Intervention de Georges Chapouthier

Réunion du jeudi 17 janvier 2019 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Georges Chapouthier, directeur de recherche émérite au CNRS et philosophe, membre du CA de La Fondation droit animal, éthique et sciences (LFDA) :

Je commencerai par donner quelques grandes idées pour amorcer le débat. Je suis à la fois neurobiologiste et partisan du droit de l'animal. Je pense que seule cette façon de confronter les deux aspects, a priori antagonistes, permettra d'arriver à un résultat. Toute autre solution, soit d'un côté, soit de l'autre, me paraît abusive et excessive.

Tout d'abord, de quel animal parle-t-on ? Le règne animal comprend des groupes très variés, par exemple les éponges, qui n'ont aucune sensibilité, et des groupes d'animaux très nombreux avec une sensibilité nerveuse. Il ne s'agit pas de sensibilité au sens où on l'entend d'une plante ou d'une pellicule photo qui sont sensibles à la lumière. Il s'agit d'une sensibilité nerveuse que possède la plupart des groupes animaux. Lorsqu'ils subissent un événement qui risque de porter atteinte à leur corps, ils sont capables de fuir ou de retirer une partie de leur corps, souvent de façon réflexe, c'est-à-dire non consciente.

La présence d'un cerveau développé chez certains animaux, dits fortement céphalisés, ouvre la possibilité qu'il existe des phénomènes de conscience, auxquels nous ferons référence plus tard dans ce débat. On parlera alors de phénomènes de douleur quand il y a nociception (détection biologique du stimulus douloureux) et émotion, et de souffrance quand il y a nociception et cognition, conscience de cette souffrance. Ce sont ces animaux-là qui intéressent le plus les gens préoccupés par le respect de l'animal, mais la question se pose aussi pour les autres. À ce propos, il serait intéressant de savoir à partir de quand parler de conscience.

Deuxième remarque, l'expérimentation animale est porteuse d'une ambiguïté épistémologique et d'un conflit moral. Ambiguïté épistémologique, parce que la grande majorité des animaux, composée de rongeurs (souris, rats, etc.), est considérée suffisamment proche de l'homme pour que les résultats obtenus puissent servir à l'amélioration de la thérapeutique humaine, mais suffisamment loin pour que la question morale ne se pose pas trop. Il y a là un conflit moral, parce qu'il y a, d'une part, le souhait de ne pas faire mal à l'animal, d'autre part, celui de faire progresser la médecine humaine.

Je suis de ceux qui pensent qu'il n'est pas concevable de supprimer l'expérimentation animale à moyen terme ; en revanche, il faut l'améliorer. Au plan juridique, l'expérimentation animale est en avance sur les autres domaines de l'utilisation de l'animal par l'homme. Par exemple, un chercheur n'a pas le droit de faire souffrir un poisson pour s'amuser. En revanche, pour le plaisir gastronomique, on peut plonger une truite vivante dans l'eau bouillante.

Dans le domaine de l'expérimentation animale, ces règles sont résumées dans la directive européenne 201063EU. Celle-ci a des manques, mais dans l'ensemble elle présente un caractère d'amélioration. Philosophiquement, elle s'appuie sur la règle des 3 R : « Raffiner » les protocoles, Remplacer quand c'est possible, Réduire le nombre d'animaux, auxquels on ajoute un quatrième R : Réhabiliter les animaux après l'expérience, quand c'est possible. Tout cela va dans le bon sens.

La science n'est pas figée. Actuellement, on considère qu'il est légitime de protéger d'éventuelles souffrances les vertébrés et les céphalopodes comme la pieuvre. La question se pose pour d'autres groupes d'animaux : les crustacés, comme le homard, sont très étudiés actuellement au plan scientifique. La science évolue et les conséquences morales et juridiques doivent aussi évoluer.

Les animaleries peuvent être réglementées, mais il est impossible de mettre un inspecteur derrière chaque chercheur. La formation morale des personnels qui s'occupent des animaux (chercheurs, techniciens…) est aujourd'hui très insuffisante. Cette formation doit aider le chercheur à voir dans l'animal autre chose qu'un simple élément nécessaire pour produire sa thèse. Ce point essentiel pourrait être beaucoup amélioré si l'on imposait aux chercheurs en biologie et aux personnels techniques des formations morales plus poussées.

Enfin, dans tous les autres cas d'utilisation de l'animal par l'homme, l'expertise du scientifique peut être utile. Dans une démocratie, c'est le peuple et donc ses représentants qui font les lois. Mais dans ce domaine, compte tenu du type de contraintes et de droits liés à certains groupes d'animaux, le législateur ne peut pas faire l'économie de l'expertise du scientifique. Celui qui connaît l'expérimentation animale aura donc un rôle essentiel, non seulement dans son domaine, mais pour délimiter aussi les contraintes que la société peut se donner dans d'autres domaines d'utilisation des animaux.

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