbains ? Nous prenons bien sûr aussi en compte la recharge publique, avec la présence de bornes.

L'adéquation du VE aux besoins de déplacements inclut le kilométrage quotidien des habitants de ces communes, le pourcentage de pente des routes, la zone PACA comportant à la fois des territoires avec une topographie complètement plane et d'autres très montagneux, comme dans les Hautes-Alpes ou les Alpes de Haute-Provence.

Pour estimer l'intérêt des populations pour l'achat d'un VE, nous envisageons des aspects financiers tels que les revenus des habitants, le prix du véhicule, et les différentes aides susceptibles d'être allouées, à la fois par l'État et les départements, à l'image des aides du Grand Paris et plus récemment des Bouches-du-Rhône, mais aussi les contraintes réglementaires environnementales, qui peuvent être appliquées à l'échelle communale, telles que les péages urbains ou les zones à faibles émissions (ZFE), qui peuvent être mises en place dans les grandes métropoles notamment.

Cette étude prend enfin en compte le contexte local, avec une partie qui aborde les manifestations et la communication autour du véhicule électrique, le parc de VE roulant sur le territoire, ainsi que la présence ou non d'un service d'autopartage de véhicules électriques dans la commune.

En tant que géographes, nous avons cartographié les différents résultats obtenus à l'échelle communale, à partir de l'expérimentation menée dans la région PACA. L'objectif, avec l'utilisation des données en open data, est que les autres collectivités locales puissent réutiliser ce système et ce logiciel pour estimer le potentiel de leurs communes.

L'une des cartes présente l'évaluation de la capacité globale des territoires de PACA à adhérer à la mobilité électrique. Figurent en jaune les communes présentant des scores plutôt faibles et en rouge foncé les territoires ayant des scores plutôt élevés. On constate que les grands centres urbains, tels qu'Aix, Marseille, Nice ou Toulon, pénalisés notamment par leur important parc de logements collectifs, ont plutôt des scores moyens. On note en revanche de très forts scores dans le département des Bouches-du-Rhône qui, depuis le 1er novembre 2018, subventionne à hauteur de 5 000 euros les véhicules électriques, en complément de la prime nationale de 6 000 euros.

Concernant plus précisément le sujet même de cette audition, autour de la facilité de recharge, je précise que la carte présentée prend à la fois en compte la recharge privée, avec la morphologie de l'urbain, et publique. On constate, comme sur la carte précédente, que les grands centres, comme Avignon, Aix, Marseille, Nice ou Toulon, sont très fortement pénalisés par la présence sur leur territoire communal de nombreux logements collectifs, malgré l'implantation d'un grand nombre de points de charge, insuffisante pour relever leurs scores.

Le modèle norvégien a été évoqué à plusieurs reprises au cours de la matinée. Ce pays est en effet l'un des plus avancés en matière de développement du véhicule électrique. Une étude récente menée en Norvège par l'ONG Transports et Environnement révèle que 5 % des recharges y sont effectuées sur des bornes publiques et note une diminution des VE utilisant quotidiennement une borne de recharge publique, passant de 10 % en 2014 à 2 % en 2017. En revanche, l'étude a parallèlement mis en lumière une augmentation de la recharge rapide le long des grands axes routiers, en lien notamment avec l'accroissement concomitant de l'autonomie des véhicules électriques, permettant désormais d'effectuer de longs déplacements.

Le retour d'expérience que j'ai réalisé auprès d'un syndicat d'énergies qui disposait à la fois de bornes normales et accélérées, mais aussi de bornes rapides, a montré qu'à l'époque où les recharges étaient gratuites, quatre fois plus de recharges étaient effectuées sur des bornes rapides que sur des bornes accélérées. J'ai appris de ce syndicat que les nouvelles études menées en 2018 ont permis de constater que cet écart s'était encore accru, malgré la tarification mise en place, plus élevée pour les bornes rapides que pour les bornes accélérées ou normales. Nous avons également observé d'importants écarts d'utilisation selon la localisation des bornes : ainsi, certaines bornes accélérées ne sont utilisées qu'une seule fois par mois.

Les préconisations formulées à partir de ces analyses invitent tout d'abord à repenser la localisation des bornes, notamment pour les IRVE les moins utilisées, et à créer des sortes de mini-clusters, des rassemblements de bornes, près des IRVE les plus utilisées. Il faudrait également prévoir des ensembles de bornes plus visibles du grand public, avec des bornes plus grandes et réunies en un seul et même endroit. Selon une étude menée durant l'été 2018, 84 % des Français estiment qu'il n'y a pas assez de bornes de recharge publiques. Enfin, il faut aussi réfléchir aux spécificités de l'urbain, avec notamment la présence de logements collectifs. Aujourd'hui, les recharges s'y effectuent essentiellement en voirie, ou dans les centres commerciaux. Des expérimentations ont également été faites avec des candélabres. Toutefois, on constate que lorsqu'il n'est pas possible de procéder à une recharge dans les logements collectifs, malgré la mise en place du droit à la prise, il est très compliqué pour les habitants de recharger quotidiennement leur véhicule. L'une des solutions résiderait dans la création de mini-stations électriques rapides, avec un temps de charge moyen estimé de 15 minutes, qui correspond globalement à l'utilisation actuelle des bornes de recharge publiques, malgré la tarification.

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