Intervention de Juliette Antoine-Simon

Réunion du jeudi 29 novembre 2018 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Juliette Antoine-Simon, directrice générale d'IZIVIA :

IZIVIA, qui s'appelait il y a quelques semaines encore SODETREL, est une filiale détenue à 100 % par EDF, qui déploie et exploite des bornes de charge de véhicules électriques sur le territoire. Nous exploitons aujourd'hui 7 000 points de charge publics en France, sur les 23 000 déployés au total.

Nos clients sont publics, ruraux ou urbains : syndicats d'énergies, villes, métropoles, régions, parmi lesquels des syndicats bretons, l'ancienne région Nord-Pas-de-Calais, mais aussi la ville de Paris. Nous exploitons ainsi le réseau Belib' de Paris et allons prochainement remettre en exploitation 1 000 bornes de charge précédemment Autolib. Nos clients sont aussi des entreprises qui déploient des plans de points de charge pour leurs salariés, leurs clients, ou leurs propres flottes. Par exemple, un grand industriel a déployé 1 200 points de charge pour ses salariés, avec la crainte permanente, déjà évoquée précédemment, que ce service, gratuit, soit requalifié par l'URSSAF.

Nous avons aussi déployé pour notre propre compte, non en qualité d'exploitant mais en tant qu'investisseur, le réseau Corri-Door, qui compte 200 points de charge rapides de 50 kilowatts sur autoroutes. Ce réseau a presque trois années d'existence et nous constatons chaque année une forte augmentation des usages (+67 % par an), ce qui montre que le déploiement de la mobilité électrique est désormais une réalité, et que l'itinérance entre dans les moeurs des conducteurs de véhicules électriques.

Je souhaiterais donc vous apporter un double témoignage, d'une part de prestataire de collectivités et d'entreprises, d'autre part d'investisseur. Je confirme tout d'abord les propos précédents relatifs à la diversité du taux d'utilisation, qui va d'une utilisation par mois et par borne dans certains territoires jusqu'à quinze utilisations par jour et par borne à d'autres endroits. Nous observons ce phénomène à la fois sur les bornes de nos clients publics et sur notre propre réseau Corri-Door, sachant que les bornes les plus utilisées aujourd'hui sont situées dans l'urbain dense, notamment à Paris. Ce constat montre qu'il existe un vrai besoin de points de charge pour nos concitoyens qui achètent un véhicule électrique et qui, habitant en logements collectifs, n'ont pas de borne de recharge à domicile. Il faut leur apporter des solutions. Ceci est vrai également de la recharge rapide, dont la diversité d'utilisation est très grande.

Quel que soit le taux d'utilisation, ce service n'est aujourd'hui pas rentable. En effet, sans parler des coûts d'investissement, les coûts d'exploitation des réseaux sont bien supérieurs aux revenus que l'on peut en attendre. L'équilibre d'exploitation reste un objectif, mais il s'avère compliqué à atteindre. Toutes les subventions publiques, lorsqu'elles existent, sont fléchées vers l'investissement, aucune ne concerne l'exploitation. Or, une bonne qualité de service, que j'appelle tout comme vous de mes voeux, a un coût, qui n'est aujourd'hui pas équilibré par des revenus. Peut-être est-ce d'ailleurs là une piste d'optimisation, pour faire écho au sujet de cette table ronde. Néanmoins, nous observons aujourd'hui un fort intérêt d'acteurs privés financiers, c'est-à-dire de fonds d'investissement, pour le déploiement de bornes de recharge, ce qui montre, me semble-t-il, que dans l'esprit de certains acteurs cette rentabilité va arriver, puisqu'ils sont prêts à investir dans ce domaine.

Je fais allusion notamment au projet, que nous venons d'annoncer, de déploiement de plus de 600 points de charge sur la métropole du Grand Lyon, avec l'accompagnement d'un fonds d'investissement. Je précise toutefois que ce projet a pu être développé car le Grand Lyon nous a donné une forte visibilité sur la durée pendant laquelle nous pourrions exploiter ces bornes. Ainsi, nous bénéficions aujourd'hui de 17 ans de droit d'occupation du domaine public pour notre réseau. C'est à cette condition que nous avons pu investir.

Je me permets d'insister sur le fait que la durée pendant laquelle on peut exploiter un service est essentielle dans l'estimation de la rentabilité de ce service. Ceci constitue une condition sine qua non pour que des investisseurs privés soient prêts à investir sur les territoires. La question de savoir s'ils investiront partout est une autre histoire. Le Grand Lyon est un territoire urbain plutôt dense. Ce type de schéma est-il envisageable en milieu rural ? Il s'agit là d'une vraie question, dont nous pourrons débattre si vous le souhaitez.

Je profite de la tribune qui m'est offerte pour souligner qu'attirer des investisseurs privés suppose de ne pas trop « charger la barque » en termes de coûts. Je fais allusion ici à des dispositions du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM). Par exemple, dans l'état actuel du projet de loi, il est obligatoire d'équiper un certain nombre de places de recharge pour les personnes à mobilité réduite. Or, l'électrification du parc de véhicules ne va pas engendrer une augmentation du nombre de personnes à mobilité réduite. Seul va croître le nombre de personnes à mobilité réduite équipées d'un véhicule électrique. Il me semble donc qu'il faudrait plutôt imposer l'équipement en bornes de charge des places existantes réservées à ces personnes.

Concernant les perspectives d'optimisation, on constate aujourd'hui une sorte de course à la puissance. Corri-Door est un réseau de 50 kilowatts, alors que les futurs projets se situent plutôt à 100, 120, voire 350 kilowatts. Nous-mêmes allons expérimenter deux stations à 350 kilowatts. Je souhaiterais souligner un aspect sur lequel, à mon sens, on n'insiste pas suffisamment : les véhicules électriques qui pourront se charger à de telles puissances le feront pendant très peu de temps. La chimie de la batterie est telle qu'en réalité la batterie va se charger à très forte puissance pendant cinq à dix minutes sur la durée totale de la charge. Ceci signifie que l'on réalise un investissement très important pour une durée réelle d'utilisation très faible de ce fort potentiel. Ceci pose la question de l'efficience de tels investissements. Pour notre part, nous allons densifier le réseau Corri-Door, plutôt à 100 ou 120 kilowatts, ce qui nous semble déjà une puissance importante pour les exploitants du réseau.

Enfin, je souhaiterais vous parler d'intelligence de la charge ou « smart charging ». Précédemment, il a été brièvement question de charge résidentielle, et de la possibilité de recharger son véhicule à domicile sur une prise domestique. Nous pensons qu'il ne s'agit pas, à terme, de la meilleure manière de faire, dans la mesure où la dernière chose à laquelle nous aspirons collectivement, lorsque la France comptera plusieurs millions de véhicules électriques, est que tous les usagers procèdent à une recharge au même moment. Ce serait une catastrophe pour l'équilibre offre – demande, et pour le réseau.

Nous pensons qu'il faut développer des systèmes intelligents d'optimisation de la charge, notamment à domicile, puisque c'est là que se fera l'essentiel des recharges. Nous sommes absolument persuadés que c'est à cette condition que nous optimiserons l'insertion des véhicules électriques dans le système électrique et que nous en tirerons de la valeur, puisqu'ils pourraient constituer une opportunité pour le réseau et le système électrique, plutôt qu'un problème. Cet objectif suppose toutefois de veiller à développer les services qui permettront effectivement de faire des véhicules électriques une sorte d'immense batterie répartie sur le territoire, dont on pourra extraire de la valeur qui, si elle est restituée aux clients, diminuera encore le coût d'utilisation du véhicule. Cela permettrait d'enclencher un cercle vertueux, qui permettrait une adoption du véhicule électrique pour ses vertus environnementales, mais aussi pour son coût, à terme inférieur, pour nos concitoyens, à celui des véhicules thermiques.

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