Merci beaucoup. Devant partir rapidement, je poserai mes questions dès maintenant, même si mes collègues Bruno Sido et Catherine Procaccia sont plus experts que moi pour avoir travaillé sur le sujet dans le passé pour l'Office. Je tiens en premier lieu à saluer le travail remarquable accompli sur cette question des lanceurs en temps réduit, avec une belle liste de références et de personnes consultées, une réflexion solide et des enjeux bien dégagés.
Il s'agit d'une question scientifique et technologique, mais aussi, comme cela a été souligné, hautement politique, avec à la fois une question de souveraineté nationale, et un effet de levier de ces recherches scientifiques et technologiques sur l'économie. Comme cela a bien été dit, du côté américain, des forces considérables soutiennent le secteur, avec la mise à disposition de SpaceX de l'expertise technologique de la NASA, avec une force de frappe médiatique et financière et également avec une souplesse considérable du modèle. Il est hallucinant que quelqu'un comme Jeff Bezos mette personnellement un milliard de dollars sur la table chaque année pour le développement du spatial. On se dit que la compétition est difficile. Et pour autant, on a également l'impression que si on abandonne les lanceurs, comme l'ont fait nos collègues britanniques, on va se retrouver dans une situation de dépendance intolérable au niveau européen : qu'est ce qui empêchera nos amis chinois, russes ou américains, de nous concocter des tarifs exorbitants, afin de terminer de saboter notre industrie en la matière ? Il y a aussi une stratégie américaine qui semble délibérée pour protéger son secteur, avec le Buy American Act et toutes sortes de moyens et de régulations par lesquels la puissance publique favorise l'industrie américaine.
Cette dimension politique doit être mise sur la table. On peut débattre sur le fait de savoir si l'Office doit proposer une recommandation stratégique ou pas. On peut s'interroger aussi sur la question de savoir si, après tout, le sujet de souveraineté sort stricto sensu du périmètre de l'Office. Cependant, je trouve personnellement que le fait qu'il y ait un sujet de souveraineté considérable mérite d'être souligner.
Deuxièmement, c'est un sujet dans lequel les acteurs français sont souvent en conflit entre eux. Par exemple, le constructeur de satellites Thales reproche les subventions considérables au secteur des lanceurs, où on perd de l'argent, alors que la valeur ajoutée est dans les satellites. Les relations sont tendues entre le CNES et ArianeGroup. Arianespace insiste sur l'importance de réussir d'abord Ariane 6, avec en parallèle le lancement de nouveaux développements à la conférence ministérielle de l'ESA prévu fin 2019. En outre, des incertitudes planent sur la viabilité financière de SpaceX, selon un article paru dans Forbes le 11 décembre 2018. Ceci dit, j'ai tendance à penser que si SpaceX se retrouvait en difficulté, quelqu'un s'occuperait de le sauver.
Nous sommes face à une situation complexe où il ne faut pas nous laisser effrayer par les responsabilités. Il me semble qu'il faut reconnaître qu'il y a un débat, et soit faire des recommandations précises, soit dire qu'il y a des choix possibles pour la puissance publique, et quels sont les choix cohérents pour éviter de se retrouver dans un scénario dans lequel la puissance publique retiendrait une partie d'une recommandation, un morceau d'une autre, etc. sous l'effet de l'action des différentes parties prenantes, sans vraie direction globale. Je souhaitais en tout cas insister sur ces deux thèmes, de la souveraineté d'une part, etdu fait que nous nous trouvons face à des grands choix qui font planer aussi un danger sur toute notre industrie en la matière, d'autre part. Nous devons bien avoir conscience de cela.